Dominique Meeùs
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8. Les « théories » social-démocrates de l’impérialisme

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Même les économistes bourgeois se rendent compte que l’impérialisme représente quelque chose de nouveau en comparaison de la période précédente du développement du capitalisme. Ces nouveaux phénomènes — la formation de monopoles gigantesques, le changement radical dans le rôle des banques, etc. — sont si clairs et si évidents qu’il est tout à fait impossible de se borner à les nier. Les savants bourgeois consacrent d’énormes travaux « scientifiques » à la description des cartels, des banques, aux problèmes de l’exportation du capital, etc. Mais dans le meilleur des cas, ils ne donnent qu’une description extérieure de tous ces phénomènes de l’étape impérialiste du développement du p. 320capitalisme. Ils ne peuvent expliquer d’une façon réellement scientifique la portée de tous ces phénomènes, le rôle historique de l’impérialisme. En premier lieu, l’économie politique bourgeoise a déjà depuis longtemps cessé d’être une science, bien avant l’impérialisme, dès la première moitié du 19e siècle. En second lieu, toute tentative d’aborder d’une façon réellement scientifique l’étude de l’impérialisme doit inévitablement aboutir à la constatation du fait que l’impérialisme est la dernière étape du capitalisme, ce qui équivaut à un arrêt de mort prononcé contre le capitalisme. Les théoriciens social-démocrates ne peuvent ouvertement intervenir devant les masses ouvrières en tant que défenseurs de l’impérialisme, ils doivent se dissimuler derrière une phraséologie marxiste ou, en tout cas, faire semblant d’exprimer l’impérialisme sur la base de la doctrine marxiste du capitalisme, alors qu’en réalité ils falsifient et déforment Marx.

La théorie de l’impérialisme de Kautsky

Arrêtons-nous d’abord sur la théorie de l’impérialisme formulée par Kautsky déjà à l’époque de la guerre mondiale. Kautsky affirmait que l’impérialisme est la politique préférée des pays industriels hautement développés en vue de la conquête des pays agraires.

Cette définition de Kautsky renferme deux points extrêmement importants qui visent à détourner l’attention et les forces du prolétariat de la lutte contre l’impérialisme.

En premier lieu, Kautsky considère l’impérialisme comme la politique du capital industriel. Par conséquent, il n’accorde aucune importance à ce qu’il y a de nouveau dans l’impérialisme, à la domination des monopoles et du capital financier. Par cela même, Kautsky nie la nécessité pour le prolétariat de se poser de nouvelles tâches dans la lutte contre l’impérialisme et d’appliquer de nouvelles méthodes de lutte.

En second lieu, pour Kautsky, l’impérialisme est la politique, et encore seulement la politique préférée, du capital industriel. Par conséquent, Kautsky nie par cela même que l’impérialisme soit un stade de développement du capitalisme, il présente la chose comme si la bourgeoisie pouvait appliquer aussi une autre politique, non impérialiste ; il affirme même que cette politique de conquête est p. 321désavantageuse pour la bourgeoisie elle-même. Kautsky détache la politique de l’économie et appelle seulement à la lutte contre la politique impérialiste. Mais une lutte contre la politique de la bourgeoisie, qui n’attaque pas la base de cette politique, la base économique, n’est pas une véritable lutte.

C’est pourquoi la théorie de Kautsky est une théorie du renoncement à la lutte contre l’impérialisme ; elle est un soutien pour l’impérialisme.

La théorie du « surimpérialisme »

La théorie du « surimpérialisme » de Kautsky est intimement liée à sa définition de l’impérialisme. Kautsky affirme que le développement économique conduit à un tel enchevêtrement des intérêts de la bourgeoisie des différents pays qu’il devient de plus en plus désavantageux pour la bourgeoisie d’user d’un moyen de lutte tel que la guerre. Le développement économique lui-même pousse prétendument la bourgeoisie à la solution pacifique des conflits et à des ententes, à la formation d’une économie capitaliste mondiale, unique et organisée. Le développement de l’impérialisme conduit au surimpérialisme.

