Dominique Meeùs
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Moi aussi j’ai été frappé, à la première lecture de Darwin, par la ressemblance frappante [en français dans le texte] entre sa présentation de la vie végétale et animale et la théorie de Malthus. […] Pour nous, ce qu’on appelle les « lois économiques » ne sont pas des lois éternelles de la nature, mais des lois historiques, qui naissent et disparaissent, et le code de l’économie politique moderne, dans la mesure où l’économie l’établit vraiment de façon objective, n’est pour nous que le résumé de l’ensemble des lois et des conditions qui seules permettent à la société bourgeoise moderne de continuer d’exister, en un mot : l’expression abstraite et le résumé de ses conditions de production et d’échange. C’est pourquoi, pour nous, aucune de ces lois, dans la mesure où elle exprime des rapports sociaux purement bourgeois, n’est plus ancienne que la société bourgeoise moderne ; celles qui ont rendu compte plus ou moins valablement de toute l’histoire antérieure ne font précisément qu’exprimer les rapports sociaux qui sont communs à toutes les situations sociales reposant sur une domination et une exploitation de classe. La loi de Ricardo, qui n’est valable ni pour le servage, ni pour l’esclavage antique, fait partie des premières 1 ; ce qu’il y a de consistant dans la théorie de Malthus fait partie des dernières.
Mots-clefs : ❦ Hegel ❦ essence, chez Hegel ❦ science et philosophie ❦ énergie, transformation de l’— ❦ démonstration.
P. 36, resp. 108-109.Je ne peux pas ne pas dire un mot de votre remarque sur le vieil Hegel à qui vous déniez une formation mathématique et scientifique approfondie. Hegel avait de telles connaissances mathématiques qu’aucun de ses élèves n’a été capable d’éditer les nombreux manuscrits mathématiques retrouvés dans ses papiers. Le seul homme, à ma connaissance, qui sache assez de mathématiques et de philosophie pour faire cela est Marx. Je vous accorde bien volontiers évidemment qu’il y a des bêtises dans le détail de la philosophie de la nature, mais sa vraie philosophie de la nature se trouve dans la deuxième partie de la Logique, dans la théorie de l’Essence, qui est le véritable noyau de toute la doctrine. La théorie scientifique [naturwissenschaftlich] moderne de l’interaction des forces naturelles (Grove, Correlation of forces, paru, je crois, pour la première fois en 1838) n’est pourtant ni plus ni moins qu’une formulation différente, ou même, bien plutôt, la démonstration positive du développement de Hegel sur la Cause, l’Effet, l’Interaction, la Force, etc. Je ne suis bien sûr plus un hégélien, mais j’ai toujours un profond sentiment de respect et d’attachement pour ce vieux colosse.
Je n’ai jamais entendu considérer Hegel comme un mathématicien. Qu’aucun de ses élèves n’ait pu éditer ses notes sur les mathématiques peut s’expliquer par le fait qu’aucun d’eux n’était mathématicien ou que ces notes n’étaient qu’élucubrations incompréhensibles ou les deux. Si Hegel avait écrit des choses de valeur sur les mathématiques, pourquoi ni lui ni personne ne les a publiées ?
Marx n’est pas plus un mathématicien, mais il avait acquis par lui-même une certaine maîtrise du calcul différentiel, ce qui est tout à fait remarquable (lettre de fin 65, début 66). Aujourd’hui comme alors, peu de gens cultivés peuvent seulement dire ce que c’est s’ils n’ont pas fait des études orientées dans ce sens.
Quelque « profond sentiment de respect et d’attachement pour ce vieux colosse » qu’on puisse avoir, on ne peut pas créditer Hegel, pour un développement philosophique, d’une quelconque antériorité sur une contribution scientifique de Grove (bien que celle-ci ne soit encore que qualitative) et la deuxième ne peut être en aucun sens une « démonstration positive » du premier. (Il s’agit du livre On The Correlation of Physical Forces de 1846.) C’est un exemple de la constante confusion d’Engels sur les rapports entre philosophie et science, où il est littéralement aveuglé par son « profond sentiment de respect et d’attachement pour ce vieux colosse ».
Voir Le Capital, Livre I, p. 613-614 (2016). « … chaque mode de production historique particulier a effectivement ses lois de populations particulières, dont la validité est historiquement déterminée. Il n’y a de loi de population abstraite que pour les plantes et les animaux, et encore, pour autant que l’homme n’intervienne pas historiquement. »