Dominique Meeùs
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Travaux préliminaires

Table of contents

P. 367
Dühring. Économie. Les deux hommes
P. 380
Négation de la négation
P. 381, ⅔

Mots-clefs : ❦ négation de la négation ❦ le grain et la plante, négation de la négation ❦ pensée analogique ❦ négation de la négation, comme loi de la nature ❦ induction, des lois de la dialectique

P. 381, ⅔Négation de la négation. — Quelques exemples pour montrer ce crime effroyable dans toute son horreur : Premièrement. Nous prenons un grain d’orge. Des millions sont mangés ou bus sous forme de bière. Mais si le grain d’orge trouve des conditions normales, dans lesquelles il peut accomplir sa carrière normale, s’il tombe sur un sol favorable, une modification s’opère en lui ; il germe ; le grain en tant que tel disparaît ; il est nié ; la plante née de lui, la négation du grain prend sa place. Mais quelle est la carrière normale de cette plante ? De produire à son tour des grains d’orge, et dès que ceux—ci sont mûrs, la plante meurt, elle est niée à son tour. En résultat de cette négation de la négation, nous avons de nouveau le grain d’orge du début, mais en nombre dix, vingt, trente fois plus grand. Les espèces de céréales se modifient avec une extrême lenteur, aussi la qualité des grains reste-t-elle sensiblement semblable pour toute la durée historique. Mais prenons une plante d’ornement plastique, un dahlia par exemple, et traitons la semence selon l’art de l’horticulteur, nous obtiendrons comme résultat de cette « négation de la négation » non seulement plus de semences, mais aussi des semences plus parfaites, qui produisent des fleurs plus belles, et à chaque répétition du processus le perfectionnement s’intensifie. — De même que pour le grain d’orge, ce processus s’accomplit pour de nombreux animaux, surtout des insectes, qui ne s’accouplent qu’une fois et meurent après avoir pondu leurs œufs. Qu’il y ait aussi des plantes et des animaux qui ne meurent pas aussitôt après avoir assuré la procréation, ce fait ne nous importe pas ici et de rechercher pourquoi il en est ainsi nous mènerait trop loin. Il suffit de démontrer que la négation de la négation intervient réellement dans le règne végétal et le règne animal.

D’abord on constate dans les chose de la vie un motif récurrent, la négation de la négation. Quand on pense des choses diverses, il peut être intéressant d’y déceler des analogies, un facteur d’unité, en se rattachant à quelque chose dans sa propre culture. (Mais il faut se méfier aussi, comparaison n’est pas raison. Il ne faut pas tomber dans le mode de raisonnement analogique qu’on impute aux enfants et aux primitifs.) Ainsi quelqu’un qui est très fortement baigné de culture hégélienne peut trouver éclairant pour lui de voir apparaître la négation de la négation dans des circonstances diverses et c’est quelque chose qu’il peut partager avec d’autres de la même culture. Pour ceux qui ne baignent pas très profondément dans cette culture, c’est au moins totalement inintéressant, au pire dangereux.

Mais même, pour Engels, on le voit ici, c’était très dangereux. À la fin de ce passage, on le voit « réaliser », « réifier » (au sens du réalisme philosophique idéaliste, de l’idéalisme objectif, comme on peut le dire de Platon, comme en discutaient les scolastiques) la négation de la négation, en faire une chose réelle, qui « intervient réellement », dit-il, comme si c’était une force de la nature. En outre, il pense, en une induction illégitime, par ces exemples et par d’autres, l’avoir « démontré ».

Mots-clefs : ❦ négation de la négation, exemple du carré de − a ❦ racine négative, en exemple de négation de la négation

À la suite, p. 382, ⅓— Autre exemple : Prenons une grandeur algébrique quelconque a. Nions-la, nous avons − a. Nions cette négation en multipliant − a par − a, nous avons + a², — la grandeur positive du début, mais à un degré supérieur, au carré. Là aussi, cela n’a aucune importance que l’on puisse obtenir le même résultat sans ce détour en multipliant + a par + a, ce qui donne aussi + a² ; car la négation est si fermement ancrée dans + a² que sa racine carrée est non seulement + a, mais tout aussi nécessairement − a, ce qui dans les équations du second degré prend un sens pratique sensible [*].

[*] Ou bien : dans les mathématiques supérieures on différencie, c’est-à-dire on nie la chose avec laquelle on compte, puis on nie cette négation, c’est-à-dire qu’on intègre et l’on obtient alors la solution qu’on ne pouvait pas du tout, ou qu’on pouvait difficilement, obtenir autrement.

Du point de vue mathématique, comme dans d’autres exemples mathématiques aux chapitres 12 et 13, c’est un blabla idiot. En outre, il veut montrer ici et ailleurs que la négation de la négation est effective, efficace. Mais on voit ici et ailleurs que le seul effet réel de la négation de la négation est de lui faire penser et écrire des bêtises.

