Dominique Meeùs
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En fait, le chapitre s’étend d’abord sur des exemples de contradictions. Quant à la quantité et à la qualité, cela constitue la deuxième moitié du chapitre.
Mots-clefs : ❦ logique à deux valeurs de vérité ❦ logique dialectique ❦ contradiction ❦ absurde, démonstration par l’— ❦ démonstration par l’absurde
p. 151 Dühring parle de la contradiction comme d’une absurdité. p. 152Engels croit pouvoir lui répondre du point de vue de la dialectique. Mais si on se place sur le terrain de la logique à deux valeurs de vérité, il y a bien absurdité de la contradiction. C’est en ce sens que les mathématiciens parlent de « démonstration par l’absurde ».
Mots-clefs : ❦ droite ❦ courbe ❦ calcul différentiel ❦ contradiction ❦ sens commun ❦ théorie ❦ science, en tant que distincte du sens commun ❦ langage ordinaire ❦ langage scientifique.
p. 152Dühring, pour qui la contradiction c’est l’absurde, se gausse de l’idée qu’on puisse, selon Hegel, trouver du contradictoire objectivement existant dans les choses et les phénomènes. Pour lui répondre, Engels compare le droit et le courbe.
p. 152 ⅛[…] droit ne peut être courbe, et courbe ne peut être droit. Mais le calcul différentiel […] pose cependant, dans certaines conditions, droit et courbe comme équivalents […]
Il me semble qu’autant la dialectique est importante dans son sens général (tout est mouvement, etc.), autant les soi-disant « lois de la dialectique » sont faibles (pour être indulgent). Je pense que c’est de la pensée analogique, celle que la psychologie attribue aux enfants et aux sauvages. Je pense qu’on devrait pouvoir montrer, dans tous les exemples invoqués, que ce soit par Marx, par Engels ou par d’autres, en tout cas dans la nature, le monde physique, qu’il n’y a contradiction (dite aussi interpénétration des contraires) — ou négation de la négation, ou passage de la qualité à la quantité — qu’entre des formulations approximatives en langage ordinaire, pas entre les choses dont on parle. Autrement dit, dans tous les exemples d’application de « lois de la dialectique » il n’y a rien si ce n’est un défaut d’analyse ou une mauvaise analyse.
Dans la vie courante et dans le langage ordinaire, droit et courbe s’opposent. (Ce n’est d’ailleurs qu’à ce niveau qu’on peut rencontrer des droites et des courbes « dans le monde réel ».) Pour beaucoup d’objets, comme les règles, il est important en pratique qu’ils soient droits. Si on les retrouve courbes c’est parce qu’on les a malheureusement tordus et ils en deviennent inutilisables. D’autres choses sont préférées courbes et on serait bien malheureux d’en trouver droites. Ainsi, dans le langage ordinaire, ce qui est droit n’est pas courbe ; ce qui est courbe n’est pas droit. Ces deux notions s’opposent. Rien n’est à la fois droit et courbe. Il n’y a donc jamais contradiction.
En géométrie (et pas seulement pour « le calcul différentiel ») on peut définir une notion de courbe dont la droite est un cas particulier. La droite, mathématique, est alors une courbe, au sens des mathématiciens. (Et ces courbes et droites des mathématiciens sont des idéalisations qui n’existent que dans leur tête et pas « dans le monde réel ».)
Il n’y a ici absolument aucune contradiction ni aucune interpénétration ou unité des contraires, sauf à mélanger indûment les deux langages. Dans cet exemple, il n’y a donc rien à signaler, la dialectique n’a rien à voir ici, il n’y a qu’une analyse insuffisante d’Engels.
Mots-clefs : ❦ contradiction ❦ mouvement ❦ recherche Suzanne désepérément ❦ Suzanne, Recherche — désepérément ❦ Susan, Desperately Seeking — ❦ Zénon d’Élée.
Il cherche ensuite d’autres exemples de contradictions objectivement existantes dans les choses et les phénomènes.
