Dominique Meeùs
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Das Kapital ist verstorbene Arbeit, die sich nur vampyrmässig belebt durch Einsaugung lebendiger Arbeit und um so mehr lebt, je mehr sie davon einsaugt.
Le capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage.
Kapitaal is gestorven arbeid, welke alleen tot nieuw leven kan komen door als een vampier levende arbeid op te zuigen en die des te langer leeft naarmate er meer van wordt opgezogen.
Capital is dead labour, that, vampire-like, only lives by sucking living labour, and lives the more, the more labour it sucks.
Ce que tu gagnes ainsi en travail [dit l’ouvrier au capitaliste « allongeant démesurément la journée de travail »], je le perds en substance de travail. Utiliser ma force et la piller sont deux choses complètement différentes. Si l’espérance de vie moyenne d’un ouvrier moyen qui travaillerait dans la juste mesure est de 30 ans, la valeur de la force de travail que tu me paies chaque jour est de soit de sa valeur totale.
Il me semble qu’il faut, dans la valeur de la force de travail, introduire différentes opérations d’abstraction. Cette valeur est, me semble-t-il, au moins familiale, puisqu’il faut faire des enfants (Capital I, chap. 4, § 3. Le propriétaire de la force de travail est mortel…). Marx en fait apparaître ici une autre : la valeur de la force de travail doit s’évaluer sur la vie entière.
Mots-clefs : ❦ surtravail, en général, avant le capitalisme
Le capital n’a pas inventé le surtravail. Partout où une partie de la société détient le monopole des moyens de production, le travailleur, libre ou non libre, est forcé d’ajouter au temps de travail nécessaire à son propre entretien un temps de travail supplémentaire afin de produire les moyens de subsistance de celui qui détient en propre les moyens de production, que ce propriétaire soit un καλὸς κ’ἀγαθός athénien, un théocrate étrusque, un civis romanus, un baron normand, un maître d’esclaves américain, un boyard valaque, un landlord ou un capitaliste modernes. Il est clair cependant que lorsque dans une formation sociale, économiquement parlant, ce n’est pas la valeur d’échange du produit qui est prépondérante, mais sa valeur d’usage, le surtravail est limité par un cercle de besoins plus ou moins large, mais qu’aucun besoin de surtravail illimité ne découle du caractère même de la production. C’est pour cela que dans l’Antiquité, le surtravail prend des allures atroces là où il s’agit d’obtenir la valeur d’échange sous sa figure monétaire autonome, dans la production d’or et d’argent. La forme officielle du surtravail est ici le travail forcé jusqu’à ce que mort s’ensuive. Lisons simplement sur ce point Diodore de Sicile 43. Toutefois, ce sont là des exceptions dans l’Antiquité. Mais dès que des peuples dont la production se meut encore à l’intérieur de ces formes inférieures que sont le travail des esclaves, la corvée féodale, etc., sont attirés dans un marché mondial dominé par le mode de production capitaliste, qui fait de la vente de leurs produits à l’étranger l’intérêt prédominant, alors on voit, par-dessus les horreurs barbares de l’esclavage, du servage, etc. se greffer l’horreur civilisée du surtravail.
On verra dans la suite du chapitre que Marx n’exagère en rien en parlant, à propos du capitalisme, d’ « horreur civilisée du surtravail » comparable aux « horreurs barbares de l’esclavage, du servage » ou parfois pire, comme pour ce qui est du travail des enfants.
La différence est qu’avant le capitalisme l’appropriation du surtravail était limitée par la capacité de consommation des classes dominantes. Sous le capitalisme il faut y ajouter un phénomène nouveau : l’accumulation capitaliste, pratiquement illimitée (entre les crises), infiniment supérieure à la consommation des capitalistes. À la périphérie, il peut y avoir un mode ancien d’appropriation du surtravail, mais avec en plus le caractère illimité moderne du capitalisme.
