Dominique Meeùs
Dernière modification le   
Notes de lecture : table des matières, index — Retour au dossier marxisme

Critique moraliste et moralisme critique

Up: Divers, années 40 Previous: Karl Marx à Annenkov, décembre 1946 Next: Principes du communisme (Engels, 1847)
« Die moralisierende Kritik und die kritisierende Moral », Deutsche-Brüsseler-Zeitung Nr. 86 vom 28. Oktober 1847, in Karl Marx und Friedrich Engels, Werke, Band 4, S. 331-359, Dietz Verlag, Berlin/DDR 1972, www.mlwerke.de/me/me04/me04_331.htm.
Karl Marx, Œuvres choisies 1, Idées 41, nrf Gallimard, Paris, 1963, p. 223. Dans d’autres éditions, on trouve le titre « Critique moralisante et morale critique ». Littéralement, ce pourrait être « La critique moralisante et la morale critiquante ».
« Moralising Criticism and Critical Morality : A Contribution to German Cultural History, Contra Karl Heinzen », MECW Volume 6, p. 312, www.marxists.org/archive/marx/works/1847/10/31.htm.

L’historiographie moderne a démontré que la monarchie absolue fait son apparition dans les périodes de transition, où les vieux ordres féodaux déclinent et où l’ordre des bourgeois, le Bürgerstand, se transforme progressivement en classe bourgeoise moderne, devient la Bourgeoisklasse, sans qu’un des partis en lutte ait encore pu venir à bout de l’autre. Les éléments sur lesquels s’édifie la monarchie absolue ne sont, par conséquent, nullement son produit ; ils en constituent plutôt la prémisse sociale dont la genèse historique est trop connue pour qu’on la redise ici.

Bien que Marx ici n’utilise pas les mots démocratie ou libertés démocratiques, on pourrait y penser comme une de ces concessions que la monarchie absolue n’aurait pas faites.

Étant donné que, par exemple, la propriété privée n’est pas un simple rapport, et encore moins une notion abstraite, un principe, mais qu’elle réside dans l’ensemble des rapports de propriété bourgeois — car il ne s’agit pas de la propriété privée subordonnée, périmée, mais de la propriété privée bourgeoise existante —, étant donné que tous ces rapports de production bourgeois sont des rapports de classe, vérité que n’importe quel écolier doit avoir apprise chez son Smith ou Ricardo : il s’ensuit que la transformation, voire la suppression de ces rapports ne peut naturellement résulter que d’une transformation de ces classes et de leur relation réciproque. Or, un changement dans la relation de classes est… un changement historique, un produit de l’ensemble de l’activité sociale, en un mot : le produit d’un « mouvement historique » déterminé. L’écrivain peut, certes, servir d’organe à un mouvement historique, mais il va de soi qu’il ne peut pas créer ce mouvement.

Pour expliquer, par exemple, l’abolition des rapports de propriété féodaux, les historiens modernes ont dû analyser le mouvement dans lequel la bourgeoisie s’est élevée jusqu’au point où ses conditions d’existence ont été suffisamment développées pour qu’elle pût supprimer tous les ordres féodaux et son propre mode d’existence féodal, et partant les rapports de production féodaux au sein desquels ces ordres féodaux produisaient. L’abolition des rapports de propriété féodaux et la création de la société bourgeoise moderne ne furent donc nullement le résultat d’une certaine doctrine qui partait d’un principe théorique déterminé en guise de noyau et qui en tirait d’autres conséquences. Tout au contraire, les principes et les théories que les écrivains de la bourgeoisie établirent au cours de sa lutte contre le féodalisme ne furent que l’expression théorique du mouvement pratique, et il est même possible de voir, dans le détail, comment cette expression fut plus ou moins utopique, dogmatique, doctrinaire, suivant qu’elle appartenait à une phase plus ou moins évoluée du mouvement réel.

Up: Divers, années 40 Previous: Karl Marx à Annenkov, décembre 1946 Next: Principes du communisme (Engels, 1847)