Dominique Meeùs
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Examen critique des versions 3 et 4

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Après la publication de la deuxième édition allemande de 1872, constitutive de ce que j’ai appelé version 2, et terminant en 1875 la publication de la traduction française de Roy revue par lui-même, constitutive de ce que j’ai appelé version 2A (dont j’examine le lien à la version 2 à lapage précédente), Marx annote son exemplaire de travail de la deuxième édition allemande ainsi que son exemplaire de travail de la traduction française. D’autres améliorations du texte allemand, trop longues pour les marges, il les couche dans des notes. Sur cette base et sur la base de lettres diverses, Engels a publié les troisième et quatrième éditions allemandes, cette dernière constitutive de ce que j’ai appelé version 4.

Engels n’avait certainement pas toutes les informations en mains ; il a travaillé dans l’urgence (il a publié la version 3 très vite après la mort de Marx) et a dû faire certains choix. En avertissement de la troisième édition, de 1883, il dit ceci1 :

Il y a donc des « modifications les plus nécessaires » autres que les reprises de la version 2A.

Engels donne encore des indications sur l’édition du Livre I dans la préface de 1886 à la traduction anglaise de 1887. Ce texte-là se situe entre les troisième (1883) et quatrième (1890) éditions allemandes. On voit là que les annotations de Marx dans ses exemplaires de travail des versions 2 et 2A et les autres indications ne sont pas toujours sans ambiguïté. En outre, certaines indications portent tantôt sur la future (pour Marx) troisième édition allemande, tantôt sur des projets de traduction aux État-Unis. Quand des instructions semblent contradictoires, Engels dit ci-dessus avoir privilégié les plus récentes. Il reprend de la v. 2A dans la v. 3A des choses qu’on ne retrouve pas dans la v. 4. Il faudrait en faire l’inventaire2. Mais c’est peut-être tout simplement qu’il les avait perdues de vue.

Il y a depuis sa mort toute une littérature critique de la valeur de ce travail d’Engels : (i) dans quelle mesure certaines formulations sont-elles de lui plus que de Marx ? (ii) a-t-il bien repris de la traduction française tout ce qu’il y avait lieu de reprendre ? À la question (i), Engels répond lui-même qu’il a été très prudent et qu’il a toujours signé ses interventions. (Voir son avertissement à la troisième édition et sa note sur la quatrième.) Ceux qui le contestent (voir ci-dessous, Kuczynski) devraient apporter la preuve du contraire. Quant à (ii), il faut faire l’inventaire des apports de la v. 2A. Toutes les éditions dérivées de sa quatrième édition ou s’en positionnant comme concurrentes sont manifestation de ce débat3. Une difficulté supplémentaire est que les éditeurs ne disent pas toujours explicitement où ils se sont écartés de l’édition de 1890 ; que les critiques ou traducteurs ne disent pas toujours clairement de quelle édition ils parlent.

Après Engels, certains éditeurs sont restés fidèles à la version 4 en y faisant cependant quelques corrections et en indiquant parfois des passages de la v. 2A qu’Engels n’avait pas repris. C’est le cas des éditions de Moscou en 1932 et du volume 23 des MEW, qu’on peut considérer, malgré ces quelques modifications, comme encore de la famille de la v. 4. Sont de cette famille aussi diverses traductions de la quatrième édition de 1890 ou, plus souvent pour les traductions modernes, du volume 23 des MEW.

D’autres ont voulu refaire ce travail à leur manière en repartant des versions 2 et 2A de Marx en exploitant d’autres matériaux, en faisant d’autres choix. Le choix est donc, plutôt d’améliorer ces éditions 3 et 4 laissées par Engels, de reprendre à zéro le travail à zéro à partir de la mort de Marx. C’est certainement le cas de l’édition dite SPD de Kautsky en 1914 et de celle de Korsch en 1932. Ces éditions constituent donc des versions à part. Des deux que je viens de citer, il faut rapprocher la récente NTA. Il me semble qu’en général ces éditions témoignent d’une méfiance à l’égard d’Engels (ou parfois, plus tard, de Moscou). Encore très récemment, Kuczynski dans sa NTA rejette un passage de Marx dans la troisième édition (à propos des Deux facteurs…, Die zwei Faktoren der Waare) en prétendant, contre toute évidence, qu’il est d’Engels et pas de Marx.

Table of contents

Notes
1.
En passant, ceci aussi, sur le vocabulaire allemand, qui peut intéresser le néerlandais :
  • Es konnte mir nicht in den Sinn kommen, in das Kapital den landläufigen Jargon einzuführen, in Welchem deutsche Oekonomen sich auszudrücken pflegen, jenes Kauderwälsch, worin z. B. derjenige, der sich für baare Zahlung von andern ihre Arbeit geben lässt, der Arbeitgeber heisst, und Arbeitnehmer derjenige, dessen Arbeit ihm für Lohn abgenommen wird. Auch im Französischen wird travail im gewöhnlichen Leben im Sinn von „Beschäftigung“ gebraucht. Mit Recht aber würden die Franzosen den Oekonomen für verrückt halten, der den Kapitalisten donneur de travail, und den Arbeiter receveur de travail nennen wollte.

    Das Kapital I, 1883:xi-xii.
  • Il était hors de question pour moi d’introduire dans le Capital le jargon dans lequel les économistes allemands ont coutume de s’exprimer, où l’on donne par exemple le nom de « donneur de travail », Arbeitgeber, à celui qui se fait donner par les autres leur travail contre un paiement comptant, et le nom de « preneur de travail », Arbeitnehmer, à celui dont on prend le travail contre le salaire. En français aussi, le mot travail est utilisé, dans la vie courante, dans le sens d’ « emploi ». Mais les Français seraient en droit de traiter de fou l’économiste qui voudrait appeler le capitaliste « donneur », et l’ouvrier « preneur » de travail.

    Le Capital I, 1983:22.
  • Het zou niet bij me opgekomen zijn in Het Kapitaal het gangbare jargon te gebruiken, waarin de Duitse economen zich plegen uit te drukken, het koeterwaals waarin bijvoorbeeld degene, die zich tegen contante betaling de arbeid van anderen verschaft, werkgever wordt genoemd en degene, wiens arbeid hem tegen loon wordt afgenomen, werknemer. In het Frans is het woord ‘travail’ in het dagelijkse leven ook in de betekenis van ‘baan’ gebruikt, maar terecht zouden de Fransen de economen voor gek verklaren die de kapitalisten donneurs de travail en de arbeiders receveurs de travail zouden willen noemen.

En français, on dit aujourd’hui demandeur d’emploi plutôt que receveur de travail. On dit cependant de l’employeur qu’il donne « du travail » en voulant dire un emploi, alors que c'est bien sûr le travailleur employé qui fournit le travail .
2.
Pour un exemple, chercher le mot pépinière au paragraphe 7 du chapitre 24. De la v. 2A, la v. 3A reprend whether agricultural, manufacturing, or both, mais pas la pépinière ni l’école. La V. 4 ne reprend ni l’un ni l’autre et, parce qu’il s’en tient de manière non critique à la v. 4, Fowkes est ici en recul sur Engels qu’il se permet de critiquer.
3.
Dans l’examen des divergences entre versions, j’ai examiné en particulier les passages signalés dans Anderson 1983 et dans Haug 2017.
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