Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique :
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L’analyse du procès de la reproduction et de la circulation du capital social nous a conduits directement à la question des crises. Nous avons vu que le mouvement du capital social était plein de profondes contradictions, qui sont l’expression de la contradiction fondamentale du capitalisme.
Ce mouvement s’effectue de façon irrégulière. Sa forme caractéristique se manifeste par des transitions rapides effectuées par bonds, allant de l’animation au déclin, à la crise, à la stagnation.
La vie industrielle devient ainsi une succession de périodes d’activité moyenne, de prospérité, de surproduction, de crise et de stagnation. (K. Marx : le Capital, t. 3, p. 124.)
Ces cycles de production se répètent périodiquement. Leur moment décisif, c’est la crise. Juste au moment où la production capitaliste est en pleine marche, où l’on produit des masses toujours croissantes de marchandises, où les prix montent et qu’avec eux augmentent les profits des capitalistes, où le chômage se réduit et où le salaire s’élève, c’est précisément à ce moment que, brusquement, éclate la crise.
Voici comment Engels décrit les crises :
Le commerce s’arrête, les marchés sont encombrés, les produits sont là aussi en quantités aussi massives qu’ils sont invendables, l’argent comptant devient invisible, le crédit disparaît, les fabriques s’arrêtent, les masses travailleuses manquent de moyens de subsistance pour avoir produit trop de moyens de subsistance, p. 248les faillites succèdent aux faillites, les ventes forcées aux ventes forcées. L’engorgement dure des années, forces productives et produits sont dilapidés et détruits en masse jusqu’à ce que les masses de marchandises accumulées s’écoulent enfin avec une dépréciation plus ou moins forte, jusqu’à ce que production et échange reprennent peu à peu leur marche. Progressivement, l’allure s’accélère, passe au trot, le trot industriel se fait galop et ce galop augmente à son tour jusqu’au ventre à terre d’un steeple-chase complet de l’industrie, du commerce, du crédit et de la spéculation, pour finir, après les sauts les plus périlleux, par se retrouver… dans le fossé du krach. Et toujours la même répétition.
Tel est le tableau général des crises. En parlant des crises, nous avons en vue non pas de quelconques dérèglements particuliers de la production sociale, c’est-à-dire non des crises particulières qui peuvent atteindre accidentellement une branche ou une autre, mais les crises générales qui atteignent toute la production capitaliste, toutes ses branches les plus importantes. Nous n’avons pas ici en vue les dérèglements de la production sociale provoqués par des calamités naturelles comme, par exemple, une mauvaise récolte, un tremblement de terre, etc., ou par des calamités nullement accidentelles, des phénomènes sociaux comme la guerre, — nous avons en vue non la sous-production, mais les crises de surproduction générale qui se produisent régulièrement en régime capitaliste.
On dit d’habitude que les crises proviennent de l’anarchie de la production. C’est inexact. L’anarchie de la production a régné également dans l’économie marchande simple et pourtant des crises ne s’y produisaient pas.
Dans une société de petits producteurs de marchandises, la liaison entre les petits producteurs isolés n’est pas organisée, elle se réalise spontanément par l’échange. Mais, ici, la division du travail est encore très peu développée par comparaison avec la division du travail dans la société capitaliste. Les moyens de travail individuels sont mis en mouvement par chaque producteur de marchandises personnellement ; la base de la production, c’est le travail à la main ; chacun de ces producteurs travaille isolément ; le travail est divisé entre les producteurs de marchandises p. 249indépendants, mais à l’intérieur des ateliers la division du travail n’existe pas. Comme la production, en général, n’était pas grande et que la division du travail était peu développée, le manque de liaison organisée entre les producteurs de marchandises ne pouvait avoir une grande importance, ne conduisait pas à des secousses dans toute la production sociale.
Les petits producteurs éparpillés effectuaient chacun plusieurs opérations à la fois et pour cette raison étaient relativement indépendants des autres : l’artisan qui semait lui-même le lin, le filait et le tissait, ne dépendait presque pas des autres. Ce régime des petits producteurs éparpillés et ce régime seul justifiait le dicton : « Chacun pour soi et Dieu pour tous », c’est-à-dire l’anarchie des fluctuations du marché. (V. I. Lénine : Œuvres complètes, tome 1, p. 95, édition russe.)
