Dominique Meeùs
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Fascicule I

P. 145 et suivantes.

Contre Mikhaïlovski et les populistes libéraux de la revue Rousskoïé Bogatsovo.

Mikhaïlovski réduit Marx au Capital et le Capital à l’économie. Mais (p. 150, ½) Marx y met en œuvre le matérialisme historique.

Mots-clefs : ❦ loi de la dialectique, une — ne prouve rien ❦ thèse, antithèse, synthèse ❦ triade hégélienne ❦ négation de la négation

Le matérialisme dialectique, ce n’est pas la triade dialectique de Hegel :

p. 179 ⅜« Le développement historique, dans son essence, continue M. Mikhaïlovski, est en général insaisissable ; il n’a pas été saisi non plus par la doctrine du matérialisme économique, encore que celle­-ci repose, visiblement, sur deux piliers : sur la découverte de l’importance déterminante des formes de la production et de l’échange, et sur le caractère absolu du processus dialectique. »

Ainsi, les matérialistes s’appuient sur le « caractère absolu » du processus dialectique ! Autrement dit, ils fondent leurs théories sociologiques sur les triades de Hegel. Nous voyons revenir ici l’accusation rebattue selon laquelle le marxisme accepterait la dialectique hégélienne, accusation qui, semble-t-il, a été suffisamment ressassée par les critiques bourgeois de Marx. Incapables d’apporter quelque objection sur le fond même de la doctrine, ces messieurs se sont accrochés aux formulations de Marx ; ils se sont attaqués à l’origine de la théorie, pensant en miner ainsi le fond. Et M. Mikhaïlovski ne se gêne pas pour user de ces procédés. Un chapitre de l’Anti-Dühring d’Engels lui a servi de prétexte. Répondant à Dühring qui avait attaqué la dialectique de Marx, Engels dit que Marx n’a jamais songé à « prouver » quoi que ce soit par les triades hégéliennes ; qu’il n’a fait qu’étudier et analyser le processus réel ; que, pour Marx, le seul critère d’une théorie était sa conformité avec la réalité. Et s’il est arrivé parfois que p. 180le développement d’un phénomène social se soit accordé avec le schéma de Hegel : thèse, négation, négation de la négation, il n’y a là rien d’étonnant puisque, d’une façon générale, la chose n’est pas rare dans la nature. Et Engels de citer des exemples empruntés à l’histoire naturelle (développement d’un grain de blé) et au domaine social, dans le genre de ceux-ci : il y a eu d’abord le communisme primitif, puis la propriété privée, et ensuite la socialisation capitaliste du travail ; ou bien : d’abord le matérialisme primitif, puis l’idéalisme, et enfin le matérialisme scientifique, etc. Il est évident pour tous que le centre de gravité dans l’argumentation d’Engels, c’est que les matérialistes doivent exposer avec exactitude et précision le véritable processus historique ; que l’insistance sur la dialectique, le choix des exemples prouvant l’exactitude de la triade, ne sont que des vestiges de l’hégélianisme d’ou est sorti le socialisme scientifique, des vestiges de sa façon de s’exprimer. En effet, une fois qu’on a déclaré catégoriquement que « prouver » une chose à l‘aide de triades est absurde et que personne n’y a jamais songé, quelle signification peuvent avoir des exemples de processus « dialectiques » ? N’est-il pas évident que c’est là une allusion à l’origine de la doctrine, et rien de plus ?

Mots-clefs : ❦ dialectique, n’est rien d’autre que la science ❦ science, première par rapport à la dialectique

La méthode dialectique, ce n’est rien d’autre que la méthode scientifique, mais où la science est assez poussée pour tenir compte du changement et des relations (en particulier : de ce que la société est « un organisme vivant, en perpétuel développement »).

p. 181 ½Ce que Marx et Engels appelaient la méthode dialectique — par opposition à la méthode métaphysique — n’est ni plus ni moins que la méthode scientifique en sociologie, qui considère la société comme un organisme vivant, en perpétuel développement (et non comme quelque chose de mécaniquement assemblé et permettant ainsi toutes sortes de combinaisons arbitraires des divers éléments sociaux), un organisme dont l’étude requiert une analyse objective des rapports de production constituant une formation sociale donnée, et une étude des lois de son fonctionnement et de son développement. Nous tâcherons plus loin d’illustrer le rapport entre la méthode dialectique et la méthode métaphysique (qui englobe sans nul doute la méthode subjective en sociologie), à l’aide d’exemples tirés des propres développements de M. Mikhaïlovski. Notons pour le moment que quiconque lira la définition et la description de la méthode dialectique soit chez Engels (dans sa polémique contre Dühring : Socialisme utopique et socialisme scientifique), soit chez Marx (diverses p. 182annotations au Capital et la Postface de la deuxième édition ; la Misère de la philosophie) verra qu’il n’y est point question des triades de Hegel, et que tout y revient à considérer l’évolution sociale comme processus d’histoire naturelle du développement des formations économiques sociales.

