Dominique Meeùs
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Friedrich Engels, lettre à Karl Marx, Londres, le 23 novembre 1882. Marx, Engels, Lettres sur les sciences de la nature, Éditions sociales, Paris, 1973, lettre 106, p. 105-107.
Mots-clefs : ❦ électricité ❦ Descartes ❦ Leibniz ❦ vis viva ❦ énergie cinétique ❦ quantité de mouvement ❦ force électromotrice ❦ travail, en mécanique ❦ Volt ❦ Ampère ❦ Ohm ❦ Watt ❦ Siemens ❦ puissance électrique ❦ résistance électrique ❦ intensité électrique ❦ loi naturelle universelle du mouvement
[…] L’électricité m’a procuré un petit triomphe. Tu te souviens peut-être de mon explication du point litigieux qui opposait Descartes et Leibniz à propos de mv et de mv² en tant que mesure de mouvement. Elle revenait à ceci que mv est la mesure du mouvement mécanique lorsqu’il y a transmission de mouvement mécanique en tant que tel, et que mv²/2 l’est lorsque la forme du mouvement change, après que ce mouvement s’est transformé en chaleur, en électricité, etc. Or, aussi longtemps que seuls les physiciens de laboratoire avaient la parole, dans le domaine de l’électricité, la mesure reconnue de la force électromotrice, considérée comme représentante de l’énergie électrique était le Volt (E), produit de la force du courant (Ampère, C) et de la résistance (Ohm, R)
E = C × R
Et cela est exact aussi longtemps que l’énergie électrique ne se mue pas, au cours de sa transmission, en une autre forme de mouvement. Or Siemens, dans le discours qu’il a prononcé en tant que président de la dernière séance de la British Association, a proposé une nouvelle unité de mesure à côté des autres, le Watt (disons W), laquelle doit exprimer l’énergie réelle du courant électrique (face donc à d’autres formes du mouvement appelées communément énergie), et dont la valeur est Volt × Ampère, W = E × C.
Or W = E × C = C × R × C = C²R
La résistance représente dans l’électricité la même chose que la masse dans le mouvement mécanique. Il apparaît donc que dans le mouvement électrique, comme dans le mouvement mécanique, la forme phénoménale quantitativement mesurable de ce mouvement — ici la vitesse, là la force du courant — agit dans la transmission simple sans changement de forme, comme un facteur simple à la puissance 1 ; et que par contre dans la transmission avec changement de forme elle agit comme facteur à la puissance 2. C’est donc une loi naturelle universelle du mouvement que j’ai été le premier à formuler. Mais il faut maintenant en finir rapidement avec la dialectique de la nature […]
Eh bien, mon vieux, « une loi naturelle universelle du mouvement » et tu as « été le premier à la formuler » ? Mazette ! (Ici, c’est moi qui le félicite. Marx le félicite dans la lettre suivante, que je ne reprends pas ici.)
Engels veut s’en tenir à un concept philosophique, qualitatif et le plus général possible de mouvement, à la Hegel. Toutes les fadaises des mathématiciens et des physiciens professionnels sur force, énergie, travail, potentiel, courant, résistance, énergie cinétique, force vive, quantité de mouvement, en v ou en v², ce ne sont que des manières maladroites et ampoulées de dire le mouvement, ça ne sert qu’à obscurcir la question du mouvement. Comme il faut quand même une solution à la querelle du v et du v² (à laquelle Engels ajoute la « contradiction » du C et du C² qu’il est seul à voir comme telle), il a trouvé : c’est l’un ou l’autre selon que c’est avec ou sans changement de forme. Cela montre qu’ « aussi longtemps que seuls les physiciens de laboratoire avaient la parole », la science stagne, mais que si on applique la pensée analogique des primitifs et des hégéliens, elle progresse à pas de géant. (J’ai bien conscience d’être méchant, mais c’est que plus je lis Engels, plus j’apprends à l’apprécier et « qui aime bien… ». C’est un peu de sa faute aussi ; il peut être très imprudent en écrivant, et ici vraiment il me tendait le bâton pour le battre.)