La situation est tout autre en régime capitaliste. Ici, le travail est devenu social. Chaque ouvrier forme une partie de la collectivité des ouvriers de l’entreprise. Les moyens de travail sont tels qu’un seul ouvrier ne saurait les mettre en mouvement. La division du travail existe non seulement entre les entreprises, mais aussi au sein de chaque entreprise. La production se fait en grand. La division du travail est poussée à l’extrême. Il existe plusieurs branches de production qui dépendent l’une de l’autre.
Le travail est socialisé par le capitalisme, non seulement dans le sens qu’au sein de l’entreprise, sous le commandement du capital, travaillent beaucoup d’ouvriers, mais aussi dans le sens que, de plus en plus, se renforce l’interdépendance des entreprises isolées.
La socialisation du travail par la production capitaliste ne consiste nullement dans le fait que des hommes travaillent dans une même entreprise (ce n’est là qu’une partie du processus) mais dans le fait que la concentration des capitaux est accompagnée de la spécialisation du travail social ; de la diminution du nombre des capitalistes dans chaque branche d’industrie donnée et de l’accroissement du nombre des branches particulières d’industrie. (V. I. Lénine : Œuvres complètes, t. 1, p. 95, édition russe.)
Plus le travail dans la société est spécialisé, plus chaque forme de travail dépend de toutes les autres, c’est-à-dire plus est développée la division du travail, et plus le travail est socialisé. Dans de telles conditions, dans les conditions du capitalisme, l’anarchie de la production entre en opposition avec le caractère social de la production.
Ainsi, l’anarchie de la production, dans la production marchande simple, a une incomparablement moindre importance que sous la domination du système capitaliste de production.
Dans le chapitre 3, nous avons montré comment la possibilité des crises apparaît déjà avec le dédoublement de la marchandise en marchandise et en argent, comment les crises, sous une forme embryonnaire, sont renfermées dans la marchandise en général.
C’est pourquoi la possibilité des crises existe déjà dans la production marchande simple. Mais cela est encore une possibilité seulement abstraite, c’est-à-dire une possibilité telle que, dans les conditions de la production marchande simple, elle ne peut pas encore se transformer en réalité.
Dans la production marchande simple, la production a pour but la satisfaction des besoins des producteurs de marchandises et non le profit. Le marché est limité parce que la division du travail n’est pas encore complètement développée. Dans la plupart des cas, le marché est local et facile à observer.
En outre, les forces productives de la société sont encore très peu développées — la production est encore une production individuelle à la main ; elle n’est pas une production de masse, elle s’effectue dans des dimensions limitées et ne peut pas s’élargir rapidement. C’est pourquoi, en régime de production marchande simple, il n’y a pas de crises générales de surproduction.
L’apparition de la production capitaliste conduit à un plus grand renforcement de la possibilité des crises et crée les conditions dans lesquelles la possibilité des crises se transforme en leur nécessité, et dans lesquelles les crises deviennent inévitables. En régime capitaliste, la production marchande prend une extension générale. La force motrice de la production c’est le profit ; chaque capitaliste cherche à élargir au maximum la production afin de tirer le maximum de profit. La production se fait en grand, avec l’emploi de machines. C’est pourquoi elle peut être rapidement élargie. Le crédit se développe, reliant en une seule chaîne tous les capitalistes. Avec le développement de la division du travail s’accentue l’anarchie de la production. En même p. 251temps, le capitalisme réduit le niveau de vie des masses ; la classe ouvrière se paupérise. L’élargissement de la production provoqué par la tendance du capital à obtenir une masse toujours plus grande de plus-value se heurte au pouvoir de consommation limité des masses. Toutes ces conditions rendent les crises inévitables.
L’économie marchande simple est caractérisée par la contradiction entre le travail social et le travail privé, sans qu’il y ait contradiction entre le mode de production et le mode d’appropriation (voir ch. 4). En régime capitaliste, la contradiction entre le travail social et le travail privé se transforme en contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
… l’appropriation par des particuliers du produit du travail social organisé par l’économie marchande, voilà ce qui constitue l’essence du capitalisme.
