Dominique Meeùs
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6. L’impérialisme est un stade particulier, le stade suprême du capitalisme

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Nous avons examiné les cinq aspects essentiels de l’impérialisme. Nous avons vu qu’ils sont tous le résultat inévitable du développement du capitalisme.

L’impérialisme a surgi comme le développement et la continuation directe des propriétés essentielles du capitalisme en général. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 97.)

La concentration de la production conduit inévitablement à la formation de monopoles. La concentration des banques liée à celle de la production conduit inévitablement aux monopoles dans le domaine du crédit et à la fusion du capital bancaire avec le capital industriel, à la formation du capital financier. De même, la domination du capital financier conduit nécessairement au fait que l’exportation du capital joue un rôle prédominant dans les rapports économiques internationaux.

La domination des monopoles et du capital financier ainsi que l’exportation du capital engendrent inévitablement une lutte pour un nouveau partage du monde entre les unions monopolistes et une lutte entre les États impérialistes pour un nouveau partage territorial. Ainsi, l’impérialisme est un degré, un stade inévitable du développement du capitalisme.

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L’impérialisme, stade particulier du capitalisme

Ce qu’il y a d’essentiel au point de vue économique, dans ce procès [dans le procès de la transformation du capitalisme en impérialisme] c’est la substitution des monopoles capitalistes à la libre concurrence capitaliste. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 97.)

Si nous prenons chacun des aspects énumérés par nous, nous verrons qu’il représente une forme spéciale de monopole ou qu’il découle du monopole :

1. Le monopole est engendré par la concentration de la production ;

2. Le monopole est né de la concentration des banques, les monopoleurs du capital financier, l’oligarchie financière dominent ;

3. L’exportation du capital découle directement de la domination monopoliste du capital financier ;

4. Les cartels internationaux sont une forme de lutte entre les monopoles pour la domination monopoliste sur les marchés mondiaux ;

5. La lutte pour un nouveau partage territorial du monde est une lutte pour la possession monopoliste des colonies en tant que sources de matières premières, sphères d’investissement du capital et marchés d’écoulement pour les marchandises.

S’il était nécessaire de définir aussi brièvement que possible l’impérialisme, il faudrait dire que l’impérialisme est le stade de monopole du capitalisme. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 98.)

Au point de vue économique, le monopole est l’essentiel dans l’impérialisme. C’est précisément le monopole qui fait de l’impérialisme un stade particulier du capitalisme qui le distingue profondément de son stade précédent.

La domination des monopoles, le fait que le monopole pénètre tous les côtés de la vie sociale, donne à l’impérialisme un caractère tout à fait autre par rapport au stade précédent du capitalisme. La signification historique du monopole consiste dans son caractère transitoire et il en est de même pour l’impérialisme, en tant que stade particulier du capitalisme. À l’époque de l’impérialisme…

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… les éléments de l’époque de transition du capitalisme à une structure économique et sociale supérieure se sont pleinement affirmés et révélés. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 97.)

À l’époque de l’impérialisme, sont mûres toutes les prémices de l’organisation socialiste de la production. Par les cartels, les syndicats et les trusts, le capitalisme lui-même organise la production dans des branches entières ; le système bancaire est concentré à tel point qu’il peut déjà être transformé en un appareil de contrôle et d’enregistrement et, partant, d’organisation de la production à l’échelle nationale ; l’exportation du capital lie en un seul tout l’ensemble de l’économie mondiale et dans les cartels internationaux se manifeste la possibilité et la nécessité de l’organisation de la production à l’échelle mondiale.

Cependant, le capitalisme qui, au stade suprême, impérialiste, de son développement, a porté les forces productives au point où elles ont définitivement mûri pour leur complète socialisation, entrave et freine en même temps leur développement, empêche la socialisation véritable des forces productives de la société.

Les monopoles coexistent avec la concurrence. En organisant la production à une grande échelle dans des branches d’industrie entières et quelquefois aussi dans plusieurs branches, les grands monopoleurs utilisent cette organisation pour renforcer l’exploitation et pour lutter avec les autres monopoleurs pour une part plus grande de plus-value. Ils n’abolissent pas l’anarchie de la production, mais l’aggravent. De même que le capitalisme, en renforçant l’organisation sociale de la production dans chaque entreprise, renforce par cela même l’anarchie dans l’ensemble de la production sociale…

… le monopole créé dans certaines branches d’industrie augmente, aggrave le chaos inhérent à l’ensemble de la production capitaliste. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 36.)

