Dominique Meeùs
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Chapitre 5 — Processus de travail et processus de valorisation

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Livre I (1983), p. 199 et suivantes. Livre I (2016), p. 175 et suivantes. Attention, dans les éditions françaises obsolètes et dans, je crois toutes, les éditions en anglais, les chapitres ne sont pas numérotés comme chez Marx et celui-ci est alors le chapitre 7.
MEW, vol. 23, Fünftes Kapitel. Arbeitsprozeß und Verwertungsprozeß, p. 192.
MECW, vol. 35, Chapter VII, The labour process and the process of producing surplus value, p. 187.
1. Processus de travail

Tous les êtres vivants, depuis la bactérie, sont en relation d’échange (Stoffwechsel, métabolisme) avec leur environnement. Dans le cas de l’espèce Homo sapiens, et plus encore, dans son évolution culturelle, après le néolithique, la satisfaction des besoins (à part l’air qu’on respire et quelques rares autres exceptions) prend la forme du travail, de la production. (À ce stade, la relation à la nature de l’animal Homo sapiens devient radicalement différente de celle de tous les autres animaux.) Le procès de travail est donc à la charnière de l’écologie et de l’économie.

  • Die Arbeit ist zunächst ein Prozeß zwischen Mensch und Natur, ein Prozeß, worin der Mensch seinen Stoffwechsel mit der Natur durch seine eigne Tat vermittelt, regelt und kontrolliert. Er tritt dem Naturstoff selbst als eine Naturmacht gegenüber. Die seiner Leiblichkeit angehörigen Naturkräfte, Arme und Beine, Kopf und Hand, setzt er in Bewegung, um sich den Naturstoff in einer für sein eignes Leben brauchbaren Form anzueignen. Indem er durch diese Bewegung auf die Natur außer ihm wirkt und sie verändert, verändert er zugleich seine eigne Natur. Er entwickelt die in ihr schlummernden Potenzen und unterwirft das Spiel ihrer Kräfte seiner eignen Botmäßigkeit. Wir haben es hier nicht mit den ersten tierartig instinktmäßigen Formen der Arbeit zu tun. Dem Zustand, worin der Arbeiter als Verkäufer seiner eignen Arbeitskraft auf dem Warenmarkt auftritt, ist in urzeitlichen Hintergrund der Zustand entrückt, worin die menschliche Arbeit p. 193ihre erste instinktartige Form noch nicht abgestreift hatte. Wir unterstellen die Arbeit in einer Form, worin sie dem Menschen ausschließlich angehört. Eine Spinne verrichtet Operationen, die denen des Webers ähneln, und eine Biene beschämt durch den Bau ihrer Wachszellen manchen menschlichen Baumeister. Was aber von vornherein den schlechtesten Baumeister vor der besten Biene auszeichnet, ist, daß er die Zelle in seinem Kopf gebaut hat, bevor er sie in Wachs baut. Am Ende des Arbeitsprozesses kommt ein Resultat heraus, das beim Beginn desselben schon in der Vorstellung des Arbeiters, also schon ideell vorhanden war. Nicht daß er nur eine Formveränderung des Natürlichen bewirkt ; er verwirklicht im Natürlichen zugleich seinen Zweck, den er weiß, der die Art und Weise seines Tuns als Gesetz bestimmt und dem er seinen Willen unterordnen muß.

    Erster Band, Dietz Verlag Berlin, 1962, p. 192. (MEW 23.) En ligne : MLWerke.
  • Le travail est d’abord un procès qui se passe entre l’homme et la nature, un procès dans lequel l’homme règle et contrôle son métabolisme avec la nature par la médiation de sa propre action. Il se présente face à la matière naturelle comme une puissance naturelle lui-même. Il met en mouvement les forces naturelles de sa personne physique, ses bras et ses jambes, sa tête et ses mains pour s’approprier la matière naturelle sous une forme utile à sa propre vie. Mais en agissant sur la p. 200nature extérieure et en la modifiant par ce mouvement, il modifie aussi sa propre nature. Il développe les potentialités qui y sont en sommeil et soumet à sa propre gouverne le jeu des forces qu’elle recèle. Nous ne nous occupons pas ici des formes primitives du travail, qui relèvent encore de l’instinct animal. Lorsque le travailleur se présente sur le marché comme vendeur de sa propre force de travail, il a laissé derrière lui dans un passé archaïque l’époque où le travail humain n’avait pas encore dépouillé sa première forme instinctuelle. Nous supposons donc ici le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une araignée accomplit des opérations qui s’apparentent à celles du tisserand et une abeille en remontre à maint architecte humain dans la construction de ses cellules. Mais ce qui distingue d’emblée le plus mauvais architecte de la meilleure abeille, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la cire. Le résultat auquel aboutit le procès de travail était déjà au commencement dans l’imagination du travailleur, existait donc déjà en idée. Non pas qu’il effectue simplement une modification dans la forme de la réalité naturelle : il y réalise en même temps son propre but, qu’il connaît, qui détermine comme une loi la modalité de son action, et auquel il doit subordonner sa volonté.