Cette « théorie » prend pour point de départ l’hypothèse que le développement du capitalisme se poursuit d’une façon égale dans tous les pays et que, par conséquent, le rapport des forces entre la bourgeoisie des divers pays ne change pas. Mais, en réalité, comme nous l’avons déjà montré plus haut, non seulement le développement est inégal, mais cette inégalité s’accentue à l’époque de l’impérialisme. C’est pourquoi le rapport des forces entre les pays impérialistes change constamment et lorsque le monde entier est déjà partagé et la lutte engagée pour un nouveau partage, cela amène inévitablement des guerres. Car…

… y avait-il, sur les bases du capitalisme, un moyen autre que la guerre de remédier à la disproportion entre le développement des forces productives et l’accumulation des capitaux, d’une part, et le partage des colonies et des « sphères d’influence » par le capital financier, de l’autre ? (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 108.)

La théorie du « surimpérialisme », élaborée par Kautsky au plus fort de la guerre impérialiste mondiale, avait pour but de semer dans la classe ouvrière l’illusion qu’après p. 322cette guerre devait venir une paix éternelle, que cette guerre était « la dernière ». Cette « théorie » devait, par conséquent, détourner l’attention de la classe ouvrière de la cause réelle des guerres impérialistes et de l’unique moyen d’en finir avec la guerre, de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Cette « théorie » appelait le prolétariat à soutenir « sa » bourgeoisie dans cette guerre.

La théorie du « surimpérialisme » n’est donc pas seulement fausse, elle est entièrement hostile aux intérêts de classe du prolétariat, elle sert…

… uniquement au plus réactionnaire des buts : à détourner l’attention de la profondeur des contradictions en présence. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 104.)

La théorie du « capitalisme organisé »

Après la guerre, surtout dans la période de la stabilisation partielle du capitalisme, la social-démocratie a lancé la théorie du capitalisme organisé, qui est la continuation directe de la théorie du surimpérialisme. D’après cette théorie, les monopoles suppriment totalement la concurrence qu’ils remplacent par l’organisation planifiée de toute l’économie, dans les limites de tout un pays et ensuite à l’échelle mondiale.

Hilferding, qui a développé cette « théorie », estime que le capitalisme organisé signifie en réalité la substitution au principe capitaliste de la libre concurrence du principe socialiste de la production planifiée. Et, à sa suite, toute la social-démocratie déclara que l’humanité était déjà entrée dans la phase socialiste ; l’impérialisme serait non du capitalisme tardif, mais déjà du « socialisme précoce ».

La théorie du capitalisme organisé est aussi fausse que sa devancière, la théorie du surimpérialisme. L’inégalité, d’ailleurs toujours, croissante du développement existe non seulement entre les pays, mais aussi à l’intérieur d’un même pays entre les différentes branches de la production, entre les diverses unions monopolistes à l’intérieur d’une même branche, etc.

Comme le monopole reste un monopole capitaliste, c’est-à-dire basé sur la propriété privée capitaliste, il ne peut p. 323abolir la concurrence, mais coexiste avec elle. Il en ressort tout à fait clairement l’absurdité des affirmations de la social-démocratie selon lesquelles le capitalisme peut se transformer en un capitalisme organisé et abolir les crises.

Que les cartels évitent les crises, c’est là un conte fantaisiste des économistes bourgeois disposés à tout prix à rendre moins hideux le capitalisme. Au contraire, le monopole créé dans certaines branches d’industrie, augmente, aggrave le chaos inhérent à l’ensemble de la production capitaliste. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 36.)

La légende social-démocrate du « capitalisme organisé » n’a rien de commun avec la réalité. La meilleure preuve en est la crise économique actuelle qui a éclaté en 1929 et a porté un coup mortel à la théorie du « capitalisme organisé ».