P. 152, ⅗Le mouvement lui-même est une contradiction […] à un seul et même moment, un corps est à la fois dans un lieu et dans un autre lieu, en un seul et même lieu, et non en lui. Et c’est dans la façon que cette contradiction a de se poser continuellement et de se résoudre en même temps, que réside précisément le mouvement.
(Le plus souvent chez Engels, mouvement veut dire concept philosophique de mouvement, toute forme de changement, comme chez Aristote. Ici il s’agit bien de mouvement au sens commun de déplacement.)
Ça ne veut rien dire, ou, si ça veut dire quelque chose, c’est qu’Engels a du mal à concevoir le mouvement. Il a peut-être un problème du même genre que celui de Zénon d’Élée dans ses paradoxes du mouvement. (Plus probablement, il n’a aucun de problème avec le mouvement — sauf de chercher vainement à voir des contradictions partout, comme on recherche Suzanne désespérément.) Il ne peut pas ne pas se rendre compte qu’avec « à un seul et même moment, un corps est à la fois dans un lieu et dans un autre lieu », il s’interdit de penser la vitesse. (Si tout corps en mouvement est à la fois ici et ailleurs, sa vitesse est toujours à la fois nulle et infinie. Cela revient donc bien à s’interdire de penser la vitesse.) Ainsi l’humanité devrait se priver de la notion de vitesse pour faire place à celle de contradiction dialectique. Je crains que la notion de vitesse ne soit vachement plus féconde, et pratiquement, et théoriquement. Il accuse la pensée métaphysique d’être incapable (comme lui-même ?) de penser le passage du repos au mouvement et considère qu’en cela cette pensée concède l’existence objective d’une contradiction. L’argument est faible parce que la concession (alléguée) d’un ennemi peut difficilement être considérée comme preuve d’existence. C’est un effet purement rhétorique et « de se poser continuellement et de se résoudre en même temps » ne sont que des mots creux, du vent hégélien.
Au-delà de la vitesse, c’est le mouvement lui-même qu’il ne comprend pas, qu’il rejette. Il ne conçoit les choses qu’au repos. Il ne voit le mouvement que comme succession de repos. Un corps en mouvement ne peut être qu’au repos ici, ou bien au repos là, « à la fois dans un lieu et dans un autre lieu ». Dans la vision dialectique d’Engels, le mouvement au sens d’histoire, de transformation est l’état naturel des choses. Par contre, le mouvement proprement dit fait difficulté. Engels ne pouvant le comprendre ou l’admettre, ne peut qu’y trouver une contradiction. (Mais peut-être comprend-il bien le mouvement. Peut-être fabrique-t-il seulement un exemple forcé de contradiction parce qu’il veut de la contradiction à tout prix.)
Mots-clefs : ❦ contradiction ❦ identité ❦ changement ❦ vie ❦ reproduction ❦ Politzer, souliers jaunes ❦ Héraclite, fleuve.
P. 153[…] la vie consiste au premier chef précisément en ce qu’un être est à chaque instant le même et pourtant un autre.
Pour Engels, le mouvement au sens d’histoire, de transformation est l’état naturel des choses. Mais voici tout à coup, pour les besoins de la contradiction, que cela cesse de l’être. Voici maintenant que l’état naturel des choses est d’être immuables. Si une chose vit, évolue, se transforme, c’est une succession d’« immuables », de même que ci-dessus, le mouvement était une succession de repos. Ainsi, à cet état naturel de transformation, on cherche noise ; il faut le simuler dans la discontinuité d’états successifs en considérant que l’état suivant serait en quelque sorte présent dans le précédent ; les deux états coexistent, ce qui les fait se « contredire ».
J’aurais pensé que la vie consiste avant tout en la capacité de se reproduire, mais passons — Engels, bien sûr, le sait aussi. Ce problème de l’identité dans le changement n’est pas une contradiction existant dans les choses et les phénomènes parce que seul le changement existe objectivement. L’identité, c’est nous qui la pensons (avec généralement de bonnes raisons) dans le changement. Le problème de l’identité dans le changement n’est en rien propre à la vie. Un caillou « est à chaque instant le même et pourtant un autre ». (Il s’use.) Le pseudo-Politzer (apocryphe) en traite à propos de souliers jaunes et cela remonte au fleuve d’Héraclite.
