Dominique Meeùs
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À Conrad Schmidt

Friedrich Engels, lettre à Conrad Schmidt, Londres, le 12 mars 1895. Marx, Engels, Études philosophiques, Éditions sociales, Paris, 1973, p. 256-259. (Marx, Engels, Lettres sur les sciences de la nature, Éditions sociales, Paris, 1973, lettre 131, p. 127, seulement pour la deuxième partie.)

P.  257.Les objections que vous faites à la loi de la valeur atteignent tous les concepts, à les considérer du point de vue de la réalité. L’identité de la pensée et de l’être, pour reprendre la terminologie hégélienne, coïncide partout avec votre exemple du cercle et du polygone. Ou encore, le concept d’une chose et la réalité de celle-ci sont parallèles, comme deux asymptotes qui se rapprochent sans cesse l’une de l’autre sans jamais se rejoindre. Cette différence qui les sépare, c’est précisément celle qui fait que le concept n’est pas d’emblée, immédiatement, la réalité et que la réalité n’est pas immédiatement son propre concept. Du fait qu’un concept possède le caractère essentiel d’un concept, donc qu’il ne coïncide pas d’emblée, prima facie, avec la réalité, dont il a fallu d’abord l’abstraire, de ce fait il est toujours plus qu’une simple fiction, à moins que vous n’appeliez fictions tous les résultats de la pensée, parce que la réalité ne correspond à ces résultats que par un long détour et, même alors, ne s’en rapproche jamais que de manière asymptotique.

P. 258-259, resp. 127.[…] Ou bien encore : faut-il dire que les concepts qui dominent dans les sciences de la nature sont des fictions parce qu’il s’en faut de beaucoup qu’ils coïncident toujours exactement avec la réalité ? À partir du moment où nous acceptons la théorie de l’évolution, tous nos concepts de la vie organique ne correspondent plus que de façon approximative à la réalité. Sinon il n’y aurait pas de transformation ; le jour où concept et réalité coïncideront absolument dans le monde organique c’en sera fini de l’évolution. Le concept de poisson implique l’existence dans l’eau et la respiration par les branchies ; comment voulez-vous passer du poisson à l’amphibie sans briser ce concept ? Et effectivement il a été brisé, et nous connaissons toute une série de poissons dont la vessie natatoire s’est développée jusqu’à devenir poumon et qui peuvent respirer de l’air. Comment voulez-vous passer du reptile ovipare au mammifère qui met au monde des petits vivants sans faire entrer en conflit avec la réalité l’un des deux concepts, ou les deux à la fois ? Et effectivement nous avons avec les monotrèmes toute une sous-catégorie de mammifères ovipares — j’ai vu à Manchester en 1843 les œufs de l’ornithorynque et je me suis moqué, avec autant d’étroitesse d’esprit que d’arrogance, de cette stupidité : comme si un mammifère pouvait pondre ! Et voilà qu’aujourd’hui c’est démontré. Ne faites donc pas au concept de valeur ce que j’ai fait, moi, à l’ornithorynque, à qui j’ai dû, après coup, présenter mes excuses ! […]

Il avoue avoir été arrogant en 1843…