Dominique Meeùs
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Quand des travailleurs ne peuvent absolument pas coordonner directement leurs travaux sans être ensemble et que, par conséquent, leur agglomération en un lieu déterminé est la condition de leur coopération, les travailleurs salariés ne peuvent coopérer sans que ce soit le même capital, le même capitaliste, qui les emploie et donc achète en même temps toutes leurs forces de travail. La valeur globale de ces forces de travail, ou encore la masse salariale journalière, hebdomadaire, etc. des travailleurs doit donc être réunie dans la poche du capitaliste avant que les forces de travail proprement dites soient réunies dans le procès de production. […]
Et il en va du capital constant comme du capital variable. […] À l’origine, une certaine grandeur minimale du capital individuel est apparue comme nécessaire pour que le nombre des travailleurs exploités en même temps et donc la masse de plus-value produite suffisent à délivrer du travail manuel l’employeur du travail proprement dit, à transformer un petit maître en capitaliste et à instaurer ainsi, formellement, le rapport capitaliste. Aujourd’hui elle apparaît comme condition matérielle de la transformation d’un grand nombre de procès de travail individuels, disséminés et indépendants les uns des autres, en un procès de travail social combiné.
C’est le rappel de l’effet de seuil du chapitre 9, mais là du point de vue du capitaliste, ici du travail collectif.
Le travail collectif suppose aussi une direction.
[…] la coopération de nombreux salariés fait que le commandement du capital évolue et devient une exigence de l’exécution du procès de travail proprement dit, une véritable condition de la production. Les ordres donnés par le capitaliste sur le champ de production sont devenus aussi indispensables que ceux du général sur le champ de bataille. Tout le travail immédiatement social ou collectif à une assez grande échelle requiert peu ou prou une direction, dont la médiation assure l’harmonie des activités individuelles, et qui assume les fonctions générales nées du mouvement du corps productif global, par opposition au mouvement de ses organes autonomes. Un violoniste seul se dirige lui-même, un orchestre a besoin d’un chef. Cette fonction de direction, de surveillance et de médiation devient la fonction du capital dès que le travail qu’il a sous ses ordres devient coopératif. En tant que fonction spécifique du capital, la fonction de direction acquiert des caractéristiques spécifiques.
Mais cette nécessaire direction n’est pas que technique, elle est aussi disciplinaire, autoritaire.
La motivation et la finalité déterminante du procès de production capitaliste est d’abord que le capital se valorise au maximum, c’est-à-dire qu’il y ait une production maximum de plus-value, et donc une exploitation maximum de la force de travail par le capitaliste. À mesure que s’accroît la masse des travailleurs employés en même temps, leur résistance aussi s’accroît et donc, nécessairement, la pression du capital pour venir à bout de cette résistance. La direction exercée par le capitaliste n’est pas seulement une fonction particulière issue de la nature du procès de travail social et relevant de celui-ci, c’est en même temps une fonction d’exploitation d’un procès de travail social, déterminée donc par l’antagonisme inévitable de l’exploiteur et du matériau qu’il exploite.
Mots-clefs : ❦ Marx, homme de nature animal social ❦ Aristote, homme de nature animal politique ❦ Franklin, homme fabricant d’outils
Diess rührt daher, dass der Mensch von Natur, wenn nicht, wie Aristoteles meint, ein politisches13), jedenfalls ein gesellschaftliches Thier ist.
13).Aristoteles’ Definition ist eigentlich die, dass der Mensch von Natur Stadtbürger. Sie ist ebenso charakteristisch für das klassische Alterthum, als Franklin’s Definition, dass der Mensch von Natur Instrumentenmacher, für das Yankeethum.↵
Cela vient de ce que l’homme est par nature, sinon un animal politique, suivant l’opinion d’Aristote, mais dans tous les cas un animal social15.