Ce qu’il y a, c’est que partout, toujours (pas seulement dans le vivant) tout change. Engels a le mérite de l’avoir souligné et on peut qualifier cette vision de dialectique. Il n’y a cependant aucune « contradiction » entre identité et changement. Fondamentalement, il y a changement. Sur un autre plan, nous pouvons penser l’identité de certaines choses changeantes160. Nous pouvons bien sûr avoir le sentiment d’une difficulté à penser l’identité dans le changement. Il n’y a donc pas de contradiction, mais, si on n’analyse pas assez finement, le sentiment d’une contradiction.
Mots-clefs : ❦ contradiction ❦ connaissance, individuelle ❦ connaissance, collective ❦ connaissance, limites.
p. 153, ¼[…] dans le domaine de la pensée également, […] la contradiction entre l’humaine faculté de connaître intérieurement infinie et son existence réelle dans des hommes qui sont tous limités extérieurement et dont la connaissance est limitée, se résout dans la série des générations […]
Que l’espèce humaine, contrairement aux autres espèces animales (sauf exceptions limitées), puisse capitaliser la connaissance des générations successives, c’est effectivement très remarquable. Il n’y a contradiction entre mon cerveau fini et ce capital sans cesse enrichi que si je n’ai pas réfléchi au caractère collectif de la connaissance. Engels veut donner un exemple de contradiction. Mais, comme il fait ici une analyse juste du problème posé, il évacue la contradiction. Il donne donc un bon exemple en accord avec ma thèse que toute contradiction dialectique n’est que défaut d’analyse.
Mots-clefs : ❦ contradiction ❦ mathématiques supérieures ❦ mathématiques inférieures ❦ sécante ❦ parallèle ❦ sens commun ❦ théorie ❦ science, en tant que distincte du sens commun ❦ mathématiques, caractère abstrait des —.
P. 153, ½[… les] mathématiques supérieures […] réalisent cette autre contradiction que des lignes qui se coupent sous nos yeux doivent cependant, à cinq ou six centimètres seulement de leur point d’intersection, passer pour parallèles […]
[…] avec cette contradiction, et avec d’autres bien plus violentes encore, [les mathématiques supérieures] obtiennent des résultats non seulement justes, mais encore tout à fait inaccessibles aux mathématiques inférieures.
« À cinq ou six centimètres seulement », mazette ! On sent vraiment ici passer le vent du boulet de la contradiction.
Je ne sais pas à quoi il fait allusion, mais il est certain que dans la théorie qu’il a en vue, il n’y a pas contradiction. Il n’y a contradiction que dans l’esprit d’Engels qui confond le sens commun et une théorie mathématique particulière (dans laquelle, je suppose, les centimètres ne viennent rien faire). Dans les théories qui atteignent ces résultats « impossibles à atteindre », il n’y a pas de contradiction sinon ce ne seraient pas des mathématiques.
Il n’y a pas non plus la contradiction, qu’il voit ici comme souvent, entre « mathématiques supérieures » et « mathématiques inférieures ». Il est étonnant vu l’importance de l’abstraction chez Marx, qu’Engels est le premier à souligner, qu’il perde de vue à ce point le caractère abstrait des mathématiques.
Mots-clefs : ❦ contradiction ❦ puissance ❦ racine ❦ sens commun ❦ langage ordinaire ❦ langage scientifique ❦ théorie ❦ science, en tant que distincte du sens commun ❦ mathématiques, caractère abstrait des —.
P. 153, ¾C’est […] une contradiction qu’une racine de a doive être une puissance de a, et pourtant a½ = √ a.
Quand j’avais dix ans, je me suis disputé avec l’instituteur parce que, pour moi, diviser c’était partager, donc partir de quelque chose (une tarte) pour obtenir du plus petit (des portions de tarte). Je ne pouvais donc admettre que 5 divisé par ½ fasse 10, quelque chose de plus grand. Depuis (sans doute déjà quelques instants plus tard), j’ai compris la différence entre les mathématiques et le langage de la vie de tous les jours (et des goûters d’anniversaire). Pour Engels, de même, élever à une puissance va dans le sens du plus grand et extraire une racine doit donner du plus petit. De nouveau la contradiction n’est que confusion de niveaux de langage, entre le langage courant et le langage de la mathématique.
