Dominique Meeùs
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3. L’exportation du capital

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L’exportation du capital d’un pays dans un autre se distingue de l’exportation des marchandises sur les points suivants. La marchandise exportée renferme déjà la plus-value produite dans le pays exportateur. Sur le marché extérieur, c’est-à-dire dans le pays importateur, la plus-value contenue dans la marchandise ne fait que se réaliser, se convertir en argent. La situation est tout autre lors de l’exportation du capital.

Le capital est exporté sous la forme de capital de prêt et sous celle de capital productif. L’exportation du capital de prêt se présente sous forme d’emprunt accordé par les capitalistes du pays exportateur au gouvernement ou aux capitalistes d’un autre pays. Pour cet emprunt, le pays débiteur paye des intérêts. Dans ce cas, la plus-value est créée non par les ouvriers du pays qui exporte le capital, mais par ceux du pays qui l’importe, et ce sont les capitalistes exportateurs du capital qui reçoivent cette plus-value. De même que, pour l’exportation du capital sous la forme de moyens de production, lorsque les capitalistes fondent des entreprises dans un autre pays, la plus-value est créée dans le pays qui importe le capital et est appropriée par les capitalistes du pays qui l’exporte.

L’exportation du capital sous ces deux formes avait lieu bien avant le capitalisme monopoliste, mais elle ne dominait pas dans les rapports entre pays, c’est l’exportation des marchandises qui dominait. Ce n’est qu’à l’époque du capitalisme monopoliste que l’exportation du capital dépasse l’exportation des marchandises et que les rapports économiques entre pays sont déterminés en premier lieu p. 298par l’exportation du capital. Cette prédominance de l’exportation du capital est conditionnée par la transformation du capitalisme en capitalisme monopoliste.

Les causes de l’exportation du capital

La domination des monopoles et du capital financier conduit au fait que dans les pays impérialistes, se forme un excédent de capital, qu’on exporte dans les pays arriérés. Ce capital en « excédent » se forme en résultat des conditions fondamentales suivantes, créées par la domination du capital financier.

1. Le bas niveau de vie des masses. La paupérisation de la classe ouvrière et des masses laborieuses est en général caractéristique pour le capitalisme, mais à l’époque du capital financier la paupérisation s’accentue à l’extrême et le pouvoir d’achat des masses diminue en raison du fait que les monopoles maintiennent les prix à un niveau élevé. À l’intérieur du pays les marchandises sont vendues à des prix plus élevés que sur le marché extérieur (dumping). À la suite du rétrécissement du marché intérieur, une partie des capitaux devient superflue.

2. L’inégalité de développement des différentes branches de production s’accentue, et, en particulier, s’accentue le retard du développement de l’agriculture. Si le capitalisme pouvait liquider le retard de l’agriculture sur l’industrie, une partie des capitaux en excédent cesserait de l’être.

3. L’inégalité du développement des différents pays s’accentue. Dans les pays retardataires, la composition organique du capital est plus basse et c’est pourquoi le taux moyen du profit est plus élevé que dans les pays avancés. Dans les pays arriérés, la main-d’œuvre et les matières premières sont meilleur marché. Tout cela rend plus avantageux d’engager des capitaux dans un pays arriéré et crée un « excédent » de capital dans les pays du capital financier.

Tant que le capitalisme reste le capitalisme, l’excédent de capitaux est consacré non à élever le niveau de vie des masses dans un pays donné, car il en résulterait une diminution des bénéfices des capitalistes, mais à augmenter ces bénéfices par l’exportation du capital à l’étranger, dans les pays arriérés.

Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 260-261.
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Les données suivantes montrent l’accroissement rapide de l’exportation du capital au commencement du 20e siècle. En Angleterre, le total des capitaux exportés à l’étranger est passé de 1902 à 1914, de 62 milliards à 75-100 milliards de francs, en France de 27-37 à 60 milliards de francs, en Allemagne de 12,5 à 44 milliards de francs. Avant la guerre, les États-Unis étaient un pays où l’importation du capital dépassait l’exportation. C’est seulement depuis la guerre que le rôle des États-Unis dans l’exportation mondiale des capitaux a radicalement changé. En 1910, tous les capitaux exportés par la France, l’Angleterre et l’Allemagne se répartissaient comme suit : 32 % étaient placés en Europe, 36,5 % en Amérique (du Nord et du Sud), et 31,5 % en Asie, Afrique et Australie. En d’autres termes, plus des deux tiers du capital exporté de ces pays étaient investis dans des pays extra-européens.

Le capital financier jette ainsi ses filets au sens littéral du mot, pourrait-on dire, sur tous les pays du monde.

Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 264.

Après la guerre mondiale de 1914-1918, des transformations considérables se sont produites dans l’exportation du capital, quant au rôle des différents pays impérialistes. Mais le total de cette exportation n’a pas diminué ; elle a même au contraire augmenté. Ainsi la somme de l’exportation annuelle des capitaux dans quatre pays impérialistes (Angleterre, France, Allemagne, États-Unis) était en 1913 de 1,2 milliard de dollars, et en 1928, l’exportation du capital de trois pays seulement (Angleterre, France et États-Unis) atteignait 1 854 millions de dollars. Avec la crise économique actuelle, l’exportation du capital s’est fortement réduite, dès la première année de crise (1929), elle est tombée à 1 153 millions de dollars pour ces trois pays.

L’importance de l’exportation du capital

L’exportation du capital relie les différents pays beaucoup plus solidement que l’exportation des marchandises : elle crée une économie capitaliste mondiale unique. Elle contribue aussi à augmenter l’exportation des marchandises. p. 300D’habitude, le pays qui consent un emprunt à un autre pays, à un pays arriéré, met comme condition à cet emprunt, l’achat de ses marchandises.

Mais ce renforcement des liens économiques entre les différents pays ne conduit pas à une organisation planifiée de l’économie mondiale. En effet, le capital est exporté par les pays où domine le capital financier dans les pays arriérés. L’exportation du capital signifie la subordination des pays arriérés aux pays « avancés », aux pays du capital financier, elle signifie l’exploitation des premiers par les seconds. L’exportation du capital crée un système de domination et d’oppression impérialiste mondiales.

Le capital est exporté non par un seul pays, mais par plusieurs. C’est pourquoi l’exportation du capital signifie le partage du monde entre les pays du capital financier. Mais ce n’est pas un partage organisé et pacifique.

L’exportation du capital ne se fait pas de telle façon que chaque pays impérialiste exporte du capital dans un seul pays arriéré, où il est impossible aux autres pays d’exporter leur capital. Chaque pays impérialiste cherche à exporter et exporte du capital dans les pays où d’autres pays impérialistes exportent le leur, afin de ne pas leur laisser le monopole dans ces pays, afin de les empêcher de soumettre ces derniers.

Ainsi l’exportation du capital, en créant une économie capitaliste mondiale unique, accentue en même temps la lutte entre les pays impérialistes et aggrave les contradictions dans le monde entier.

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