Mots-clefs : ❦ révolution socialiste, comme exemple de négation de la négation ❦ négation de la négation, niveau supérieur

À la suite, p. 382, au milieuAutre exemple : Tous les peuples indo-européens commencent par la propriété en commun. Chez presque tous, au cours de l’évolution sociale, elle est abolie, niée, évincée par d’autres formes — propriété privée, propriété féodale, etc. Nier cette négation, restaurer la propriété en commun à un niveau supérieur de développement, c’est la tâche… de la révolution sociale.

Mots-clefs : ❦ négation de la négation, exemple du matérialisme et de l’idéalisme

À la suite, p. 382, ⅔Ou encore : la philosophie antique était à l’origine un matérialisme naturel. De celui-ci sortit l’idéalisme, le spiritualisme, la négation du matérialisme, d’abord sous la forme de l’opposition de l’âme et du corps, puis dans la doctrine de l’immortalité et dans le monothéisme. Grâce au christianisme, ce spiritualisme s’est universellement répandu. La négation de la négation est… la reproduction de l’ancien au stade supérieur, le matérialisme moderne qui trouve, vis-à-vis du passé, sa conclusion théorique dans le socialisme scientifique.

Ceci est un exemple non nuisible. Tout historien, toute personne observant l’histoire pourrait faire cette observation. Ce n’est dangereux que dans l’esprit d’Engels quand il pense que c’est la marque et la confirmation d’une loi et dans l’esprit de ceux que cela convainc.

Mots-clefs : ❦ dialectique, comme lois générales du mouvement et du développement de la nature, de la société et de la pensée

À la suite, p. 382, vers le basDonc, avant que Dühring chasse la négation de la négation de la dialectique et de la pensée, il sera obligé de la chasser de la nature et de l’histoire et d’inventer des mathématiques où − a × − a ne soit pas = + a² et où l’une des racines carrées de + a² ne soit pas − a.

Ceci est sans doute une des prétentions les plus fortes concernant la dialectique. La négation de la négation n’est pas seulement une manière de voir le monde (on pourrait tolérer qu’elle aide à penser le monde pour ceux à qui ce genre de dialectique dit quelque chose), c’est pour Engels une force, réellement existante, qui fait effectivement que le monde est ce qu’il est, au point que si elle n’existait pas, le monde serait différent et les mathématiques aussi. On ne pourrait penser sans négation de la négation (comme il reproche à Dühring de prétendre pouvoir le faire) qu’un autre monde, où la négation de la négation n’existerait pas. À un monde privé de négation de la négation, il faudrait d’autres mathématiques, où il n’y aurait pas de racine négative.

À la suite, p. 382, dernière ligne et p. 383, hautCes processus naturels et historiques ont naturellement leur réflexion dans le cerveau pensant et s’y reproduisent, comme cela apparaît déjà dans les exemples ci-dessus de − a × − a, etc. ; et les problèmes dialectiques les plus élevés ne se résolvent qu’à l’aide de cette méthode.

Il semble dire que parce que la dialectique est inscrite réellement dans le monde, les problèmes que nous nous posons concernant le monde, ne peuvent être résolus par notre esprit que si celui-ci se conforme à ce monde, en étant lui même dialectique dans sa méthode. Il y a des problèmes plus dialectiques que d’autres. Les plus dialectiques ne peuvent pas être résolus sans cette méthode dialectique. Mais les problèmes du calcul différentiel et intégral, par exemple, ont été résolus par l’ingéniosité mathématique de mathématiciens, mais ni par Hegel, ni par Engels, ni par la dialectique (et on ne dirait rien de significatif sur ces mathématiciens en prétendant qu’ils se seraient montrés dialectiques sans le savoir).

Négation de la négation et contradiction
P. 385

Mots-clefs : ❦ idéalisme ❦ matérialisme ❦ matérialité du monde ❦ géométrie ❦ axiome

Avec la thèse de l’unicité de l’être qui embrasse tout, que le pape et le sheik ul Islam pourraient signer sans compromettre en rien leur infaillibilité et la religion, Dühring ne peut pas plus démontrer la matérialité exclusive de tout être qu’il ne peut, en partant de n’importe quel axiome mathématique, construire un triangle ou une sphère ou déduire le théorème de Pythagore. Pour l’une et l’autre chose, il faut des conditions préalables réelles, dont seule l’étude conduit à ces résultats. La certitude qu’en dehors du monde matériel, il n’existe pas encore un monde spirituel à part, est le résultat d’une étude longue et pénible du monde réel, y compris les produits et les procédés du cerveau humain. Les résultats de la géométrie ne sont pas autre chose que les propriétés naturelles des lignes, surfaces et corps différents, ou de leurs combinaisons, qui, pour la plupart, se présentaient déjà dans la nature bien longtemps avant que les hommes ne fussent là (radiolaires, insectes, cristaux, etc.).

Il a raison d’insister sur la matérialité et de rappeler que le matérialisme se fonde sur le développement des sciences. Il est imprudent quand il ramène la géométrie à la nature. Il néglige la capacité humaine de création théorique et que cette créativité est essentielle dans la science. La science ne peut jamais être réduite à une description de la nature et la mathématique encore moins.