Dominique Meeùs
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Anti-Dühring, Première partie, chapitre 7 — Philosophie de la nature : le monde organique ❦ lutte pour l’existence, limites de l’expression
Très bonne discussion de l’articulation logique Darwin, Malthus. Même si Darwin s’est inspiré de la théorie de Malthus, la théorie de la sélection naturelle ne repose pas logiquement sur celle de Malthus. Elle est prouvée indépendamment par son adéquation aux faits.
D’abord un aperçu des reproches de Dühring et autres à Darwin :
p. 100 ¾Le reproche primordial adressé à Darwin, c’est de transposer la théorie démographique de Malthus de l’économie dans la science de la nature, de rester prisonnier des conceptions de l’éleveur, de faire de la demi-poésie antiscientifique avec la lutte pour l’existence ; tout le darwinisme, une fois retirés les emprunts faits à Lamarck, est une exaltation de la brute dirigée contre l’humanité.
À cela, Engels répond d’abord par son exposé de ce que Darwin a vraiment dit :
p. 100 ⅞Darwin avait rapporté de ses voyages scientifiques l’opinion que les espèces de plantes et d’animaux ne sont pas constantes, mais changeantes. Pour continuer à suivre cette idée dans son pays, aucun terrain meilleur ne s’offrait que celui de l’élevage des animaux et des plantes. L’Angleterre en est précisément la terre classique ; les résultats d’autres pays, par exemple de l’Allemagne, sont bien loin de pouvoir donner la mesure de ce qui a été atteint p. 101"/>en Angleterre à cet égard. En outre, la plupart des succès datent d’un siècle, de sorte que la constatation des faits comporte peu de difficultés. Darwin a donc trouvé que cet élevage avait provoqué artificiellement, chez des animaux et des plantes de même espèce, des différences plus grandes que celles qui se présentent entre des espèces universellement reconnues comme différentes. Ainsi étaient donc prouvées d’une part, la variabilité des espèces jusqu’à un certain point, d’autre part, la possibilité d’ancêtres communs pour des organismes qui possèdent des caractères spécifiques différents. Darwin rechercha alors si, par hasard, il ne se trouvait pas dans la nature des causes qui — sans l’intention consciente de l’éleveur — provoqueraient à la longue sur des organismes vivants des transformations analogues à celles de l’élevage artificiel. Ces causes, il les trouva dans la disproportion entre le nombre énorme des germes créés par la nature et le petit nombre des organismes parvenant réellement à maturité. Mais comme chaque germe tend à se développer, il en résulte nécessairement une lutte pour l’existence, qui apparaît non seulement comme l’acte direct, physique de se combattre ou de se manger, mais aussi comme la lutte pour l’espace et la lumière, même chez les plantes. Et il est évident que, dans ce combat, les individus qui ont le plus de chance de parvenir à maturité et de se reproduire sont ceux qui possèdent quelque propriété individuelle, aussi insignifiante qu’on voudra, mais avantageuse dans la lutte pour l’existence. Ces propriétés individuelles ont par suite tendance à se transmettre par hérédité et, si elles se présentent chez plusieurs individus de la même espèce, à se renforcer par hérédité accumulée dans la direction qu’elles ont une fois prise, tandis que les individus qui lie possèdent pas ces propriétés succombent plus facilement dans la lutte pour l’existence et disparaissent peu à peu. C’est de cette façon qu’une espèce se transforme par sélection naturelle, par survivance des plus aptes.
Dühring prétend que le darwinisme n’est qu’une construction intellectuelle obtenue par généralisation abusive à l’ensemble du vivant de la théorie de Malthus. Engels répond (p. 101-102) que le darwinisme est une théorie autonome en bon accord avec les faits, que cette théorie ne repose en rien sur l’analogie avec celle de Malthus (même si cette analogie a pu, entre autres, inspirer Darwin). Engels note aussi de manière très fine (p. 102) que ce qui compte n’est pas l’expression « lutte pour l’existence » (expression que l’on peut considérer plus ou moins heureuse), mais la chose qui se passe incontestablement dans la nature, indépendamment du nom qu’on lui donne. Dühring en particulier trouve que lutte suppose une certaine volonté agressive qu’on ne trouverait que chez des animaux prédateurs évolués et pas entre les végétaux, par exemple. Engels signale au contraire dans le monde végétal aussi une évidente concurrence pour la lumière et le sol.