Si la théorie du « surimpérialisme » avait été élaborée dans le but d’amener la classe ouvrière à soutenir la bourgeoisie dans sa guerre de pillage pour un nouveau partage du monde, avec la théorie du « capitalisme organisé » la social-démocratie se donnait pour tâche d’amener la classe ouvrière à soutenir la bourgeoisie dans sa tentative de trouver une issue à la profonde crise générale dans laquelle le capitalisme est tombé lors du déclenchement de la guerre mondiale et surtout avec le début de la révolution prolétarienne.

La bourgeoisie a tenté de trouver cette issue par la voie de la rationalisation capitaliste, qui signifie une exploitation féroce, sans précédent, de la classe ouvrière.

La théorie de la « démocratie économique »

La social-démocratie, était le défenseur le plus acharné de la rationalisation capitaliste. Pour obliger les ouvriers à soutenir cette rationalisation, les théoriciens social-démocrates ont formulé la théorie du « capitalisme organisé », qui est, paraît-il, déjà du socialisme, et ils ont cherché à prouver aux ouvriers que ceux-ci faisaient des sacrifices, non au capitalisme, mais à eux-mêmes, que dans le capitalisme organisé domine la « démocratie économique », que la classe ouvrière participe déjà à la direction de l’économie, que les cartels et les trusts représentent des p. 324éléments du socialisme, que la toute-puissance du capital arrive à sa fin, etc.

Il est aisé de voir que toutes ces « théories » ont pour but de duper les masses. Il existe bien une organisation dans chaque usine capitaliste et néanmoins elle ne cesse pas d’être capitaliste. C’est pourquoi l’organisation capitaliste de la production, qui dépasse les limites d’une entreprise et embrasse (dans les limites d’un consortium ou d’un trust) un grand nombre d’entreprises, n’est pas non plus du socialisme. Voir du socialisme partout où il y a des éléments d’organisation, cela signifie supprimer tout à fait la différence entre le capitalisme et le socialisme.

Là où les moyens de production sociaux appartiennent aux capitalistes et non à la classe ouvrière, il n’y a pas de socialisme, quel que soit le nombre des éléments d’organisation.

Il n’y a rien de socialiste dans l’élargissement de l’organisation de la production au-delà du cadre d’une seule entreprise. Les entreprises ne deviennent socialistes que lorsqu’elles sont expropriées et deviennent la propriété collective de la classe ouvrière dans la personne de son État.

Dans la période du capitalisme monopoliste, il ne se forme pas d’éléments de socialisme ; nous observons seulement la complète maturité des prémices pour la transition au mode socialiste de production. En même temps, les contradictions de classes s’aggravent à l’extrême et une explosion révolutionnaire se prépare contre le capitalisme.

La période de transition du capitalisme au communisme ne commence que du jour où la dictature du prolétariat est instaurée.

Entre la société capitaliste et la société communiste, dit Marx, se place la période de la transformation révolutionnaire de la première en la seconde. À quoi correspond une période de transition politique où l’État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat. (K. Marx et F. Engels : Critiques des programmes de Gotha et d’Erfurt, p. 33. Bureau d’éditions, 1933.)

La social-démocratie présente le capitalisme monopoliste comme le véritable commencement du socialisme, afin de détourner la classe ouvrière du renversement révolutionnaire du capitalisme, afin de sauver le capital agonisant.

p. 325

La théorie du « capitalisme d’État »