Les banques, devenues des institutions capitalistes de caractère universel et tenant dans leurs mains l’ensemble de l’économie, ne sont pas utilisées pour organiser la production à l’échelle nationale, elles sont une arme entre les mains de quelques magnats du capital financier, entre les mains de l’oligarchie financière, pour spolier et piller toute p. 310la population. Les cartels internationaux, qui témoignent de la possibilité d’organiser la production à l’échelle mondiale, accentuent en réalité l’anarchie de la production et sont une forme de la lutte entre les monopoleurs pour le partage du monde, lutte qui aboutit inévitablement à des catastrophes mondiales, à des guerres impérialistes mondiales.

Le parasitisme et la décomposition du capitalisme

Comme, à son stade suprême de développement, le capitalisme rend les forces productives mûres pour une socialisation complète et empêche en même temps cette socialisation, la décomposition du capitalisme est inévitable.

Les rapports de l’économie privée et de la propriété individuelle constituent un tégument qui ne correspond plus à ce qu’il recouvre, et destiné à pourrir infailliblement si l’on en diffère artificiellement l’élimination. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 139.)

La décomposition du capitalisme au stade suprême de son développement est conditionnée par la nature même de l’impérialisme, en tant que capitalisme de monopoles. Tout d’abord, le monopole lui-même, pour autant qu’il est le contraire de la concurrence, pour autant qu’il assure des profits élevés au moyen de la hausse des prix, diminue les mobiles du perfectionnement de la technique de la production, c’est-à-dire crée une tendance à la stagnation. Les cas deviennent de plus en plus fréquents où les inventions nouvelles sont achetées par les organisations monopolistes, non pour les appliquer, mais pour qu’elles ne puissent être mises en pratique.

Le monopole, qui est le contraire de la concurrence, ne l’abolit pas, il coexiste avec elle. C’est pourquoi le progrès technique ne s’arrête pas. Mais en même temps les monopolistes l’entravent consciemment. Depuis quelques années, les savants bourgeois et les grands capitalistes affirment de plus en plus que tout le malheur de l’humanité consiste dans le développement de la technique, qui est trop avancée. Ainsi, en 1931, au congrès des syndicats réformistes allemands, un des principaux rapporteurs, le professeur Lederer, s’est ouvertement déclaré convaincu de la nécessité d’entraver le progrès technique. Et l’organe dirigeant de p. 311l’industrie lourde allemande, Die Deutsche Bergwerks Zeitung, déclarait déjà en 1930, ouvertement et sans aucune explication, que le capitalisme a heureusement la chance d’être encore capable d’entraver le progrès technique.

Depuis la crise économique mondiale actuelle, dans tous les pays capitalistes, en particulier aux États-Unis, ont apparu toute une série de projets qui préconisent des mesures telles que l’interdiction des inventions, le retour au travail manuel, etc.

La contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste est devenue, à l’époque de l’impérialisme, à tel point aiguë que le capitalisme s’est transformé en capitalisme pourrissant. Et malgré le fait qu’à l’époque de l’impérialisme les forces productives croissent tout de même en raison de l’aggravation de la lutte entre les capitalistes…

… la tendance à la stagnation et à la putréfaction propre au monopole continue à agir de son côté et, dans certaines branches d’industrie, dans certains pays, il lui arrive de prendre le dessus pour un certain temps. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 110.)

L’exportation du capital et la possession de colonies sont des facteurs qui accentuent la décomposition du capitalisme et transforment l’impérialisme en capitalisme parasitaire. Plus se développent l’exportation du capital et l’exploitation des colonies et plus se développe dans les États impérialistes la couche des capitalistes et de la petite bourgeoisie qui tire son revenu des emprunts étrangers, la couche des gens qui, tout à fait détachés de la production, vivent de la « tonte des coupons »…

… des gens dont l’oisiveté est la profession.

Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 110.