Mots-clefs : ❦ expropriation des expropriateurs

Lénine reprend alors (p. 184 ⅔-190 ⅓) l’exemple de l’expropriation des expropriateurs de Marx analysé par Engels dans l’Anti-Dühring.

Mikhaïlovski estime que le succès chez les ouvriers allemands des analyses économiques de Marx ne tient pas à leur valeur scientifique, qui ne serait pas établie, mais aux promesses qu’on aurait fait miroiter sur le socialisme.

p. 201 ½Chacun sait que le socialisme scientifique n’a en fait jamais tracé de perspective d’avenir : il s’est borné à faire l’analyse du régime bourgeois actuel, à étudier les tendances de l’évolution de l’organisation sociale capitaliste, et c’est tout.

Nous ne disons pas au monde, — écrivait Marx dès 1843, et il a rempli exactement ce programme, — nous ne lui disons pas : « Abandonne tes luttes, ce ne sont que des sottises » ; nous voulons faire retentir à tes oreilles la vraie parole de la lutte. Nous lui montrons seulement pourquoi il lutte véritablement, et la conscience est une chose qu’il doit acquérir, même s’il ne le veut pas.

Lettre de Marx à Ruge, septembre 1843.

Chacun sait, par exemple, que le Capital — cet ouvrage essentiel et fondamental qui fait l’exposé du socialisme scientifique — se limite aux allusions les plus générales quant à l’avenir, et n’examine que les éléments existants aujourd’hui et d’où se dégage le régime futur. Chacun sait que pour ce qui est des perspectives d’avenir, les anciens socialistes en ont donné infiniment plus, eux qui dépeignaient la société future dans tous les détails, désireux qu’ils étaient d’entraîner l’humanité par l’image d’un p. 202régime où les hommes n’ont plus besoin de lutter, où leurs rapports sociaux ne sont plus basés sur l’exploitation, mais sur de véritables principes de progrès, conformes à la nature humaine. Pourtant, malgré toute une phalange d’hommes de grand talent qui exposaient ces idées, et qui étaient des socialistes hautement convaincus, leurs théories sont restées en dehors de la vie, et leurs programmes à l’écart des mouvements politiques populaires, tant que la grande industrie mécanique n’a pas entraîné dans le tourbillon de la vie politique les masses du prolétariat ouvrier et que n’a pas été trouvé le véritable mot d’ordre de sa lutte. Ce mot d’ordre a été trouvé par Marx […] ; ce mot d’ordre a été trouvé, non point à l’aide de perspectives quelconques, mais par l’analyse scientifique du régime bourgeois contemporain, par l’explication de la nécessité de l’exploitation sous un pareil régime, par l’étude des lois de son évolution.

La lettre à Ruge est de 1843. Dans le Manifeste, Marx et Engels indiquent, comme nécessaire évolution du capitalisme, la perspective du socialisme, dont ils se contentent de définir le principe, en s’abstenant de toute description détaillée, se démarquant ainsi des socialistes utopiques.

Mots-clefs : ❦ traduction, remarque

J’ai un problème, ici. Il me semble ou bien que Lénine travaille sur une mauvaise traduction de la lettre de Marx à Ruge, ou bien que, s’il l’a lue en allemand, il l’a lue trop vite. Je trouve en français (et ça correspond dans d’autres langues) :

Nous ne lui disons pas : « laisse-là tes combats, ce sont des fadaises ; nous allons te crier le vrai mot d’ordre du combat ». Nous lui montrons seulement pourquoi il combat exactement […]

Dans cette version correcte, « le vrai mot d’ordre » est toujours dans le négatif de ce que « nous ne disons pas » (j’ai ajouté des guillemets qui délimitent ce que « nous ne disons pas » et s’adressant toujours au même interlocuteur à la deuxième personne du singulier) : c’est ce que nous ne disons pas (en 1843 dans les Deutsch-französische Jahrbücher parce que nous ne sommes pas des donneurs de leçons. Le positif ne commence qu’à la phrase suivante. Tandis que Lénine voit déjà positivement « le vrai mot d’ordre du combat ». Il reprend cette phrase plus loin, à l’Annexe III, où il est tout à fait explicite sur ce qu’il interprète positivement « le vrai mot d’ordre du combat ». (Ce qui montre que l’erreur est chez Lénine, dans sa compréhension de la phrase, pas simplement un mauvais positionnement des guillemets par les typographes éditant Lénine.)