Mots-clefs : ❦ guano ❦ engrais ❦ épuisement du sol ❦ régénération du sol ❦ limitation de la journée de travail ❦ limitation du temps de travail ❦ épuisement de la force de travail ❦ reproduction de la force de travail ❦ taille des soldats ❦ taille des conscrits ❦ taille des êtres vivants ❦ Liebig, Justus von —
Si l’on fait abstraction d’un mouvement ouvrier dont la montée se fait chaque jour plus menaçante, cette limitation du travail de fabrique était dictée par la même nécessité que celle qui répandait le guano sur les champs d’Angleterre. La même cupidité aveugle qui dans un cas avait épuisé la terre avait dans l’autre atteint à sa racine la force vitale de la nation. Les épidémies périodiques étaient tout aussi parlantes en Angleterre que la baisse de la taille des soldats en Allemagne et en France.
Dans une note (46) appelée après le mot France, il cite longuement Die Chemie in ihrer Anwendung auf Agrikultur und Physiologie de Liebig, sur la taille des individus dans une espèce vivante en général, dans l’espèce humaine ensuite, et en particulier dans l’espèce des conscrits.
Le rapprochement est intéressant parce que, si la vie humaine est gratuite comme toute autre ressource naturelle, son exploitation peut être destructrice, comme il en est aussi d’autres ressources naturelles.
Mots-clefs : ❦ législation sociale, Angleterre, 19e siècle ❦ inspecteur de fabrique
Avec la Loi sur les fabriques de 1850…
Il est institué un corps de gardiens chargés spécialement de surveiller l’application de cette loi, les inspecteurs de fabrique, qui sont directement sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur, et dont les rapports sont publiés chaque semestre par les soins du Parlement. Ils fournissent donc une statistique permanente et officielle de la fringale de surtravail dont sont atteints les capitalistes.
Mots-clefs : ❦ reproduction de la force de travail, longueur de la journée
La force de travail est une marchandise. En échange du salaire, le travailleur la donne pour un certain temps. Comme la valeur, la détermination de la durée dépend de divers facteurs historiques avec l’exigence. La valeur ne peut descendre en dessous d’un certain minimum vital. Il en est de même du temps libre du travailleur, temps nécessaire à son repos, à sa reproduction. Le capitaliste est en position de monopole face à un vendeur obligé de vendre sous peine de mourir de faim. Au départ, il peut imposer n’importe quelle durée de travail, au-delà de la limite.
[…] le loup-garou capital ne franchit pas seulement les bornes morales, mais aussi les bornes extrêmes purement physiques de la journée de travail. Il usurpe le temps qu’il faut pour la croissance, le développement et le maintien du corps en bonne santé. Il vole le temps qu’il faut pour respirer l’air libre et jouir de la lumière du soleil. Il grignote sur le temps des repas et l’incorpore si possible dans le procès de production proprement dit, si bien que le travailleur, simple moyen de production, se voit fournir ses repas comme on alimente en charbon la machine à vapeur, ou en huile et suif les machines. Il réduit le temps du sain sommeil réparateur nécessaire pour reconstituer, renouveler et régénérer la force de travail, au minimum d’heures de torpeur indispensables à la remise en marche d’un organisme totalement épuisé. Au lieu que ce soit ici la conservation normale de la force de travail qui détermine la limite de la journée de travail, c’est à l’inverse le maximum de dépense de force de travail possible en une journée, si traumatisante et pénible soit-elle, qui fixe la limite du temps de répit de l’ouvrier. Le capital ne se pose pas de questions sur le temps que vivra la force de travail. Ce qui l’intéresse c’est uniquement et exclusivement le maximum de force de travail qui peut être dégagé en une journée de travail. Il atteint ce but en diminuant la longévité de la force de travail, comme un agriculteur avide obtient un rendement accru de son sol en le dépossédant de sa fertilité.
La production capitaliste qui est essentiellement production de plus-value, absorption de surtravail, produit donc avec la prolongation de la journée de travail non seulement l’amoindrissement de la force de travail humaine, privée de ses conditions normales de développement et d’activité physique et morale ; mais aussi l’épuisement et la mort prématurée de cette force. Elle allonge le temps de production du travailleur pendant une période donnée en abrégeant son temps de vie.