Cette couche de rentiers s’est accrue encore avant la guerre à tel point que, par exemple, en Angleterre le revenu des rentiers dépassait de cinq fois celui du commerce extérieur (et il faut considérer que l’Angleterre était le pays dont le commerce était le plus développé).

Dans la période d’après-guerre se poursuit la croissance du parasitisme des pays capitalistes. La somme totale des dividendes et des intérêts payés aux États-Unis, malgré une baisse dans les années de la crise, a passé de 1,8 milliard p. 312de dollars en 1913 à 6,1 milliards de dollars en 1933. En Angleterre, les revenus des titres à intérêts sont passés de 95 684 000 livres sterling en 1913-14 à 343 743 000 livres sterling en 1931-32, ce qui fait 10 % du revenu national du pays. Mais les revenus de ceux qui touchent la rente sur les investissements à l’étranger croissent d’une façon encore plus intensive. Ainsi, aux États-Unis, le revenu national de 1932 est presque égal à celui de 1915, mais les revenus tirés des investissements à l’étranger, y compris le remboursement de dettes de guerre, ont augmenté de plus de trois fois.

L’exportation du capital, une des bases économiques essentielles de l’impérialisme, accroît encore l’isolement complet de la couche des rentiers envers la production, donne un cachet de parasitisme à l’ensemble du pays, vivant de l’exploitation du travail de quelques pays et colonies transocéaniques. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 110.)

L’impérialisme c’est la domination du capital financier d’un petit groupe de pays sur le reste du monde, et c’est pourquoi, avec la croissance de la couche des rentiers, ces pays impérialistes deviennent des États rentiers qui dominent et exploitent tous les autres pays. Les États impérialistes se transforment en États rentiers parasitaires qui soutirent des surprofits fabuleux des colonies et des semi-colonies. À cette occasion surviennent des changements considérables dans les métropoles elles-mêmes, changements qui témoignent du parasitisme et de la décomposition toujours croissante du capitalisme. À côté de la situation sans cesse aggravée des masses prolétariennes, on constate le développement de l’industrie de luxe, la croissance du nombre des domestiques, des personnes occupées à servir la bourgeoisie dans les restaurants, hôtels de luxe, villes d’eaux, théâtres, etc. ; par contre, le nombre des ouvriers occupés dans les principales branches de l’industrie diminue. Ainsi, en Angleterre, le nombre des salariés occupés dans les branches qui produisent des objets de consommation pour la bourgeoisie s’est accru, de 1923 à 1930, de 28 %, tandis que le nombre des ouvriers des principales branches d’industrie a diminué de 30 %.

Le caractère parasitaire et la décomposition de l’impérialisme se manifestent avec le plus d’éclat dans la croissance du militarisme. En premier lieu, la croissance de l’industrie de guerre signifie que des forces productives énormes p. 313sont détournées de leur destination pour produire des moyens de destruction. À l’époque de l’impérialisme, aucune branche d’industrie ne peut rattraper l’industrie de guerre. Dans aucune branche d’industrie il ne se fait autant d’inventions et de perfectionnements que dans l’industrie de guerre. En second lieu, la guerre elle-même c’est la destruction directe des forces productives dans des proportions gigantesques, catastrophiques.

L’impérialisme, c’est le capitalisme dépérissant

Ainsi, à l’époque de l’impérialisme, la contradiction entre les forces productives sociales, déjà complètement mûres pour la socialisation, et les rapports de production capitalistes est parvenue à un tel degré d’acuité que, pour autant que le capitalisme continue d’exister et ne cède pas la place au socialisme, sa décomposition commence.

De tout ce qui a été dit plus haut sur la nature économique de l’impérialisme, il ressort qu’on doit le caractériser comme un capitalisme de transition, ou, plus exactement, un capitalisme agonisant. (Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 138.)

Lorsque nous disons que l’impérialisme, c’est le capitalisme agonisant, cela ne signifie certainement pas que le capitalisme meure de lui-même. La décomposition du capitalisme signifie une aggravation extrême des contradictions de classe, en premier lieu de la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat. L’oppression du capital financier devient à tel point insupportable, la paupérisation du prolétariat grandit à tel point que la révolte de celui-ci contre le régime capitaliste devient tout à fait inévitable.

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