Il me semble cependant que, sur un point, Engels tombe dans la même erreur que Dühring (et qu’un grand nombre d’autres à leur époque et toujours aujourd’hui) : ne comprendre « lutte pour l’existence » que comme lutte entre individus, comme le combat entre animaux, la concurrence pour la lumière pour les plantes. Mais lutte pour l’existence veut dire d’abord, lutte (seul ou en groupe) contre les difficultés de l’existence : boire, manger, se protéger du froid, des prédateurs… Je devrais aller voir dans le contexte quel est le sens de l’expression chez Darwin.
Mots-clefs : ❦ darwinisme, agnostique sur l’origine des variations ❦ darwinisme, conciliation avec le lamarckisme ❦ darwinisme, ancêtre unique du vivant
Engels considère que Darwin laisse le champ libre quant à l’origine des variations et qu’on est donc en droit de chercher à remplir ce vide, en l’occurrence par l’adaptation.
p. 103 ⅕ […] Darwin fait abstraction des causes qui ont provoqué les modifications […] Pour Darwin, il s’agit au premier chef moins de trouver ces causes […] qu’une forme rationnelle dans lesquelles leurs effets se fixent, prennent une signification durable.
Mots-clefs : ❦ Lyssenko ❦ Mitchourine
Ce qui suit n’est pas d’Engels, mais c’est une note de bas de page (en 1950 !) à propos du passage précédent. Je la cite comme curiosité, comme triste témoignage du dégât causé dans les cerveaux de beaucoup de communistes de l’époque, surtout en France, par l’irrésistible ascension de Lyssenko en URSS.
En réalité, Darwin avait prévu le principe essentiel de l’hérédité mendélienne. L’idée, développée après lui, de la permanence de l’individualité des gènes, était incapable d’expliquer l’évolution, fait reconnu qu’en réalité elle niait : les généticiens introduisirent le mécanisme des mutations, ou changements qualitatifs brusques, qui sont la négation de l’hérédité stricte, puisqu’elles créent des formes nouvelles désormais héréditaires.
Toutefois les erreurs principales commises par l’école des généticiens (Mendel, Morgan) ont été :
1o de localiser les propriétés héréditaires de l’organisme exclusivement sur de petits organes des noyaux de leurs cellules, les chromosomes ;
2o d’attribuer au hasard l’apparition des mutations dans la vie courante.
Le savant Mitchourine, et après lui, ses successeurs, dirigés actuellement par T. D. Lyssenko, ont montré au contraire :
1o que l’ensemble de l’organisme participe aux phénomènes de l’hérédité ;
2o que les conditions de vie peuvent provoquer des transformations héréditaires, qui pourront à leur tour être modifiées par de nouvelles conditions de vie : si l’organisme ne trouve pas les conditions de vie qui lui sont nécessaires, il meurt ou il s‘adapte.
Ces conclusions de l’école mitchourinienne, conformes à la fois aux données de l’expérience et au matérialisme dialectique, conduisent naturellement, en créant des espèces végétales et animales nouvelles, à des applications pratiques d’une grande portée économique, sociale et politique. (N. R.).
Noter, dans la dernière phrase, la conformité au matérialisme dialectique, ou bien c’est parler pour ne rien dire, ou bien c’est insinuer que ce serait un critère de vérité scientifique, ce qui est dangereusement faux. Une théorie scientifique est juste quand elle est conforme à la réalité, pas à une position ou à une méthode philosophiques. Dans les faits, « ces conclusions de l’école mitchourinienne » ne sont conformes « aux données de l’expérience » que dans des vérifications insuffisantes ou biaisées.
Revenons à Engels, sur la question de la filiation du vivant :
p. 104 ⅛ Récemment, grâce à Haeckel surtout, l’idée de sélection naturelle a été élargie et la modification des espèces conçue comme le résultat de l’action réciproque de l’adaptation et de l’hérédité, l’adaptation étant représentée comme le côté modificateur et l’hérédité comme le côté conservateur du processus.
Dühring se gausse de l’idée, qu’il attribue à Darwin, d’un ancêtre unique de tout le vivant. Engels (p. 105) défend Darwin en disant qu’il a parlé plutôt de la descendance « d’un petit nombre d’êtres ». Engels cite ensuite Haeckel qui affirme « une souche absolument indépendante pour le règne végétal, une autre pour le règne animal », sans compter des lignées isolées de protistes. On admet aujourd’hui une filiation unique, l’unicité du vivant.