Or dans la valeur de la force de travail est incluse la valeur des marchandises requises pour la reproduction du travailleur ou la perpétuation de la classe ouvrière. Si donc la prolongation contre nature de la journée de travail, à laquelle le capital tend nécessairement dans sa pulsion effrénée d’autovalorisation, raccourcit la vie de chaque travailleur en particulier, et par là même réduit la durée de sa force de travail, il faut remplacer plus rapidement celles qui sont usées, donc faire entrer de plus grands frais d’usure dans la reproduction de la force de travail, tout comme la part de valeur d’une machine qui doit être reproduite chaque jour, est d’autant plus grande qu’elle s’use plus vite. Il semble donc que dans son propre intérêt le capital soit astreint à établir une journée de travail normale.
Il me semble que lorsque Marx dit, au premier alinéa cité, « il usurpe le temps […], il vole le temps[…], il grignote sur le temps[…], il réduit le temps… », il faut le comprendre en valeur d’usage. Ce temps « volé » n’est pas à vendre et n’a pas de valeur, même si ça rapporte de la valeur au capitaliste. La force de travail est achetée pour une durée raisonnable. Le temps au-delà, c’est la vie du travailleur, ce n’est pas une marchandise.
De même qu’un sol doit être exploité de manière durable, de même qu’une machine doit être amortie, il faut payer la force de travail à sa valeur et en respecter la durée sous peine de ne plus en retrouver. Que le travailleur meure jeune n’était pas un problème tant que des campagnes surpeuplées constituaient un vivier. Un propriétaire d’esclaves devrait veiller à ne pas les user trop, sauf s’il peut en acheter d’autres à bas prix ; la vie des esclaves devient alors abominable. Il en était de même pour les ouvriers dans la mesure où il y avait des réserves de paysans : « l’Irlande et les districts agricoles de l’Angleterre, de l’Écosse et du Pays de Galles, […] l’Allemagne (p. 298) ».
Capital, Livre I, chapitre 8, § 6. La lutte pour la journée de travail normale
Après moi le déluge 112* ! Telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. Le capital n’a donc aucun scrupule s’agissant de la santé et de l’espérance de vie de l’ouvrier. S’il n’y est pas contraint par la société 113.
Tant que ça va bien (réserve de paysans…), non seulement « le capital n’a aucun scrupule », mais il peut ne pas voir que c’est « dans son propre intérêt » (plus haut). Même s’il avait conscience de scier la branche sur laquelle il est assis, en concurrence, un capitaliste est prisonnier de l’intérêt à court terme. Historiquement, ce sont la noblesse terrienne jalouse du capital, des bourgeois plus humanitaires parce que non capitalistes et les ouvriers agissant collectivement qui ont amené l’État à imposer aux capitalistes la législation sur la durée du travail… en fait leur intérêt à long terme.
C’est dans ce but, ainsi que « pour éliminer la flemmardise, la luxure et les douces rêveries libertaires romantiques », autant que « pour diminuer la taxe des pauvres, activer l’esprit d’industrie et faire baisser le prix du travail dans les manufactures », que notre fidèle Eckart du capital propose le moyen imparable qui consiste à enfermer les travailleurs qui sont à la charge de la bienfaisance publique, en un mot, les pauvres, dans une « maison de travail idéale (an ideal workhouse) ». « Il faut faire de cette maison une maison de terreur (house of terror) » 127 DM127. Dans cette « maison de terreur » cet idéal de workhouse, on doit travailler « 14 heures par jours en comptant toutefois les repas de façon qu’il reste 12 heures de travail pleines »128. Douze heures de travail par jour dans « le workhouse idéal », dans la maison de terreur de 1770 ! Et 63 ans plus tard, en 1833, quand le Parlement anglais réduisit la journée de travail pour les enfants entre 13 et 18 ans à 12 heures de travail pleines, on aurait cru que c’était l’apocalypse de l’industrie anglaise qui commençait !
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