Après que, devant la crise actuelle, les théories du « capitalisme organisé » et de la « démocratie économique » eurent entièrement fait faillite, la social-démocratie tenta de les faire reparaître sous la forme de la théorie du « capitalisme d’État ». Lorsque, en 1931, commença la série des faillites des grandes banques, des trusts et des konzerns, le capital monopoliste se mit à utiliser de façon intensive le trésor de l’État pour sauver les entreprises en faillite et pour prévenir de nouvelles banqueroutes. L’État accorde à ces entreprises d’énormes subventions sous la forme d’achat d’une partie de leurs actions, et il se procure les moyens de le faire par l’augmentation des impôts, par la réduction des secours aux chômeurs et aux invalides, par la compression des dépenses pour l’instruction publique, etc. Ce pillage des masses travailleuses au profit de l’oligarchie financière est présenté par les chefs social-démocrates comme une intervention de l’État (qui, selon la théorie social-démocrate, n’est pas un État de classe, mais un État « au-dessus des classes », l’État « de tout le peuple ») dans les affaires des capitalistes ; en achetant une partie des actions, l’État, paraît-il, devient un des associés des entreprises sauvées et obtient le contrôle de ces entreprises qui cessent d’être capitalistes et deviennent prétendument des organismes de capitalisme d’État ne se distinguant en rien des organismes socialistes.

Mais même si ces entreprises passaient entièrement entre les mains de l’État, même si elles devenaient vraiment des organismes de capitalisme d’État, elles ne seraient pas socialistes parce que, dans la société bourgeoise, l’État n’est que l’organe exécutif de la classe des capitalistes. En son temps, Engels a raillé impitoyablement les « socialistes » qui voyaient dans la construction des chemins de fer d’État le commencement du socialisme :

ce n’était nullement là des mesures socialistes, directes ou indirectes, conscientes ou inconscientes. Autrement ce seraient des institutions socialistes que la Société royale de commerce maritime, la Manufacture royale de porcelaine, et même, dans la troupe, le tailleur de compagnie […].

Engels : Anti-Dühring, p. 317.
p. 326

Et la social-démocratie actuelle appelle non seulement capitalisme d’État, mais même socialisme le fait que l’État fait passer l’argent des poches des masses populaires exploitées dans les poches des capitalistes en faillite. Lorsqu’en 1931 fut publié le décret extraordinaire du gouvernement allemand sur les subventions aux banques, sur l’augmentation des impôts et sur la réduction des salaires et des dépenses sociales, un des chefs de la social- démocratie allemande, Hilferding, déclara tout net que ce décret était… un morceau de socialisme.

Les théories de Trotski et des opportunistes de droite sur l’impérialisme

Le trotskisme et l’opportunisme de droite ont, bien que sous des formes différentes, adopté dans son essence la théorie social-démocrate de l’impérialisme.

Déjà, au cours de la guerre de 1914-1918. Trotski lança le mot d’ordre des « États-Unis d’Europe », entièrement basé sur la théorie kautskiste du surimpérialisme. Trotski affirmait que le développement du capitalisme conduit à une union des États capitalistes de l’Europe en un trust impérialiste unique et que cette union serait un pas en avant. Trotski ne lançait pas le mot d’ordre de la révolution prolétarienne et de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, mais le mot d’ordre des « États-Unis d’Europe » dans le régime capitaliste.

Lénine dévoila immédiatement ce mot d’ordre et montra qu’il découle de la négation de l’inégalité grandissante du développement à l’époque de l’impérialisme et signifie la négation de la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays. Les « États-Unis » de l’Europe capitaliste, c’est-à-dire le surimpérialisme, sont impossibles en raison de l’accentuation de l’inégalité du développement. Mais en admettant même la possibilité d’une telle union de l’Europe capitaliste, elle amènerait, en réalité, un renforcement de l’impérialisme et de son oppression dans les métropoles et les colonies.

La théorie kautskiste du « surimpérialisme » adoptée par Trotski sous la forme du mot d’ordre des « États-Unis d’Europe » constitue, comme nous le montrerons dans le paragraphe suivant, la base de sa théorie de l’impossibilité, de construire le socialisme en U.R.S.S. Ce n’est pas par p. 327hasard que le trotskisme s’est transformé en avant-garde de la bourgeoisie contre-révolutionnaire et ce n’est pas par hasard que Trotski, conjointement avec Kautsky, lutte contre l’U.R.S.S.