Mots-clefs : ❦ contradiction ❦ puissance ❦ racine carrée de – 1, comme contradiction ❦ nombres réels ❦ nombres complexes ❦ sens commun ❦ langage ordinaire ❦ langage scientifique ❦ théorie ❦ science, en tant que distincte du sens commun ❦ mathématiques, caractère abstrait des —.
C’est une contradiction qu’une grandeur négative doive être le carré de quelque chose, car toute grandeur négative multipliée par elle-même donne un carré positif. La racine carrée de – 1 n’est donc pas seulement une contradiction, mais même une contradiction absurde, un non-sens réel. Et pourtant, dans beaucoup de cas, √ – 1 est bien le résultat nécessaire d’opérations mathématiques exactes ; bien plus, où en seraient les mathématiques […] s’il leur était interdit d’opérer avec √ – 1 ?
Il y a déjà une subtile bizarrerie dans la première phrase : la deuxième occurrence de « négatif » ne vient rien faire. Le négatif n’est pas problématique dans ce qu’on multiplie mais dans le carré obtenu. (Peut-être a-t-il voulu dire que tous les carrés sont positifs et insister sur le fait que c’est vrai même si c’est un nombre négatif que l’on élève au carré. Peut-être est-ce mal traduit.) Quant à √ – 1, ce n’est pas une contradiction dans les nombres réels parce que √ – 1 n’y existe pas et ce n’est pas une contradiction dans les nombres complexes parce qu’ils ont été construits, en un sens, pour ça. Il n’y a de contradiction que si Engels ne sait pas qu’il y a d’une part l’ensemble des réels, et d’autre part l’ensemble des nombres complexes (construit pour étendre le premier) et mélange les deux.
Mots-clefs : ❦ variable, en mathématiques ❦ constante, en mathématiques ❦ dialectique ❦ métaphysique.
P. 153, bas, p. 154, hautLe parallèle d’Engels entre grandeurs variables et grandeurs invariables, d’une part, dialectique et métaphysique d’autre part, est assez fumeux et tiré par les cheveux.
Mots-clefs : ❦ contradiction ❦ force, antagonisme des —.
P. 154, ¼Je crois comprendre que Dühring qui assimile la contradiction à l’absurde (voir au début du chapitre 12) propose, en remplacement, l’antagonisme des forces.
Mots-clefs : ❦ contradiction ❦ contradiction, universalité de la — ❦ contradiction, moteur de changement ❦ Aristote ❦ Aristote, Métaphysique ❦ idéalisme ❦ mysticisme ❦ pythagorisme ❦ polaire, opposition —.
Non seulement, les exemples de contradiction avancés ici par Engels sont forcés ou, plus souvent encore, non pertinents, mais, préoccupé seulement de l’urgence de montrer l’universalité de la présence de la contradiction dans la nature, jamais il n’indique en quoi la contradiction soi-disant « existant dans les choses » serait source de changement, ni en quoi l’attention aux contradictions serait une méthode de pensée féconde. Il n’y a donc strictement rien à apprendre de cette partie du texte.
Cette obsession de voir partout des couples polaires : positif et négatif, droit et courbe, repos et mouvement… rappelle la pensée, encore idéaliste et mystique, des pythagoriciens dont parle, de manière critique, Aristote au livre Α, 5, 986 a 22 de sa Métaphysique.
Mots-clefs : ❦ loi du passage de la quantité à la qualité ❦ quantité, loi du passage de la — à la qualité ❦ qualité, loi du passage de la quantité à la — ❦ capital, seuil pour devenir un — ❦ loi de la dialectique, confirmation ❦ loi de la dialectique, induction ❦ loi de la dialectique, constatation ❦ loi de la dialectique, légalité des — ❦ loi de la dialectique, une — ne prouve rien
Engels souligne qu’il ne suffit pas à Dühring de se moquer de la dialectique (Marx se contenterait de « régler des miracles dialectiques pour ses fidèles », p. 155, ¼) pour que soit mise en question la valeur des travaux économiques de Marx. En particulier, Marx observe dans le Capital que pour que de l’argent puisse se transformer en capital, il en faut assez. Une somme trop petite ne peut jamais devenir capital.