    Capital I, 1983, p. 199.
  • De arbeid is in de eerste plaats een proces, dat tussen mens en natuur plaatsvindt ; een proces, waarbij de mens zijn stofwisseling met de natuur door middel van zijn eigen activiteit tot stand brengt, regelt en controleert. Hij treedt tegenover de natuurstof zelf als een natuurmacht op. De bij zijn lichaam behorende natuurkrachten, armen en benen, hoofd en handen, stelt hij in beweging om zich de natuurstof toe te eigenen in een vorm, die bruikbaar is voor zijn eigen leven. Door zodoende de natuur rondom hem te bewerken en te veranderen, verandert hij tegelijkertijd zijn eigen aard. Hij brengt de sluimerende, potentiële krachten tot ontwikkeling en hij onderwerpt het spel van deze krachten aan zijn eigen wil. We houden ons hier niet bezig met de eerste dierlijke, instinctmatige vormen van arbeid. Er ligt een onmetelijke lengte van dagen tussen de toestand, waarin de arbeider op de warenmarkt optreedt als verkoper van zijn eigen arbeidskracht en de toestand, waarin de menselijke arbeid zich nog niet ontdaan had van zijn eerste, instinctmatige vorm. We gaan uit van een vorm van arbeid, zoals deze uitsluitend bij de mensen voorkomt. Een spin verricht werkzaamheden, die lijken op die van een wever ; een bij doet door het bouwen van zijn honingraat menig menselijke architect beschaamd staan. De slechtste architect onderscheidt zich echter al direct van de beste bij doordat hij de cellen in zijn gedachten heeft gebouwd voordat hij ze in werkelijkheid vormde. Aan het einde van het arbeidsproces komt een resultaat te voorschijn, dat van het begin af aan in de fantasie van de arbeider, dus ideëel reeds aanwezig was. Niet alleen dat hij een vormverandering van het natuurlijke tot stand brengt, hij realiseert in het natuurlijke tevens zijn doel, een doel dat hij kent, dat als een wet zijn wijze van handelen bepaalt en waaraan hij zijn wil moet onderwerpen.

    Traduction Lipschits, Marxistisch Internet-Archief.
  • Labour is, in the first place, a process in which both man and Nature participate, and in which man of his own accord starts, regulates, and controls the material reactions between himself and Nature. He opposes himself to Nature as one of her own forces, setting in motion arms and legs, head and hands, the natural forces of his body, in order to appropriate Nature’s productions in a form adapted to his own wants. By thus acting on the external world and changing it, he at the same time changes his own nature. He develops his slumbering powers and compels them to act in obedience to his sway. We are not now dealing with those primitive instinctive forms of labour that remind us of the mere animal. An immeasurable interval of time separates the state of things in which a man brings his labour power to market for sale as a commodity, from that state in which human labour was still in its first instinctive stage. We presuppose labour in a form that stamps it as exclusively human. A spider conducts operations that resemble those of a weaver, and a bee puts to shame many an architect in the construction of her cells. But what distinguishes the worst architect from the best of bees is this, that the architect raises his structure in imagination before he erects it in reality. At the end of every labour process, we get a result that already existed in the imagination of the labourer at its commencement. He not only effects a change of form in the material on which he works, but he also realises a purpose of his own that gives the law to his modus operandi, and to which he must subordinate his will.

    MECW, vol. 35, p. 187-188.

Marx utilise ici comme ailleurs le mot Stoffwechsel, qui a été diversement traduit, mais qui est devenu metabolism et métabolisme dans des traductions anglaises et françaises récentes, dont celle des Éditions sociales de 1983.