L’opportunisme de droite a également adopté, mais sous une autre forme, la théorie social-démocrate de l’impérialisme. Ainsi, le camarade Boukharine affirmait que dans le capitalisme contemporain l’anarchie est de plus en plus évincée par l’organisation, que nous assistons à l’établissement du capitalisme d’État qui

… signifie l’affaiblissement de la concurrence à l’intérieur de chaque pays et une très forte aggravation de la concurrence entre les pays capitalistes. (Pravda, 26 mai 1929.)

Mais la théorie de l’affaiblissement de la concurrence à l’intérieur de chaque pays n’est rien d’autre que la théorie du « capitalisme organisé ». Il est vrai que le camarade Boukharine estimait que la concurrence s’accentuait sur le marché mondial, mais cette affirmation contredit son autre affirmation concernant l’affaiblissement de la concurrence à l’intérieur de chaque pays. Car si le capitalisme organisé est possible dans les limites d’un seul pays, c’est-à-dire si le « capitalisme organisé » est possible en général, il doit l’être aussi à l’échelle mondiale.

Ce n’est pas par hasard que la déviation de droite a adopté la théorie social-démocrate du « capitalisme organisé ». Cette théorie a ses racines dans toute la conception théorique générale des droitiers (la compréhension de la valeur comme une « loi de l’équilibre » et par cela même la dissimulation des contradictions du capitalisme, la « loi de la dépense du travail », la réduction des rapports de production à la technique, etc.). Elle n’est qu’une partie composante de toute la plate-forme de la déviation de droite et on ne peut l’en séparer. C’est précisément de là que découle l’appréciation par les droitiers de la période de stabilisation partielle et précaire du capitalisme comme d’une stabilisation durable et solide, la capitulation de fait des droitiers devant l’idéologie et la politique de la social-démocratie au lieu d’une lutte implacable contre elle. Voilà pourquoi l’Internationale communiste menait et mène une lutte impitoyable contre les opportunistes de droite comme les agents de la social-démocratie dans les rangs des partis communistes. Exclus de l’Internationale communiste, les p. 328renégats droitiers (Brandler, Lovestone, et autres), de même que les trotskistes, ont entièrement dévoilé leur nature contre-révolutionnaire en intervenant ouvertement, conjointement avec les chefs social-démocrates, contre le communisme.

La théorie de Rosa Luxembourg

En conclusion, arrêtons-nous encore sur la théorie semi-menchévik de l’impérialisme de Rosa Luxembourg. Nous avons déjà plus haut pris connaissance de la théorie de l’accumulation de Rosa Luxembourg. Cette dernière est la base de sa théorie de l’impérialisme selon laquelle l’impérialisme est conditionné par l’impossibilité de l’accumulation dans un régime capitaliste pur, c’est-à-dire dans une société capitaliste qui comprend seulement des ouvriers et des capitalistes. L’impérialisme, c’est, selon son opinion, la politique de la soumission des « tierces personnes », c’est-à-dire des pays agraires arriérés, aux pays industriels capitalistes, hautement développés, politique qui découle de l’impossibilité de l’accumulation.

Il n’est pas difficile de voir que Rosa Luxembourg, pareillement à Kautsky, nie l’impérialisme en tant qu’étape particulière dans le développement du capitalisme. Elle déduit l’impérialisme non pas du fait que le capitalisme a subi des modifications internes essentielles (domination des monopoles, capital financier), mais de l’existence d’une prétendue impossibilité de l’accumulation en régime capitaliste pur. Mais si l’impérialisme découle de l’impossibilité de l’accumulation, c’est que le capitalisme a toujours été impérialiste, car l’accumulation, selon Rosa Luxembourg, n’est jamais possible en régime capitaliste pur. Par conséquent, l’impérialisme existe depuis qu’existe le capitalisme, il n’est pas une étape de son développement.