15.La définition d’Aristote est à proprement parler celle-ci, que l’homme est par nature citoyen, c’est-à-dire habitant de ville. Elle caractérise l’antiquité classique tout aussi bien que la définition de Franklin : « L’homme est naturellement un fabricant d’outils », caractérise le Yankee.↵
Ceci provient du fait que si l’homme n’est pas par nature, comme le pense Aristote, un animal politique13, il est en tout cas un animal social.
13.La définition exacte d’Aristote est que l’homme est par nature citoyen (Stadtbürger). Elle est aussi caractéristique de l’Antiquité classique que l’est de la mentalité yankee la définition de Franklin selon laquelle l’homme est par nature fabricant d’instruments.↵
This originates from the fact that man, if not as Aristotle thought a political animal,7 is at all events a social animal.
7.The real meaning of Aristotle’s definition is that man is by nature citizen of a town.* This is quite as characteristic of classical antiquity as Franklin’s definition of man as a tool-making animal is characteristic of Yankeedom.↵*‘It is evident that the state (πόλις) is a creation of nature, and that man is by nature a political animal (πολιτικὸν ζῷον)’ (Aristotle, Politics, Book I, 2).↵
Voici ce qu’écrit Aristote : Ἐκ τούτων οὖν φανερὸν ὅτι τῶν φύσει ἡ πόλις ἐστί, καὶ ὅτι ὁ ἄνθρωπος φύσει πολιτικὸν ζῷον, … dans Politique, Livre I, chapitre premier, § 9, tel que publié par Philippe Remacle en http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/politique1.htm. Il y a dans la langue et dans la réalité de l’époque identité entre État et ville. Un animal politique, c’est donc aussi un citoyen et c’est ainsi que Marx utilise en note le mot Stadtbürger.
L’analyse de la phrase de Marx est « … dass der Mensch von Natur,
ist ». Il y a un seul verbe être (en allemand tout à la fin) et une seule qualification de nature, portant tant sur l’homme social de Marx que sur l’homme politique d’Aristote. Il faut donc lire « … dass der Mensch,
Il faut bien comprendre que pour Marx, l’homme est de nature social, tout comme il est de nature politique pour Aristote. Ce n’est pas du coupage de cheveux en quatre. Certains pourraient dire que l’homme est de nature un loup pour l’homme, mais qu’il s’est de culture socialisé. Marx est dialectique, donc bien sûr sensible au développement des rapports sociaux dans l’histoire, contre l’idée d’une « essence » immuable de l’homme (égoïste ou non). Mais Marx, matérialiste, n’oublie pas que l’homme est d’abord animal et il tient à affirmer que l’homme est un animal de nature social.
Pour éviter des colonnes trop étroites, je ne reprends pas d’édition en néerlandais. Elles donnent toutes une phrase identique à la phrase allemande et ne posent donc aucun problème.
La phrase de Roy a la même structure que celle de Marx en allemand. Elle qualifie donc aussi de nature l’animal social. Le « sinon… mais » de Roy est sans doute d’assez mauvais français ; Lefebvre veut une plus belle phrase. Mais comme il introduit un deuxième verbe sans répéter « de nature », il trahit la pensée de Marx.
En anglais, en 1887, Engels et ses traducteurs laissent purement et simplement tomber « de nature », pour Aristote comme pour Marx. (Mais le maintiennent pour Aristote dans la note.) Fowkes, qui prétend faire la leçon aux traducteurs de 1887 et affirme une fidélité absolue à la quatrième édition allemande, ne rétablit pas « de nature », mais fait sienne la faiblesse de 1887. Thomas Nitsch (Nitsch 1992) se demande si Engels n’a pas été gêné par l’apparence d’un accent métaphysique dans une « nature humaine ». Dans le cas de Fowkes, ce serait peut-être plutôt la tendance que lui reproche Wolfgang Fritz Haug (Haug 2017) de laisser tomber tout ce qui est trop subtil. Il est curieux qu’Engels et Fowkes, travaillant indépendamment à un siècle de distance, décident, sans doute pour des raisons différentes, de censurer Marx en ce point.
Bref, retenons dans toutes les langues que pour Marx l’homme est par nature un animal social.