Auf Seite 313 (2. Auflage des Kapital) zieht Marx aus der vorhergegangnen Untersuchung über konstantes und variables Kapital und Mehrwert den Schluß, daß
nicht jede beliebige Geld- oder Werthsumme in Kapital verwandelbar, zu dieser Verwandlung vielmehr ein bestimmtes Minimum von Geld oder Tauschwerth in der Hand des einzelnen Geld- oder Waarenbesitzers vorausgesetzt ist.
p. 156 ½ Marx tire, de l’étude qui précède sur le capital constant, le capital variable et la plus-value, la conclusion
que toute somme d’argent ou de valeur n’est pas à volonté transformable en capital, mais que cette transformation présuppose au contraire un minimum déterminé d’argent ou de valeur d’échange dans les mains du détenteur individuel d’argent ou de marchandises.
Op blz. 313 (2de druk van Het Kapitaal) trekt Marx uit het daaraan voorafgaande onderzoek over constant en variabel kapitaal en meerwaarde de gevolgtrekking dat
niet iedere willekeurige geld- of waardesom in kapitaal te veranderen is, dat voor deze verandering veeleer een bepaald minimum aan geld of ruilwaarde in handen van de afzonderlijke geld- of warenbezitter voorondersteld is.
Marx, on the basis of his previous examination of constant and variable capital and surplus-value, draws the conclusion that
not every sum of money, or of value, is at pleasure transformable into capital. To effect this transformation, in fact, a certain minimum of money or of exchange-value must be presupposed in the hands of the individual possessor of money or commodities.
Pour Dühring, c’est « l’idée nébuleuse et confuse de Hegel selon laquelle la quantité se change en qualité (p. 156 ⅜) ». Engels rétorque avec raison qu’il y a là chez Marx un raisonnement économique et non pas l’application de la loi de Hegel. C’est a posteriori que Marx fait remarquer qu’ « ici, comme dans les sciences naturelles, se confirme la loi constatée par Hegel dans sa Logique, loi d’après laquelle de simples changements dans la quantité, parvenus à un certain degré, amènent des différences dans la qualité. » (C’est Engels qui souligne.) Ceci est très important : la dialectique intervient a posteriori (déjà chez Hegel, la loi est « constatée »), elle n’a servi à rien (elle n’a pas servi de preuve, ni même de prémisse, ni même d’inspiration) dans la réflexion de Marx (situation semblable au début du chapitre 13) ; l’accusation de Dühring est donc gratuite.
Marx observe seulement que la loi « se confirme » dans ce cas. (Littéralement, « se confirme la validité de la loi découverte par Hegel », dans le texte allemand.) Marx semble penser que, comme elle se vérifie aussi dans les sciences de la nature (il parle de la chimie en note du Capital et dans une lettre à Engels), Hegel aurait raison d’en affirmer l’exactitude universelle, la « légalité ». Marx ne prétend cependant pas que cet exemple à lui seul prouve la loi de Hegel. Engels, qui vient de souligner « confirme », paraphrase Marx comme suit :
Marx dit : […] ce fait est une preuve de l’exactitude de la loi de Hegel.
Engels glisse d’une confirmation à « une preuve ». C’est l’éternel problème de l’induction. Une confirmation peut être considérée comme un élément probant. Ce n’est pas une preuve. Mais peut être Engels a-t-il écrit « une preuve » avec l’article indéfini en pensant élément probant.
Mots-clefs : ❦ loi du passage de la quantité à la qualité ❦ eau ❦ glace ❦ vapeur ❦ changement de phase
Engels cite alors l’exemple des changements de phase de l’eau, dont il a déjà parlé dans un autre chapitre (il faudrait tout relire) et il se réjouit de ce que Dühring y reconnaisse un saut qualitatif.