Selon Rosa Luxembourg, les crises découlent non de la contradiction intérieure fondamentale du capitalisme, mais de la contradiction extérieure entre le capitalisme et les « tierces personnes » non capitalistes. De même, l’impérialisme n’est pas non plus le produit du développement des contradictions intérieures du capitalisme, mais l’expression de cette contradiction extérieure. Mais il s’ensuit que le capitalisme devra périr non du développement de ses contradictions intérieures, mais de la disparition des p. 329« tierces personnes » qui rendent possible l’accumulation du capital. Il est vrai que Rosa Luxembourg faisait cette réserve que la révolution prolétarienne aura lieu bien avant la disparition de ces « tierces personnes ». Mais cette réserve contredit sa théorie dont il découle que le capitalisme peut exister tant qu’existeront les « tierces personnes », les petits producteurs.

Il ressort de la théorie de l’impérialisme de Rosa Luxembourg que le capitalisme s’effondrera automatiquement et que cet effondrement doit avoir lieu quand disparaîtra la possibilité de l’accumulation. À l’opposé de l’aile opportuniste de la social-démocratie d’avant-guerre, Rosa Luxembourg se prononçait pour la nécessité de la révolution prolétarienne. Mais elle se représentait cette révolution uniquement comme un acte spontané. Ainsi, de même que l’aile opportuniste (y compris Trotski), elle niait la nécessité du parti en tant qu’avant-garde révolutionnaire, en tant que chef dirigeant et organisateur du prolétariat en vue de la révolution, et se mit du côté des mencheviks contre les bolcheviks dans la question des statuts du parti.

De sa théorie de l’accumulation et de l’impérialisme, il découle que le capitalisme fera automatiquement naufrage, et cette dernière affirmation conduit Rosa Luxembourg à compter sur le mouvement spontané des masses. C’est précisément pour cela que Rosa Luxembourg considérait la grève générale, et non l’insurrection armée comme l’arme principale de la révolution.

Tout en menant à la tête de l’aile gauche de la social-démocratie allemande d’avant la guerre, la lutte contre l’opportunisme, Rosa Luxembourg dans les problèmes fondamentaux de la tactique de la révolution prolétarienne, hésitait toutefois entre le menchévisme et le bolchévisme et intervint souvent contre le bolchévisme. Les social-démocrates de gauche dans l’Allemagne d’avant-guerre…

… possèdent également un grand et sérieux bagage révolutionnaire… C’est justement pour cela que les bolcheviks les considéraient comme des social-démocrates de gauche, les soutenaient et les poussaient en avant. Mais cela ne supprime pas et ne peut pas supprimer le fait que les social-démocrates de gauche en Allemagne commirent en même temps toute une série d’erreurs politiques et théoriques des plus graves, qu’ils ne s’étaient pas encore libérés de leur bagage menchevik et, par conséquent, avaient besoin de la critique la plus sérieuse de la part des bolcheviks. (J. Staline : « Sur quelques questions de l’histoire du bolchévisme », Internationale communiste, 15 nov.-1er déc. 1931, p. 1612.)

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C’est pourquoi toute tentative de présenter la question comme si les bolcheviks sous-estimaient les erreurs des « gauches » n’est rien d’autre qu’une tentative de faire reparaître la calomnie trotskiste suivant laquelle les bolcheviks ne sont devenus de véritables marxistes révolutionnaires que lorsqu’en 1917 ils se sont prétendument « réarmés » par l’étude de la théorie et de la tactique menchéviks de Trotski.

Ainsi nous voyons que la seule théorie juste et scientifique est la théorie léniniste de l’impérialisme qui continue et développe la doctrine de Marx de la ruine du capitalisme. Le grand mérite de Lénine consiste non seulement dans la découverte du fait que l’impérialisme est la veille de la révolution prolétarienne, mais aussi dans le fait que, sur la base de l’analyse des lois de l’impérialisme, il a développé la doctrine de Marx et d’Engels de la révolution prolétarienne et de la dictature du prolétariat. Le grand mérite de Lénine consiste également dans le fait que, après avoir découvert la loi du développement inégal des différents pays â l’époque de l’impérialisme, il a aussi découvert qu’il en découle la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays.

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