Comme la possibilité des crises, qui caractérisait déjà la production marchande simple, ne se transforme en leur nécessité que sur la base du capitalisme, il est évident que nous devons chercher la cause des crises, non directement dans l’anarchie de la production, mais plus profondément, — à savoir dans la contradiction fondamentale du capitalisme, qui le différencie de la production marchande simple. En quoi consiste l’essence même de la contradiction fondamentale du capitalisme ?
On ne doit pas se représenter cette contradiction dans la forme simplifiée : d’un côté, la production sociale, de l’autre le capitaliste ; d’une part les produits sociaux, de l’autre le capitalisme qui se les approprie.
La contradiction fondamentale du capitalisme consiste en ce que la production sociale est subordonnée à la classe des capitalistes. L’appropriation capitaliste n’est pas seulement l’appropriation des produits du travail des ouvriers par les capitalistes. C’est parce que les capitalistes sont les propriétaires des moyens de production sociaux qu’ils s’approprient les produits du travail social. La contradiction fondamentale du capitalisme réside, par conséquent, dans la domination du capital sur le travail social.
Il découle de cela que la production sociale elle-même p. 252existe non pour la satisfaction des besoins de la société, mais pour la satisfaction des besoins du Capital.
La limite véritable de la production capitaliste, c’est le capital lui-même, le fait que le capital, avec sa mise en valeur apparaît comme le commencement et la fin, comme la cause et le but de la production ; que la production n’est que de la production pour le capital, tandis que les moyens de production sont de plus en plus des moyens de l’extension continuelle du procès vital de la société des producteurs. (K. Marx : le Capital, t. 10, p. 187.)
La production sociale n’est qu’un moyen pour accroître la valeur du capital. Le capital cherche à élargir sans fin la production en vue d’augmenter autant que possible la plus-value en même temps que la valeur du capital (l’accumulation).
De plus, chaque capitaliste est obligé, sous menace de ruine, d’élargir et de perfectionner la production. Pour soutenir la concurrence, c’est-à-dire non seulement pour augmenter son profit, mais simplement pour ne pas être évincé du marché, chaque capitaliste cherche à vendre le meilleur marché possible. Il doit tendre continuellement à battre ses concurrents de crainte d’être battu par eux.
Or, pour battre les autres capitalistes par de bas prix, il faut réduire les frais de production, produire à meilleur marché, ce qui peut être obtenu au moyen de l’augmentation de la productivité du travail, au moyen d’un renforcement de l’exploitation, au moyen d’un élargissement de la production.
C’est la force motrice de l’anarchie sociale de la production qui transforme la perfectibilité indéfinie des machines de la grande industrie en une loi impérative pour chaque capitaliste industriel pris à part, en l’obligeant à perfectionner de plus en plus son machinisme sous peine de ruine…
Ce qui pousse ensuite les capitalistes à élargir leur production et à élever la productivité du travail sur la base d’une élévation de la composition organique du capital, c’est la baisse du taux moyen du profit, qui est elle-même le résultat de la croissance de la composition organique du capital. Plus est bas le taux moyen du profit, plus il faut p. 253produire pour obtenir une plus grande masse de profit. Mais l’élévation de la composition organique du capital aboutit à une baisse ultérieure du taux moyen du profit, qui, à son tour, pousse à un élargissement ultérieur de la production, etc., etc.
De tout ce qui a été dit…
… il ressort que le mode de production capitaliste tend au développement absolu des forces productives, abstraction faite de la valeur et de la plus-value qu’elle renferme, abstraction faite également des conditions sociales où se fait la production capitaliste. (K. Marx : le Capital, t. 5, p. 186.)
Pour atteindre leur but, les capitalistes sont obligés d’élargir la production d’une façon illimitée, comme si les limites de cette extension étaient les forces productives elles-mêmes, sans tenir compte des possibilités d’écoulement.
Les moyens de production qui existent comme capital doivent fonctionner, sinon ils cessent d’être du capital. Avec le développement de la production capitaliste, l’échelle de la production est de moins en moins déterminée par la demande immédiate de produits, et de plus en plus par l’importance du capital dont dispose le capitaliste. (K. Marx : le Capital, t. 5, p. 246.)
Ainsi, le capital doit élargir sans cesse la production sociale, qui lui est subordonnée et qui lui sert seulement de moyen pour s’accroître. Mais peut-il réellement élargir sans cesse la production sociale ?