Mots-clefs : ❦ ressource naturelle, poisson ❦ ressource naturelle, bois ❦ ressource naturelle, minerai ❦ objet de travail ❦ nature, comme objet de travail ❦ matériau brut

Avant toute intervention de sa part, l’homme trouve l’objet universel de son travail dans la terre (y compris, du point de vue économique, l’eau), qui est sa pourvoyeuse originelle de nourriture, de moyens de subsistance tout préparés. Toutes les choses que le travail n’a qu’à détacher de leur liaison immédiate avec le tout terrestre sont des objets de travail trouvés tels quels par nature. Ainsi du poisson qu’on capture en le séparant de son élément vital, l’eau ; du bois qu’on abat dans la forêt vierge ; du minerai qu’on extrait au pic de son filon. Si par contre l’objet de travail lui-même est déjà en quelque sorte filtré par un travail antérieur, nous l’appelons matériau brut. Exemple : le minerai déjà extrait qu’on est maintenant en train de laver. Tout matériau brut est donc objet de travail, mais tout objet de travail n’est pas matériau brut. L’objet de travail n’est matériau brut qu’une fois qu’il a subi une première modification par le travail.

P. 201 (1983).

Mots-clefs : ❦ moyen de travail ❦ nature, comme moyen de travail ❦ organe corporel ❦ terre, comme moyen de travail ❦ outil ❦ outil, comme prolongement du corps ❦ homme, comme toolmaking animal ❦ Benjamin Franklin ❦ mode de production ❦ moyen de travail, comme indicateur des rapports sociaux

Le moyen de travail est une chose ou un complexe de choses que le travailleur insère entre son objet de travail et lui, et qui lui servent de guide dans son action sur cet objet. Il se sert des propriétés mécaniques, physiques et chimiques des choses pour les faire agir comme des instruments de pouvoir sur d’autres choses conformément à son but. Si nous faisons abstraction des moyens de subsistance tout prêts, par exemple les fruits, dont il se saisit en utilisant uniquement comme moyens de travail ses propres organes corporels, l’objet dont le travailleur s’empare immédiatement n’est pas l’objet de travail, mais le moyen de travail. Ainsi l’élément naturel devient-il lui-même un organe de son activité, un organe qu’il ajoute à ceux de son propre corps et qui prolonge sa conformation naturelle, quoi qu’en dise la Bible ! De même que la terre est son garde-manger originel, elle est l’arsenal originel de ses moyens de travail. C’est elle par exemple qui lui fournit la pierre qu’il lance, avec laquelle il gratte, presse, découpe, etc. La terre elle-même est un moyen de travail, mais pour servir ainsi dans l’agriculture elle présuppose à son tour toute une série d’autres moyens de travail et un développement déjà relativement élevé de la force de travail. En règle générale, dès que le procès de travail est un tant soit peu développé, il lui faut des moyens de travail déjà élaborés. Dans les plus anciennes cavernes habitées par l’homme, nous trouvons des outils et des armes de pierre. À côté de la pierre, du bois, de l’os et des coquillages travaillés, c’est l’animal domestiqué, donc déjà transformé par le travail, sélectionné, qui joue le rôle de principal moyen de travail au début de l’histoire de l’humanité. L’usage et la création de moyens de travail, bien qu’ils soient déjà en germe le propre de certaines espèces animales, caractérisent spécifiquement le procès de travail humain, ce qui amène Franklin à définir l’homme comme a toolmaking animal, un animal qui fabrique des outils. Les vestiges d’anciens moyens de travail ont pour l’étude des formations sociales économiques disparues la même importance que la structure des ossements fossiles pour la connaissance de l’organisation des lignées animales disparues. Ce qui distingue les époques économiques entre elles, ce n’est pas ce que l’on y fabrique, mais la manière dont on fabrique, les moyens de travail dont on se sert. Les moyens de travail ne permettent pas seulement de mesurer le degré de développement de la force de travail humaine, ils sont l’indicateur des rapports sociaux dans lesquels le travail a lieu. Parmi les moyens de travail eux- mêmes, les moyens de travail mécaniques, dont l’ensemble peut être appelé squelette et système musculaire de la production, offrent beaucoup plus de traits distinctifs caractéristiques d’une époque de la production sociale que ceux qui servent seulement à conserver l’objet de travail, et dont on peut désigner généralement l’ensemble comme le système vasculaire de la production (canalisations, tonneaux, paniers, pots, etc.). C’est seulement avec l’industrie chimique que ceux-ci commencent à jouer un rôle significatif.

