Dominique Meeùs
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Engels a écrit cet article d’une trentaine de pages à 23 ans. Il avait pris connaissance des idées essentielles de Smith, Ricardo, Malthus. Ce travail remarquable a une grande importance historique en ce que sa lecture a certainement fait prendre conscience à Marx de l’intérêt d’étudier de plus près l’économie.
p. 42⅓ Les facteurs de la production et la science
Suivant les économistes, le coût de production d’une marchandise se compose de trois éléments : la rente foncière, tirée du sol, nécessaire a la production de la matière première ; puis le capital, le bénéfice y compris, enfin le salaire du travail indispensable à la production et à la finition. Mais on voit immédiatement que capital et travail sont identiques : les économistes avouent eux-mêmes que le capital est du « travail accumulé ». Il ne nous reste donc plus que deux éléments : l’élément naturel et objectif, le sol, et l’élément humain et subjectif, le travail, qui comprend d’abord le capital, et, outre ce dernier, un troisième élément auquel ne pense pas l’économiste, j’entends l’élément intellectuel, l’invention, la pensée qui est distincte du travail simple. Mais en quoi l’esprit d’invention importe-t-il à l’économiste ? Toutes les découvertes n’ont-elles pas pris leur essor sans son aide ? L’une d’elles. lui a-t~elle coûté la moindre peine ? Pourquoi s’en inquiéter dans son calcul du coût de production ? Pour lui, la terre, le capital, le travail sont les conditions de la richesse. Cela lui suffit. La science ne l’intéresse pas. Grâce à Berthollet, à Davy, à Liebig, à Watt, à Cartwright, etc., elle l’a comblé de présents qui augmentent la production à l’infini. En quoi cela le touche-t-il ? Il est incapable d’en parler. Les progrès de la science dépassent ses chiffres. Mais qu’existe un état social conforme a la raison, exempt de cette séparation des intérêts qu’on rencontre chez les économistes, l’élément p. 43intellectuel entrera dans les éléments de la production. 11 trouvera sa place dans l’économie au nombre des coûts de production. C’est une satisfaction que de savoir que le progrès de la science entraîne aussi sa récompense matérielle et qu’un seul des fruits de la science, la machine à vapeur de James Watt, dans les cinquante premières années de son existence, a rapporté davantage à l’univers que celui-ci n’a, dés l’origine, dépensé en faveur du progrès scientifique.
Deux éléments de production sont donc en présence : la nature et l’homme, et, dans ce dernier, nous distinguons encore l’activité intellectuelle et l’activité physique. Nous pouvons maintenant revenir à notre économiste et a son coût de production.
Mots-clefs : ❦ crise de surproduction ❦ surpopulation ❦ Malthus ❦ contradiction entre forces productives et rapports de production
p. 51½La lutte du capital contre le capital, du travail contre le travail, du sol contre le sol, rend la production fiévreuse. Tous les rapports de la nature et de la raison s’en trouvent inversés. Aucun capital ne peut soutenir la concurrence d’un autre, si son activité n’est pas portée au plus haut point. Aucun bien foncier ne peut être cultivé avec profit si sa productivité ne s’accroît pas constamment. Aucun travailleur ne peut l’emporter sur ses concurrents, s’il ne consacre pas toutes ses forces au travail. En général, on ne peut se maintenir dans la lutte de la concurrence qu’au prix du maximum de l’effort, par le sacrifice de tous les buts vraiment humains. Cette tension excessive va nécessairement de pair avec l’atrophie des autres facultés. Quand les oscillations de la concurrence sont faibles, quand l’offre et la demande, la production et la consommation se balancent, ou presque, l’évolution de la production traverse nécessairement un stade particulier : la surabondance des forces productives est si grande que la majorité de la nation ne peut vivre. Le superflu fait mourir le peuple de p. 52faim. Depuis longtemps déjà, l’Angleterre se trouve dans cette situation insensée, absurde. Mais, la conséquence fatale d’une telle situation est une oscillation plus forte de la production : alors nous voyons se succéder prospérité et crise, surproduction et marasme. Jamais l’économiste n’a pu s’expliquer cette situation absurde. Il a inventé, il est vrai, la théorie de la population : elle est tout aussi folle, davantage même, que cette contradiction de la richesse et de la pauvreté. L’économiste n’avait pas le droit de voir la vérité, il n’avait pas le droit de voir que cette contradiction est une simple conséquence de la concurrence, car s’il la voyait, tout son système tomberait en ruines.
Pour nous, l’explication est facile. La force de production dont dispose l’humanité est immense. On peut pousser à l’infini la capacité de rendement du sol en y appliquant le capital, le travail et la science. D’après les calculs des économistes et des statisticiens les plus éminents (cf. Alison : Principle of population, t. I., chap. 1 et 2), la Grande-Bretagne «surpeuplée » peut, en dix ans, être mise en état de produire suffisamment de blé pour le sextuple de sa population actuelle. Le capital s’accroît journellement ; la force de travail augmente avec la population et la science met chaque jour davantage les forces de la nature au service de l’homme. Utilisée rationnellement et au profit de tous, cette incommensurable capacité de production ne tarderait pas à réduire à un minimum le travail imparti à l’humanité. Livrée à la concurrence, elle aboutit au même résultat, mais d’une façon contradictoire. Une partie du sol est cultivée le mieux du monde, une autre — 30 millions d’acres de bonnes terres en Irlande et en Grande-Bretagne — reste en friches. Une partie du capital circule avec une extraordinaire rapidité, l’autre dort dans les caisses. Une partie des ouvriers travaille quatorze et seize heures par jour, l’autre reste oisive, inactive et meurt de faim. Ou bien encore il n’y a plus simultanéité. Aujourd’hui, le commerce est prospère, la demande est très importante, tout est en activité, le capital circule avec une rapidité merveilleuse, l’agriculture est florissante, l’ouvrier travaille à en tomber malade — demain, c’est le marasme, l’agriculture ne vous paie pas de vos peines, des espaces entiers restent en friches, le capital s’immobilise, les p. 53ouvriers n’ont pas d’emploi et tout le pays souffre de sa richesse excessive et de sa population surabondante.
L’économiste s’interdit de reconnaître l’exactitude de cette exposition. S’il le faisait, il lui faudrait, comme nous l’avons dit, abandonner tout son système fondé sur la concurrence. Il lui faudrait admettre la nullité de ses oppositions, production et consommation, population surabondante et richesse excessive. Comme ces faits ne sont pas niables, on inventa la théorie de la population pour les mettre d’accord avec la doctrine.
Mots-clefs : ❦ amélioration du sol, suite au progrès de la science et de l’industrie
À la thèse de Malthus que la population s’accroit plus vite que la production de nourriture répond qu’il faut considérer aussi le progrès de la science en matière agricole.
p. 57⅕Ses progrès [de la science] sont aussi infinis et, du moins, aussi rapides que ceux de la population. Quels avantages l’agriculture de ce siècle ne doit-elle pas à la chimie, uniquement à deux hommes, à sir Humphrey Davy et à Justus Liebig. La science progresse au moins autant que la population.
Marx abordant dans une lettre la question de l’amélioration scientifique du sol, Engels dans sa réponse lui rappelle le passage ci-dessus.