La valeur et la plus-value ne sont pas produites indépendamment de la production des valeurs d’usage. Pour accroître la plus-value, il faut élargir la production. Mais la production de quoi ? Celle des valeurs d’usage (moyens de production et articles de consommation), qui doivent être consommées par quelqu’un.
Mais les valeurs d’usage produites sont des marchandises — non pas de simples marchandises, mais des marchandises produites de façon capitaliste — qui renferment une masse déterminée de plus-value. Par conséquent, ces valeurs d’usage ne peuvent être consommées que lorsqu’elles sont vendues, lorsque s’est produite la conversion de la p. 254marchandise en argent et, partant, du capital-marchandise en capital-argent.
Une partie des valeurs d’usage (moyens de production et une partie des objets de consommation) est achetée par les capitalistes, l’autre partie doit être achetée par la classe ouvrière. Mais cette dernière peut-elle consommer sans fin en régime capitaliste ? Non, son pouvoir de consommation est déterminé non par ses besoins, mais par son pouvoir d’achat. Or, ce dernier est fatalement en retard sur la croissance de la production, la loi du capitalisme étant l’appauvrissement de la classe ouvrière.
Par conséquent, si le capital doit développer indéfiniment la production, il doit aussi inévitablement réduire le pouvoir de consommation de la société. La tendance au développement illimité de la production sociale se heurte à la limite de la force de consommation de la société bourgeoise.
Mais cette dernière [la force de consommation] n’est déterminée ni par la force productive absolue ni par la force de consommation absolue ; elle l’est par la force de consommation basée sur une répartition antagoniste qui réduit la consommation de la grande masse de la société à un minimum réglé par des limites plus ou moins étroites. (K. Marx : le Capital, t. 5, p. 178.)
La réduction de la consommation de la grande masse de la société, c’est-à-dire du prolétariat, au minimum et encore à un minimum qui décroît avec la croissance de la production sociale, découle directement du but même du capital, de l’essence même de l’appropriation capitaliste. C’est pourquoi, lorsque nous disons que la tendance à l’extension illimitée de la production se heurte à la force de consommation de la société comme à sa limite, que la force de consommation des masses constitue le cadre de cette extension, cela signifie, en réalité, que le capital constitue lui-même la limite à l’extension de la production. Voilà pourquoi Marx dit que
La limite véritable de la production capitaliste c’est le capital lui-même. (K. Marx : le Capital, t. 5, p. 187.)
Le but que s’assigne le capitalisme, l’augmentation de la valeur du capital, est trop limité par rapport aux moyens qu’il doit appliquer, trop étroit pour permettre l’élargissement illimité de la production sociale. En d’autres termes : les rapports de production capitalistes sont trop étroits pour la production sociale.
Les limites dans lesquelles peuvent et doivent se mouvoir la conservation et la mise en valeur de la valeur-capital, qui reposent sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des producteurs, se trouvent continuellement en conflit avec les méthodes de production que le capital doit employer pour atteindre son but et qui poursuivent l’accroissement illimité de la production, assignent comme but à la production la production elle-même et ont en vue le développement inconditionné de la productivité sociale du travail. Ce dernier moyen se trouve en conflit permanent avec le but réduit, la mise en valeur du capital existant. (C’est Ségal qui souligne. K. Marx : le Capital, t. 5, p. 188.)
Ce conflit entre les forces productives sociales et le but limité du capital s’exprime dans les crises de surproduction. Il va de soi que ce n’est que la surproduction relative. Ce n’est pas un excédent par rapport à ce que la société pourrait consommer en général, mais par rapport à ce qu’elle peut consommer en régime capitaliste. La force de consommation de la classe ouvrière en régime capitaliste n’est pas déterminée par ses besoins, mais par son pouvoir d’achat.
L’anarchie de la production et l’appauvrissement de la classe ouvrière découlent de la contradiction entre le caractère social de la production et le caractère capitaliste de l’appropriation. Les forces productives sociales développées par le capital débordent le cadre de l’appropriation capitaliste qui les domine et les contredit. La cause des crises réside ainsi dans la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
Puisque cette contradiction qui est la cause des crises existe et agit constamment, pourquoi donc les crises n’éclatent-elles que de temps à autre, pourquoi la production capitaliste ne se trouve-t-elle pas en état de crise permanente au lieu de passer par les phases d’essor, de crise, de stagnation, d’essor, et ainsi de suite ?