P. 201-203.

Mots-clefs : ❦ moyen de production ❦ travail productif

Si l’on considère l’ensemble de ce procès du point de vue de son résultat, moyen de travail et objet de travail apparaissent alors l’un et l’autre comme des moyens de production, et le travail proprement dit comme travail productif7.

Bas de la p. 203.
7.
Cette définition du travail productif, que nous énonçons du point de vue du simple procès de travail, est absolument insuffisante pour le procès de production capitaliste

Mots-clefs : ❦ matériau brut ❦ nature, transformée par l’homme ❦ animaux, produits du travail ❦ végétaux, produits du travail ❦ travail passé

Exception faite de l’industrie extractive, c’est-à-dire les mines, la chasse, la pêche, etc. (et l’agriculture, mais seulement dans la mesure où elle défriche en première instance la terre encore vierge), qui trouve son objet de travail tout prêt dans la nature, toutes les branches d’industries traitent un objet qui est un matériau brut, un objet de travail déjà filtré par le travail, et qui est déjà lui-même un produit du travail (comme la semence en agriculture). Les animaux et les plantes, qu’on a coutume de considérer comme des produits de la nature, sont en fait non seulement des produits du travail, peut-être de l’année écoulée mais, dans leur forme actuelle, les produits d’une transformation poursuivie à travers de nombreuses générations, sous le contrôle de l’homme et grâce à la médiation du travail humain. Mais pour ce qui est particulièrement des moyens de travail, leur immense majorité offre au regard le plus superficiel la trace du travail passé.

P. 204.

Mots-clefs : ❦ travail vivant, ressuscite le travail mort

Une machine qui ne sert pas dans le procès de travail est une machine inutile. Par ailleurs elle se détériore sous l’effet destructeur des processus chimiques naturels. Le fer rouille, le bois pourrit. Le ftl qui n’est pas tissé ou tricoté n’est que du coton qui s’abîme. Pour faire de ces choses des valeurs d’usage réelles, actives, et non pas simplement possibles, il faut que le travail vivant s’en empare, les réveille d’entre les morts. Bien sûr, quand les langues de feu du travail les lèchent, quand il se les approprie comme ses organes vivants, quand il leur insuffle l’esprit pour qu’elles remplissent dans son procès la fonction adéquate à leur définition et à leur vocation, elles sont tout aussi bien détruites : mais elles le sont en vue d’une fin, comme éléments constitutifs de nouvelles valeurs d’usage, de nouveaux produits susceptibles d’entrer dans la consommation individuelle comme moyens de subsistance ou dans un nouveau procès de travail comme moyens de production.

P. 206.

Le travail consomme ses éléments matériels, objet et moyen, il les mange, il est donc lui-même un procès de consommation. Cette consommation productive se distingue de la consommation individuelle en ceci que cette dernière consomme les produits comme moyens de subsistance de l’individu vivant, tandis que l’autre les consomme comme moyens de subsistance de son travail, c’est-à-dire de sa force de travail en action. Le produit de la consommation individuelle est donc le consommateur lui-même, tandis que le résultat de la consommation productive est un produit distinct du consommateur.

P. 206.

Mots-clefs : ❦ métabolisme ❦ procès de travail ❦ valeur d’usage ❦ besoin humain, appropriation de la nature en fonction des — ❦ nature, appropriation de la — en fonction des besoins humains

Le procès de travail, tel que nous l’avons exposé dans ses moments simples et abstraits, est une activité qui a pour fin la fabrication de valeurs d’usage, il est l’appropriation de l’élément naturel en fonction des besoins humains, il est la condition générale du métabolisme entre l’homme et la nature, la condition naturelle éternelle de la vie des hommes ; il est donc indépendant de telle ou telle forme qu’elle revêt, mais au contraire également commun à toutes ses formes sociales. Nous n’avions donc pas besoin de présenter ici le travailleur dans son rapport aux autres travailleurs. Il suffisait de l’homme et de son travail d’un côté, de la nature et de ses matières de l’autre.

P. 207.

Mots-clefs : ❦ le travail n’appartient en rien au salarié

Le processus de travail, tel qu’il se déroule en tant que processus de consommation de la force de travail par le capitaliste, fait apparaître deux phénomènes caractéristiques.

