Dominique Meeùs
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[…] Mes répétitions d’histoire ancienne et mes études scientifiques [naturwissenschaftlich] me rendent de grands services pour le D[ühring] et me facilitent l’affaire à beaucoup d’égards. En particulier dans le domaine des sciences de la nature, je trouve que le terrain m’est devenu beaucoup plus familier et que, si j’observe toujours une grande prudence, je peux maintenant m’y mouvoir avec une certaine liberté et une certaine sûreté. Pour ce travail-ci également je commence à entrevoir la fin de mes peines. La chose commence à prendre forme dans ma tête : les ballades que je fais ici au bord de la mer, où j’ai pu laisser tous les détails me tourner dans la tête, n’y ont pas peu contribué. Dans ce domaine immense il est absolument nécessaire d’interrompre de temps à autre le travail intensif et planifié, et de ruminer [en français dans le texte] ce qui a déjà été acquis. — Monsieur Helmholtz tourne et retourne autour de la chose-en-soi depuis 1853 et il n’y voit pas encore bien clair. Mais cela ne gêne pas le bonhomme, qui continue tranquillement à faire réimprimer encore maintenant les conneries qu’il avait fait publier avant Darwin […]
Il a une telle confiance dans sa « prudence » qu’il a l’imprudence (et l’impudence) de faire des considérations injurieuses (« les conneries ») sur Helmholtz, un des plus grands savants du 19e, à la fois comme physicien et comme physiologiste. Je ne sais pas ce qui dans ses conférences populaires d’avant 1859 était tellement dépassé dans les années 70 (Engels ne le dit pas), mais ce serait ne rien comprendre à l’histoire, à la science et à l’histoire des sciences que de reprocher à un grand savant d’être né trop tôt. Helmholtz a fait des contributions tellement importantes qu’il est difficile de penser qu’il n’en restait rien de bon moins d’un quart de siècle après, du seul fait de la parution entre-temps de l’Origine des espèces.
Si on regarde (voir l’index des noms) les nombreux sarcasmes d’Engels sur Helmholtz dans la Dialectique de la nature (et un dans l’Anti-Dühring ), on s’aperçoit qu’il n’y a rien sur l’évolution. Cela n’a donc rien à voir avec Darwin ou le darwinisme. Darwin n’est ici qu’un banal repère temporel. Helmholtz n’est pas dépassé par rapport à Darwin, il est dépassé (et a donc tort de republier dans les années 70) parce qu’Engels considère que c’est un « con » et qu’il l’a toujours été, avant 1859 comme après. En fait de « conneries », il s’agit de physique à laquelle Engels ne comprend rien parce qu’il la voit à travers les lunettes (dépassées avant de commencer) de son Hegel.
Engels a manqué de prudence en autoproclamant sa « prudence ». Mais pour la modestie (autoproclamée) il ne craint personne. (Je l’aime bien, mais il m’énerve quand il fait ça. Je ne dois cependant pas perdre de vue qu’il s’agit d’une lettre privée.)