Mots-clefs : ❦ loi du passage de la quantité à la qualité ❦ quantité, loi du passage de la — à la qualité ❦ qualité, loi du passage de la quantité à la — ❦ loi de la dialectique, induction ❦ loi de la dialectique, légalité des — ❦ qualité, définition ❦ dialectique, comme méthode ❦ Aristote ❦ Mao Zedong
Il se fait fort de pouvoir citer « dans la nature comme dans la société humaine des centaines de faits pareils pour prouver cette loi », et renvoie entre autres à la quatrième section du Capital (où il faudrait aller voir).
Il ne précise pas plus sa centaine de faits et on peut se demander ce que ça prouverait. Je ne vois pas comment des centaines de situations hétéroclites que l’on peut décrire comme saut qualitatif prouveraient l’existence d’une loi selon laquelle il en serait toujours ainsi, puisqu’il pourrait toujours y avoir des milliers de situations où il n’en est rien. Une « loi » qui dirait « parfois la quantité se change en qualité » ne serait pas une loi, pas plus que l’affirmation (vraie) qu’ « il y a des jours où il pleut et d’autres où il ne pleut pas ».
Pour que la « loi de la transformation de quantité en qualité » soit une loi, il faudrait aussi définir ce qu’on veut dire par « qualité » dans cette loi. Si, comme on le prétend, cette loi est absolument générale, il faudrait une définition « absolument générale » de « qualité » ce qui parait beaucoup demander. Il est difficile de comparer utilement la qualité solide, liquide ou gazeuse de l’eau et la qualité de capital d’une somme d’argent.
Je me demande dans quelle mesure ce couple quantité, qualité n’est pas un héritage du couple aristotélicien matière, forme.
Ce qui serait intéressant c’est de montrer qu’il y a des situations où on risque une erreur de jugement en perdant de vue la possibilité d’un « saut qualitatif ». Il faudrait faire des recherches dans ce sens dans la littérature marxiste (chez Mao Zedong ?) et dans l’histoire.
Mots-clefs : ❦ loi du passage de la quantité à la qualité ❦ quantité, loi du passage de la — à la qualité ❦ qualité, loi du passage de la quantité à la — ❦ molécule ❦ chimie ❦ Laurent ❦ Gerhardt ❦ traduction, remarque.
Engels cite Marx : « La théorie moléculaire appliquée dans la chimie moderne, et d’abord scientifiquement développée par Laurent et Gerhardt, ne repose pas sur une autre loi. » Malgré ce que Marx en écrit et tout le respect que j’ai pour lui, j’espère pour la chimie que la théorie moléculaire a des bases plus solides que les généralités de Hegel. Je suppose qu’il a été entraîné par sa plume. Lui qui dans sa lettre à l’éditeur des Отечественные записки affirme qu’on ne peut remplacer la recherche scientifique par des passe-partout philosophiques, ne peut sérieusement penser que la chimie reposerait sur une loi de Hegel. En outre la traduction proposée dans cette édition de l’Anti-Dühring n’est pas exactement celle du Capital ; il faudrait retourner à l’allemand.
L’exemple est développé par Engels en pure perte parce qu’il s’agit d’une différence qualitative dès le départ, qui ne résulte pas de l’accumulation de changements quantitatifs. Des corps chimiques sont différents parce qu’il sont constitués d’un arrangement (qualitativement) différent d’atomes, même si c’est à partir de quantités différentes des mêmes atomes. Il n’est pas question ici d’évolution ou de changement quantitatif puis qualitatif d’une seule et même chose, il y a comparaison de choses différentes. Si je construis une maison avec une certaine quantité de briques et de pierres, puis une autre avec un peu plus de briques et de pierres du même genre, la différence des maisons ne résulte pas de ce qu’Hegel a dit que la quantité se change en qualité, mais de ce que j’ai conçu deux maisons différentes.
Mots-clefs : ❦ loi du passage de la quantité à la qualité ❦ quantité, loi du passage de la — à la qualité ❦ qualité, loi du passage de la quantité à la — ❦ Mameluks.
L’exemple des Mameluks de Napoléon est aussi dépourvu d’intérêt.
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