Le travailleur travaille sous le contrôle du capitaliste à qui son travail appartient. Le capitaliste veille à ce que le travail avance comme il faut et à ce que les moyens de production soient utilisés de façon adéquate, à ce que le matériau brut ne soit donc pas gaspillé, et à ce qu’on épargne l’instrument de travail, c’est-à-dire qu’il ne soit détruit que dans la mesure où son usage pour le travail l’impose.

Mais deuxièmement : le produit est la propriété du capitaliste, et non celle du producteur immédiat, du travailleur. Le capitaliste paye, par exemple, la valeur journalière de la force de travail. Son usage lui appartient donc pour la journée, comme celui de toute autre marchandise qu’il aurait louée pour un jour (un cheval, par exemple). L’usage de la marchandise appartient à son acheteur, et le possesseur de la force de travail, en fournissant son travail, ne fournit que la valeur d’usage qu’il a vendue. À partir du moment où il est entré dans les ateliers du capitaliste, la valeur d’usage de sa force de travail a appartenu au capitaliste, et donc aussi son usage, le travail. En achetant la force de travail, le capitaliste a incorporé le travail proprement dit comme un ferment vivant aux constituants morts du produit qui lui appartenaient également. De son point de vue, le processus de travail n’est que la consommation de la marchandise force de travail qu’il a achetée, mais qu’il ne peut consommer qu’en lui ajoutant des moyens de production. Le processus de travail est un processus qui met en jeu des choses que le capitaliste a achetées, des choses qui lui appartiennent. Le produit de ce processus lui appartient donc tout autant que le produit de la fermentation dans son cellier10.

Livre I (2016), p. 182. Livre I (1983), p. 208.
10.
« Les produits sont appropriés avant d’être convertis en capital, et cette conversion ne les dégage pas de l’appropriation. » (Cherbuliez, Richesse ou pauvreté, Paris 1841, p. 54.) « Le prolétaire, en donnant son travail contre un approvisionnement déterminé… renonce complètement à tout droit… sur les produits que son travail fera naître… L’attribution de ces produits reste ce qu’elle était auparavant ; elle n’est en aucune façon modifiée par la convention dont il s’agit. Les produits, en un mot, continuent d’appartenir exclusivement au capitaliste qui a fourni les matières premières et l’approvisionnement. C’est là une conséquence rigoureuse de la loi d’appropriation, de cette même loi dont le principe fondamental était l’attribution exclusive à chaque travailleur des produits de son travail. » (Ibid., p. 58.) James Mill (Éléments of Political Economy, Londres 1821, p. 70-71) : « Quand les travailleurs reçoivent un salaire pour leur travail… le capitaliste est propriétaire non seulement du capital [c’est-à-dire des moyens de production] mais encore du travail (of the labour also). Si l’on comprend dans la notion de capital, comme c’est l’usage, ce qui est payé comme salaires, il est absurde de parler du travail en le séparant du capital. Le mot capital en ce sens inclut l’un et l’autre, capital et travail. »

Ceci d’abord en passant : Cherbuliez (note 10) aurait-il déjà fait la différence entre payer le travail et louer la force de travail et conçu celle-ci ayant une valeur définie comme valeur des moyens d’existence du travailleur (« contre un approvisionnement déterminé… ») ?

Mais ce que je voulais souligner, c’est que le travail et son produit appartiennent entièrement au capitaliste. Bien sûr, il y a une contrepartie : il a payé (ou plus exactement, il paiera à terme) les moyens d’existence du travailleur, valeur de la force de travail. Mais cela étant, la force de travail lui appartient et il la consomme et le produit en est entièrement à lui. Bref, rien du travail n’est payé. Rien du produit n’appartient au travailleur.

Un peu plus loin au paragraphe suivant, il expose de manière magistrale l’essence du contrat capitaliste avec le travailleur salarié.

2. Procès de valorisation

Le procès de travail donne la marchandise. Mais ce n’est pas tant ça qui intéresse le capitaliste.

