Dominique Meeùs
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Ce fut pendant ces cinquante dernières années la devise du mouvement ouvrier anglais. Elle rendit de grands services au moment où, la loi honteuse contre le droit de coalition étant abolie, les trade-unions prirent leur développement. Elle rendit encore de meilleurs services à l’époque du glorieux mouvement chartiste, lorsque les ouvriers anglais marchaient à la tête de la classe travailleuse d’Europe. Mais l’histoire va de l’avant. Et nombre de choses qui, il y a cinquante ans, voire même il y a trente ans, étaient désirables et utiles, ont changé maintenant et sont devenues inutilisables. L’ancien et vénérable cri de guerre est-il également de celles-ci ?
Un salaire équitable pour un travail équitable ? Mais qu’est-ce qu’un salaire équitable et qu’est-ce qu’un travail équitable ? Comment sont-ils conditionnés par les lois suivant lesquelles se développe la société ? Pour obtenir une réponse à cette question, ce n’est pas à la science de la morale on de l’équité, ni à un sentiment quelconque d’ « humanité », de justice ou même de charité que nous devons en appeler. Ce qui est moral ou même équitable du point de vue légal est encore loin d’être équitable du point de vue social. Ce qui est équitable du point de vue social ou ce qui ne l’est pas, seule une science qui s’en réfère aux faits matériels de la production, seule la science de l’économie politique peut l’établir.
Qu’est-ce donc, selon l’économie politique, qu’un salaire équitable et une journée de travail équitable ? Tout simplement le niveau du salaire et la durée de l’intensité du travail d’une journée, tels qu’ils sont conditionnés par la concurrence entre l’entrepreneur et l’ouvrier sur le marché libre. Et qu’est-ce qui est déterminé de cette manière ?
Un salaire équitable, dans les circonstances normales est la somme dont l’ouvrier a besoin pour se procurer, conformément aux conditions de son milieu et de son pays, les moyens qui lui permettent de continuer à travailler et de se reproduire. Le salaire réel peut, du fait des fluctuations de l’industrie, être tantôt au-dessus, tantôt au-dessous de cette moyenne.
Une journée de travail équitable est la durée et l’effort de travail réellement fournis chaque jour par la force de travail tout entière de l’ouvrier, sans qu’il devienne incapable de fournir le lendemain la même quantité de travail.
Ce cycle qui se reproduit constamment peut-être décrit de la façon suivante : l’ouvrier donne au capitaliste sa pleine force de travail, c’est-à-dire autant qu’il peut en fournir pour rester en mesure de le faire continuellement. Pour cela il reçoit du capitaliste autant de moyens de subsistance — et pas plus — qu’il lui en faut pour pouvoir refaire chaque jour la même besogne. Singulière équité !
Mais regardons la chose de plus près. Puisque selon les enseignements de l’économie, le salaire et le travail sont conditionnés par la concurrence, l’équité semble exiger que les deux parties soient dans des conditions égales et dans la même situation lorsqu’elles concluent un contrat de travail. Mais il n’en est pas ainsi. Si le capitaliste ne peut pas s’entendre avec l’ouvrier, il peut attendre et vivre sur son capital. L’ouvrier ne le peut pas. Il ne peut vivre que de son salaire et c’est pourquoi il lui faut accepter du travail dans les conditions les plus mauvaises. La faim le talonne avec une violence terrible. Et cependant les économistes des classes bourgeoises prétendent que c’est là le comble de l’équité.
Mais cela n’est encore qu’une bagatelle. L’utilisation de la force mécanique et des machines dans les nouvelles entreprises et l’extension et le perfectionnement des machines dans les anciennes entreprises privent continuellement des gens de leur travail, et cela à un degré beaucoup plus rapide que celui où l’industrie peut reprendre à son service les forces de travail devenues superflues. Ces forces de travail en excédent fournissent au capital une armée industrielle de réserve. Lorsque la conjoncture du marché est mauvaise, l’ouvrier peut crever de faim, mendier, voler ou même aller à la « maison de travail ». Si la conjoncture est favorable, il doit travailler pour augmenter la production. Et tant que le dernier homme, la dernière femme et le dernier enfant de l’armée de réserve n’ont pas trouvé de travail, — chose qui déjà à elle seule suppose une époque de surproduction déchaînée —, la concurrence comprime les salaires cependant que, dans sa lutte contre le travail, la puissance du capital est renforcée par l’existence de l’armée de réserve. Dans sa rivalité avec le capital, l’ouvrier n’est pas seulement poussé par la faim, il doit encore en outre traîner un boulet de canon rivé à son pied. Et c’est cela, selon l’économie capitaliste, qui s’appelle équité.
Recherchons maintenant avec quoi le capital paie ces salaires « équitables ». Naturellement, avec du capital. Mais le capital ne produit aucune valeur. En dehors de la terre, c’est le travail qui est l’unique source de la richesse. Le capital n’est pas autre chose que le fruit du travail accumulé. Il s’ensuit que les salaires des ouvriers sont payés avec du travail ; l’ouvrier est récompensé avec les fruits mêmes de son travail. Selon la conception courante de l’équité, le salaire de l’ouvrier devrait se composer de la totalité des fruits de son travail. Mais cela ne serait pas équitable selon l’économie politique. Au contraire, les fruits du travail de l’ouvrier sont confisqués par le capitaliste, et l’ouvrier n’en reçoit que juste les moyens de subsistance nécessaires. Et la fin de cette concurrence tout à fait « équitable » est que les produits de ceux qui travaillent s’accumulent dans les mains de ceux qui ne travaillent pas et y deviennent le moyen le plus puissant de charger des chaînes de l’esclavage tous ceux qui ont produit la richesse ainsi accumulée : un salaire équitable pour un travail équitable !
De ce qui précède, il ressort clair comme le jour que l’ancienne devise eut en son temps son utilité, mais qu’elle ne peut plus rendre aucun service maintenant. Que les ouvriers enterrent donc leur ancien cri de guerre et qu’ils le remplacent par un meilleur : « Transfert des moyens de production : matières premières fabriques et machines, aux mains du peuple travailleur ! »