Dominique Meeùs
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Contrat de travail, ou contrat de vente de la force de travail

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Un prolétaire est une personne libre de contracter (par opposition à l’esclave) dépourvue de moyens d’existence et de moyens de production qui lui permettraient de se les produire ou de les obtenir dans l’échange (Capital I, Deuxième section, chapitre 4, § 3, Capital I, 1983:188 et 189). (Marx dit que ce travailleur est doublement libre : libre en tant que personne et « libéré » de moyens de production.) Sous le capitalisme, les prolétaires, à moins de vivre d’expédients (mendier par exemple, ou voler ), ne peuvent survivre qu’en vendant à un capitaliste leur force de travail (pour un temps déterminé, mais de manière répétée1). Le capitaliste lui-même ne peut fonctionner que s’il trouve des prolétaires disposés à lui vendre leur force de travail. Ainsi la vente de la force de travail est au cœur du capitalisme, en est une détermination essentielle (Capital I, 1983:191 bas et note 41).

Le contrat entre le capitaliste qui a besoin de travail et le prolétaire qui pour survivre offre sa force de travail revient en gros à ce que le prolétaire se mette au service du capitaliste pour un temps déterminé en contre-partie de quoi celui-ci lui donne les moyens de survivre.

Valeur d’usage de la force de travail ; travail nécessaire, chocolat, moins bonne surtravail
— le travail n’est pas payé

Dans les déterminations que Marx donne de la force de travail, il faut distinguer la description de cette valeur d’usage, son aspect concret, et la définition de sa valeur.

Dans le concret de la force de travail, en tant que valeur d’usage, il y a ce à quoi elle sert, sa consommation par le capitaliste : la mettre au travail, en tirer du travail fait, de la production matérielle et, par là, de la valeur.

Ayant acheté cette valeur d’usage (par le contrat de travail), le capitaliste en use, il la consomme librement, c’est-à-dire qu’il en tire un travail. Il est important de voir que ce travail (qui naît de la consommation de la force de travail) n’est pas payé. Le capitaliste a acheté la force de travail et l’a payée déjà2. Cette force de travail lui appartient, il est en droit de l’utiliser comme il l’entend et il n’y a aucune raison qu’il la paie une deuxième fois au moment où il la consomme. Une machine, le capitaliste la paie à l’achat. Une fois achetée, il ne doit lui payer aucune heure. Autre comparaison : un capitaliste achète du charbon à un capitaliste du charbon. Chaque pelletée de charbon qu’un ouvrier jette dans le foyer de la machine à vapeur sera transformée en chaleur et de là en mouvement. Notre capitaliste a déjà payé le charbon. Ce charbon est à lui, il ne doit pas payer ensuite la chaleur qu’il en tire et il ne viendrait pas au capitaliste du charbon l’idée de réclamer un autre paiement, cette fois pour cette chaleur4. Bien sûr, la chaleur n’est pas vraiment gratuite : il a fallu pour cela payer le charbon, mais la chaleur ne doit alors plus être payée comme telle. De même, la force de travail étant payée, le travail ne l’est jamais.

Le salaire semble payer le travail — il est d’ailleurs présenté ainsi3 — mais il paie en réalité la force de travail. Il en résulte que le travail est, en un sens, gratuit. Bien sûr, il n’est gratuit que parce qu’il y a une contrepartie, l’achat de la force de travail, et que celle-là a été payée.

La consommation de la valeur de la force de travail pendant une journée produit de la valeur pour le capitaliste et Marx appelle temps de travail nécessaire le temps qui correspond à la production d’une valeur égale à la valeur de la force de travail d’une journée. C’est le temps qu’il faut pour reconstituer la fraction correspondante de capital variable. La fraction du travail de la journée qui correspond à ce temps de travail nécessaire est appelée alors travail nécessaire et le reste, surtravail. (Capital I, 1983:242.)

Supposons, pour fixer les idées, que dans une certaine industrie, c’est, sur une journée de huit heures, trois heures de travail nécessaire et cinq heures de surtravail. On est alors tenté de dire qu’il y a trois heures de travail payé et cinq heures de travail non payé. Mais c’est seulement une manière de parler5. En réalité, aucune des huit heures de travail n’est payée ; ce qui est payé, c’est la valeur de la force de travail pour une journée. C’est en en faisant un bilan comptable qu’on peut comparer la valeur de cette force de travail à la valeur créée pendant trois heures et qu’on peut dire que c’est « comme si » ces trois heures étaient payées et les cinq autres non. Dans les premières pages du chapitre 14 du Livre I du Capital, Marx dit que le travailleur travaille au-delà de la production de « l’équivalent de la valeur de sa force de travail ». C’est par simplification que l’on dit que, jusque là, il travaille pour lui-même et que, jusque là, il est payé. En fait, il « produit l’équivalent de la valeur de sa force de travail » et c’est cette dernière qui est payée, pas du tout ce qu’il a produit, pas du tout le travail qu’il a fourni.

Le prolétaire n’a d’autre moyen de vivre que de vendre sa force de travail, dans un contrat qui lui impose, disons, huit heures par jour. Il ne peut pas faire autrement que de travailler ces huit heures. Tout ce temps de travail, tout ce travail sont donc pour lui nécessaires en tant que condition de sa survie. Il n’y a pas pour lui trois heures plus « nécessaires » que les cinq autres. Il faut donc bien voir que lorsque Marx parle de temps de travail nécessaire et de travail nécessaire, c’est nécessaire pour le capitaliste : le minimum de travail qui permet à ce dernier de couvrir le capital variable.

Notes
1.
La vente ne peut porter sur l’usage de la force de travail que pendant un temps déterminé. Vendre sa force de travail pour un temps indéterminé serait se vendre comme esclave et, par là, cesser d’être prolétaire. (Capital I, 1983:188, bas.)
2.
Ou plutôt la paiera — c’est le salaire — généralement en retard, c’est-à-dire après consommation. Pour Marx, il faut, pour bien comprendre cette relation, considérer que la force de travail est payée d’avance, à l’achat (Capital I, 1983:197), mais payée « à crédit », comme si le travailleur avait fait au capitaliste l’avance des liquidités nécessaires.
4.
Marx prend l’exemple de l’huile. Une fois achetée, sa valeur d’usage n’appartient plus au vendeur (1993:218). Il en est de même du charbon, mais, avec la chaleur, je peux donner à la valeur d’usage un autre nom et mettre ainsi mieux en lumière l’absurdité de payer deux fois.
3.
Le contrat de vente de la force de travail définit généralement la durée mise à disposition ; le salaire, qui est le paiement de la force de travail, est réparti sur cette durée, tant de l’heure si le contrat prévoit un salaire horaire, tant par mois, si c’est un salaire au mois. Il est donc tout à fait naturel que le salaire soit réparti sur la durée contractuelle (ce qui donne l’impression fausse qu’il paie les heures de travail et non la force de travail). C’est trompeur, ce n’est pas de la tromperie. Au total, ce qui est payé, c’est la valeur de la force de travail, pas le travail.
5.
« Je parle de paiement du travail plutôt que de paiement de la force de travail pour employer votre jargon. » (Capital I, 1983:253.)
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