Pre­mièrement, il veut produire une valeur d’usage qui ait une valeur d’échange, un article destiné à la vente, une marchandise. Deuxièmement, il veut produire une marchandise dont la valeur soit supérieure à la somme des valeurs des marchandises, des moyens de production et de la force de travail nécessaires à sa production, pour lesquelles il a avancé son bon argent sur le marché. Ce qu’il veut produire, ce n’est pas seulement une valeur d’usage mais une marchandise, pas seulement de la valeur d’usage mais de la valeur, et même, pas seulement de la valeur, mais de la plus-value.

En fait, étant donné qu’il s’agit ici de production marchande, nous n’avons manifestement considéré jusqu’à présent que l’un des côtés du procès. De même que la marchandise proprement dite est l’unité de la valeur d’usage et de la valeur, il faut que son procès de production soit l’unité du procès de travail et du procès de formation de valeur.

1983:209.

… le travail passé que contient la force de travail et le travail vivant qu’elle peut fournir, autrement dit le coût journalier de son entretien et sa dépense journalière, sont deux grandeurs tout à fait différentes. La première détermine sa valeur d’échange, l’autre constitue sa valeur d’usage. Qu’il faille une demi-journée de travail pour maintenir le travailleur en vie pendant 24 heures ne l’empêche aucunement de travailler pendant une journée entière. La valeur de la force de travail et sa valorisation dans le processus de travail sont donc deux choses différentes. C’est cette différence de valeur que le capitaliste avait en vue en achetant la force de travail. La particularité utile qu’elle a de fabriquer des filés ou des chaussures n’était qu’une condition sine qua non, tenant au fait que le travail doit être dépensé sous une forme utile pour former de la valeur. En revanche, ce qui était décisif, c’était la valeur d’usage spécifique de cette marchandise : être source de valeur, et de plus de valeur qu’elle n’en possède elle-même. Tel est le service spécifique que le capitaliste en attend. Et il procède ainsi conformément aux lois éternelles de l’échange des marchandises. Quant au vendeur de la force de travail, comme le vendeur de n’importe quelle autre marchandise, il réalise effectivement sa valeur d’échange et aliène sa valeur d’usage. Il ne peut pas obtenir l’une sans céder l’autre. La valeur d’usage de la force de travail, c’est-à-dire le travail proprement dit, n’appartient pas à son vendeur, pas plus que la valeur d’usage de l’huile n’appartient au marchand d’huile qui la vend. Le possesseur de monnaie a payé la valeur journalière de la force de travail ; c’est donc à lui qu’appartient son usage pendant cette journée, à lui qu’appartient la journée de travail. L’entretien quotidien de la force de travail ne coûte qu’une demi-journée de travail alors que la force de travail peut être active, travailler une journée entière, et que, par conséquent, la valeur créée par son usage durant une journée est le double de sa propre valeur journalière : cette réalité est une chance toute particulière pour l’acheteur, mais ne constitue en aucune façon un tort causé au vendeur.

Livre I (2016), p. 190. Livre I (1983), p. 217-218.

La transformation d’argent en capital commence dans la circulation (achat de la force de travail) et continue en dehors (dans la production).

Tout ce cycle, cette transformation de son argent en capital, a lieu dans la sphère de la circulation, et en même temps il a lieu hors d’elle. Par la médiation de la circulation, puisqu’il a pour condition la vente de la force de travail sur le marché. Hors de la circulation, parce que celle-ci ne fait qu’introduire le procès de valorisation, qui se déroule dans la sphère de la production. Ainsi « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».

En transformant l’argent en marchandises qui servent d’éléments matériels pour former un nouveau produit, ou servent comme facteurs du procès de travail, en incorporant la force de travail vivante à leur objectivité de choses mortes, le capitaliste transforme de la valeur, c’est-à-dire du travail passé, objectivé, mort, en capital, c’est-à-dire en valeur qui se valorise elle-même, en ce monstre animé, qui se met à « travailler », comme s’il avait le diable au corps.

Si nous comparons maintenant le procès de formation de valeur et le procès de valorisation, nous voyons que le procès de valorisation n’est rien d ’autre qu’un procès de formation de valeur prolongé au-delà d ’ un certain point. Si ce dernier ne dure que j usqu’au point où la valeur de la force de travail payée par le capital est remplacée par un nouvel équivalent, il demeure un procès de formation de valeur simple. S’il se prolonge au-delà de ce point, il devient procès de valorisation.

1983:219

On a donc (dernier alinéa ci-dessus) création d’une valeur dont une partie est l’équivalent de la valeur de la force de travail et, au-dessus, de ça valorisation.

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