Dominique Meeùs
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… comme survaleur pour plus-value. En publiant dans la Bibliothèque de La Pléiade sa propre version d’œuvres de Marx, Gallimard veut sans doute concurrencer commercialement les Éditions sociales, mais, ce faisant, la maison d’édition offre au « marxologue » Maximilien Rubel une tribune pour son point de vue « marxien » alternatif, en rupture du mouvement communiste. Pour le Livre I, Rubel se contente de corriger le texte de Roy et de Marx, mais il en modifie le plan en rejetant en annexe ce qu’il juge moins important. L’appareil critique peut être intéressant pour détecter les différences entre les différentes versions du Livre I (et peut être révélateur des orientations « marxiennes » plutôt que communistes de Rubel).
Chez Roy, le surtravail de l’ouvrier constitue la plus-value du capitaliste. L’inconvénient est que le mot plus-value existait déjà en français dans un tout autre sens et qu’il est toujours utilisé dans cet autre sens en économie et en comptabilité et quotidiennement dans les rubriques économique ou boursière des journaux. Cependant les marxistes de langue française, suivant Roy, l’ont adopté pour le concept marxiste. C’est donc plus-value qu’on utilise dans tous les exposés sur les concepts de base de l’économie marxiste, y compris le Manuel d’économie politique. Rubel améliorant Roy, puis les traducteurs de 1983 (version 4) ont introduit survaleur, sur le modèle de surtravail, qui est peut-être un meilleur choix en principe, mais qui a le défaut de rompre avec une tradition qui s’est établie sur un bon siècle. (Les mots et les langues ont une histoire, bonne ou mauvaise, et c’est être très mauvais linguiste de « purifier » l’histoire d’un mot.)
C’est une question difficile, mais c’est une tout autre question, de savoir si on va maintenant enseigner plus-value ou survaleur dans des formations sur le Capital ; cela ne change rien à l’impératif de n’utiliser dans toutes les langues aucune autre version que la version 4. Si, en français, on n’aime pas survaleur au lieu de plus-value (ou accumulation initiale au lieu de primitive), on n’a qu’à corriger mentalement (et oralement dans les cours).
… mais il ne s’agit certainement pas d’une simple amélioration de la v. 2A ; c’est une traduction nouvelle et, logiquement pour l’époque (1930), pas simplement de la v. 2, comme le montre le passage que j’appelle [C] dans une comparaison, passage qui n’appartient ni à la v. 2A ni à la v. 2. Molitor donne (et il la donne intégralement) la postface de la deuxième édition allemande (Londres, 24 janvier 1873), mais pas celles des troisième et quatrième qu’on devrait trouver dans une traduction de la v. 4. L’absence des préfaces d’Engels, jointe au fait que l’éditeur donne une longue introduction de Kautsky, me donne à penser qu’on est devant une traduction de l’édition Kautsky de 1914, dite version SPD. Je ne vérifie pas parce que je n’ai pas la version SPD ni le temps de rechercher des divergences d’avec la v. 4 de cette traduction dont on dit par ailleurs qu’elle comporte des erreurs.1. Ces questions n’ont plus beaucoup d’intérêt dans la mesure où on a maintenant la traduction basée sur la v. 4 de l’équipe de Jean-Pierre Lefebvre en 1983, ci-après.
Adopte comme Rubel le mot survaleur. La traduction a encore été revue en 2016. Dans l’introduction, Lefebvre s’étend longuement et de manière intéressante sur les péripéties de la traduction v. 2A et sur ses insuffisances linguistiques. Il juge (Capital I, 1983, p. xlvi, 2016, p. lv) peu importantes les différences quant au fond (manques dans la 2 A ou ajouts).
Il y a aussi des choix douteux, comme de dire systématiquement monnaie là où tout le monde depuis toujours dit argent (dans le sens du fric, pas du métal). C'est du purisme linguistique, de l'hypercorrection, qui témoigne plutôt d'une incompréhension de ce qu'est une langue. Résultat, là où tout le monde à l'habitude de M→A→M (jusque dans l'édition de 1983), on doit maintenant se farcir Ma→Mo→Ma. L'annonce de ce choix est en page ix.
Par ailleurs on annonce à la même page ix que l'arbeiter, ouvrier, est devenu travailleur, mais que l'on a conservé la classe ouvrière.
Changer quelques mots, meilleurs ou moins bon, ne change pas beaucoup le texte, mais comme le format a changé, il n'était plus possible de maintenir la pagination comme on l'avait maintenue de 1983 à 2009 au moins. Cependant, les Éditions sociales sont devenues trop pauvres pour refaire les index. On a donc dans cette édition de 2016, en fin de volume, les index renvoyant aux pages de 1983 ! L'excuse bidon est que l'édition 1983 est plus connue. Mais ceux qui ont une édition de 1983 (ou équivalente) consultent bien les index de leur exemplaire, tandis que ceux qui lisent l'édition de 2016 n'ont en fait pas d'index. (Les index de 1983, « plus connus », ça leur fait une belle jambe s'il n'ont pas eux-mêmes d'exemplaire de 1983.) En outre l'avertissement est (p. 748) avant tous les index (publications, œuvres citées, débats parlementaires et publications officielles, journaux et revues, noms propres, matières). En consultant l'index des matières page 785, on peut s'arracher longtemps les cheveux en lisant des pages qui ont l'air sans rapport avec la matière, en se demandant s'il y a une erreur, puis pourquoi il y a beaucoup d'erreurs, avant de trouver l'avertissement page 748 que les index sont inutilisables.
Je concède qu'en traduction, il y a des choix difficiles, mais il me semble quand même que c'est rarement une bonne idée de casser des habitudes et que certains choix sont discutables (après celui de survaleur, voir plus haut). On a en outre le gros défaut des index bidons. Il faudrait voir combien d'erreurs sérieuses de 1983 sont corrigées en 2016. À moins d'en trouver beaucoup, il faut conclure que l'édition de 1983 (et assimilées) est supérieure et qu'il ne faut citer celle de 2016 que pour une vraie erreur corrigée.