Pour répondre à cette question, il faut examiner p. 256comment s’effectue en général le développement de la production capitaliste.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que la croissance plus rapide de la production des moyens de production par rapport à la production des objets de consommation personnelle est une loi de la reproduction capitaliste élargie. Cela non seulement accentue la disproportion entre les deux sections de la production sociale et conduit aux crises, mais est en même temps la cause du fait que la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste ne provoque pas une surproduction constante, mais seulement une surproduction périodique.
La croissance de la composition organique du capital signifie qu’une partie de plus en plus considérable de la production sociale est consommée comme capital constant, c’est-à-dire entre dans la consommation productive (à la différence des objets de consommation qui ne servent qu’à la consommation personnelle). C’est pourquoi la production générale peut grandir jusqu’à une certaine limite sans tenir compte de la consommation des masses. Les moyens de production n’étant pas des objets de consommation personnelle du prolétariat, la consommation productive, celle des moyens de production, n’est pas limitée par le pouvoir d’achat des masses.
La croissance de la consommation des moyens de production, consécutive à l’élévation de la composition organique du capital crée de la part des capitalistes la demande d’une quantité de plus en plus grande de moyens de production qui trouvent ainsi un débouché dans la production elle-même.
D’autre part, en liaison avec cela, croît aussi la consommation de la classe ouvrière. Lorsque la production s’élargit, il faut plus d’ouvriers, le total des salaires s’accroît, ainsi que le pouvoir d’achat de la classe ouvrière. La consommation de la classe ouvrière, comme nous le savons, est conditionnée par les besoins de l’accumulation du capital : lorsque, pour élargir la production, les capitalistes embauchent de nouveaux ouvriers et sont obligés, dans certaines conditions d’augmenter les salaires, ils élargissent, par cela p. 257même, le marché aussi pour des objets de consommation de masse.
Ainsi la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste peut se développer jusqu’à un certain point sans que le développement de la production sociale se heurte aux limites étroites que lui assigne l’appropriation capitaliste, c’est-à-dire sans crises.
L’accroissement de la consommation des moyens de production crée pendant un certain temps la possibilité d’élargir la production sans tenir compte du pouvoir d’achat des masses. Mais seulement pendant un certain temps, car la tendance à l’extension illimitée de la production doit, tôt ou tard, se heurter aux limites assignées par la force de consommation de la société.
Il faut songer qu’en fin de compte les moyens de production servent pour la production d’objets de consommation. Pour les capitalistes peu importe, en général, quelle valeur d’usage ils produisent. Pour eux, les moyens de production sont un capital, c’est-à-dire un moyen de soutirer du travail non payé à la classe ouvrière. Mais pour produire de la plus-value, les capitalistes ne peuvent échapper à la nécessité de produire des valeurs d’usage tout à fait concrètes, et ils auront beau produire des moyens de production, chaque moyen de production devra, en fin de compte, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, servir à la production des objets de consommation.
La croissance plus rapide des moyens de production doit finalement amener une disproportion entre les sections I et II de la production sociale. Il est inévitable qu’on produise beaucoup trop de moyens de production par rapport à ce qu’il faut pour la section II. Dans la section I apparaît la surproduction. Mais cette surproduction éclate parce que la section II qui produit des objets de consommation ne peut pas élargir sa production assez vite pour pouvoir mettre en œuvre tous les moyens de production que lui offre la section I. Elle ne le peut pas pour cette raison qu’elle se heurte immédiatement au pouvoir d’achat limité des masses.
p. 258Cette disproportion de la production découle de la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste. La contradiction entre la tendance à une extension illimitée de la production et le pouvoir d’achat limité des masses en est aussi la conséquence directe. Ce ne sont que deux formes sous lesquelles se manifeste la contradiction fondamentale du capitalisme.
C’est pourquoi la disproportion entre les branches de la production et la contradiction entre la production et la consommation ne doivent pas être considérées comme les causes des crises. La cause des crises c’est la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
La cause profonde des crises économiques de surproduction réside dans le système capitaliste lui-même. (J. Staline : Deux Bilans, p. 7. Bureau d’éditions, 1930.)
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