Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique :
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L’économiste suisse Sismondi est la souche du socialisme petit-bourgeois et les narodniks ont entièrement adopté sa théorie. Sismondi affirmait que, en résultat du fait qu’en régime capitaliste la production dépasse la consommation par suite du bas niveau de la consommation des ouvriers, il doit y avoir une surproduction constante et toujours croissante, qui ne peut trouver d’écoulement. Le capitalisme ruine les petits producteurs et, par cela même, rétrécit son propre marché d’écoulement. C’est pourquoi l’accumulation n’est possible que s’il existe un marché extérieur et comme p. 236sur l’arène mondiale apparaissent de nouveaux pays capitalistes, il devient de plus en plus difficile à chaque pays de trouver un marché extérieur. Les narodniks russes ont adopté cette théorie de Sismondi et ils affirmaient qu’en Russie, pays entré tardivement sur le marché mondial, le développement du capitalisme était impossible.
Analysons tout d’abord la question de la ruine des petits producteurs. Est-il juste qu’elle réduise le marché pour le capitalisme ? Le petit paysan, qui ne porte au marché qu’une partie de son produit et consomme le reste lui-même, qui produit lui-même la plus grande partie des objets consommés par lui (le pain, la toile, etc.), contribue moins à l’élargissement du marché capitaliste que le petit paysan ruiné. Ce dernier est obligé de vendre presque toute sa récolte pour payer ses dettes et les impôts, et ensuite acheter le pain sur le marché. Il est obligé de vendre sa force de travail — de travailler comme journalier ou de partir à la ville pour les travaux saisonniers. Il s’occupe beaucoup moins de la production domestique et achète les objets de consommation. La ruine du petit producteur élargit ainsi le marché des objets de consommation.
D’autre part, une faible partie des petits producteurs se transforme en entrepreneurs capitalistes, qui font une plus grande demande de moyens de production. Il en résulte que le marché d’écoulement des moyens de production s’élargit.
L’élargissement du marché capitaliste par la voie de la ruine des petits producteurs s’effectue aux dépens de l’aggravation de la situation de la masse écrasante des petits producteurs. Mais en régime capitaliste il ne peut pas en être autrement. Lorsque les socialistes petits-bourgeois du fait de la ruine des petits producteurs, tirent la conclusion d’une réduction du marché pour le capitalisme et prêchent le retour de la grande production capitaliste à la petite production, ils montrent leur incompréhension de l’essence même du capitalisme et leur incompréhension du fait que le capitalisme lui-même est engendré par la petite production.
Le développement du capitalisme va de pair avec le développement de l’économie marchande, et au fur et à mesure que la production domestique cède la place à la production pour la vente et que l’artisan cède la place à la fabrique, un marché se forme pour le capital. (Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 14, édition russe.)
Étudions maintenant le second, le principal argument p. 237de Sismondi, à savoir que le marché pour le capital se rétrécit par suite du fait que la production dépasse la consommation. À côté de cela, Sismondi part de la théorie de Smith, analysée par nous ci-dessus, que la valeur du produit social se décompose seulement en capital variable et en plus-value et que tout le produit social doit être consommé comme revenu. Il tire de là la conclusion que la production doit correspondre à la consommation. Et comme la consommation en réalité reste en arrière de la production, alors, selon Sismondi, il doit y avoir une surproduction constante, qui ne peut pas être écoulée par les capitalistes. C’est pourquoi, selon Sismondi, l’accumulation est impossible.
Du schéma de la reproduction élargie (voir plus haut), il ressort que la fabrication des moyens de production croît plus rapidement que la fabrication des objets de consommation. Et nous avons supposé que la composition organique du capital restait inchangée. Mais, en réalité, dans la marche du développement du capitalisme, le capital constant croît plus rapidement que le capital variable, car la croissance de la composition organique du capital est la loi du développement du capitalisme. La composition organique du capital croît dans toutes les branches de la production sociale. Mais comme les éléments matériels du capital constant — les moyens de production — ne sont produits que par la section I, cette dernière doit produire des moyens de production dans une proportion toujours grandissante non seulement pour elle-même, mais aussi pour la section II. La section I de la production sociale croît plus rapidement que la section II.
La croissance du capital constant, son accumulation, signifie que la consommation des moyens de production — des produits de la section I — croît. Et la croissance de la consommation des moyens de production, la croissance de la demande de ceux-ci signifie que le marché pour le capitalisme croît. L’élargissement même de la production, l’accumulation du capital, crée un marché pour l’écoulement des moyens de production. Mais l’élargissement de la production conduit aussi à une certaine croissance de la consommation des ouvriers. Pour agrandir la production des moyens de production, il est nécessaire d’attirer des ouvriers dans la section I. Et ces ouvriers supplémentaires font une demande supplémentaire en objets de consommation. Dans notre schéma de la reproduction élargie, la consommation des p. 238ouvriers de la section I a augmenté de 100. Cela provoque une croissance de la production des objets de consommation dans la section II et une demande supplémentaire des ouvriers de cette section de 50. Ainsi la consommation se développe immédiatement après la production. Le développement du capitalisme s’effectue surtout par la voie de la croissance de la fabrication des moyens de production.
Bien qu’un certain élargissement de la consommation soit le résultat de l’élargissement de la production, la consommation des masses ne correspond cependant pas à la croissance de la production et reste en arrière de celle-ci, car la paupérisation absolue et relative de la classe ouvrière est une loi du capitalisme.
Dans tout le produit du capital social, la part des objets de consommation tombe. Sismondi et ses disciples tirent de là la conclusion que le capitalisme ne peut pas se développer. Ils ne voient pas que le développement du capitalisme ne peut se produire que par cette voie.
Ce développement de la production (et, par suite, du marché intérieur lui aussi) essentiellement dans le domaine des moyens de production semble paradoxal et constitue, sans doute aucun, une contradiction. C’est une véritable « production pour la production », c’est un élargissement de la production sans élargissement correspondant de la consommation. Mais ce n’est pas là une contradiction dans la doctrine, mais dans la vie elle-même ; c’est précisément une contradiction qui correspond à la nature même du capitalisme et aux autres contradictions de ce système d’économie sociale. Cet élargissement de la production sans élargissement correspondant de la consommation correspond justement à la mission historique du capitalisme et à sa structure sociale spécifique : la première consiste à développer les forces productives de la société ; la seconde exclut l’utilisation de ces conquêtes techniques par la masse de la population.
Les socialistes petits-bourgeois voient les contradictions entre la production et la consommation en régime capitaliste. Mais, de là, ils tirent la conclusion que dans les cadres de la société capitaliste il doit exister une surproduction constante de marchandises qui ne trouvent pas d’écoulement, que l’accumulation capitaliste est impossible sans p. 239marché extérieur. [Certes, une telle surproduction doit de temps à autre se produire inévitablement (les crises). Nous en parlerons plus bas.] Mais en réalité, cela signifie l’impossibilité du capitalisme même, car sur le marché extérieur se produit aussi la ruine des petits producteurs, la paupérisation des masses de la classe ouvrière et là-bas la production doit aussi dépasser la consommation. Comme le capitalisme est tout de même un fait réel qu’on ne peut pas nier, les socialistes petits-bourgeois le déclarent un phénomène monstrueux, une déviation de la marche « normale » du développement de la société humaine, ils se plaignent au sujet des malheurs que le capitalisme apporte aux masses et dessinent des tableaux enchanteurs du régime prospère et florissant de la petite production marchande, en comparaison duquel le capitalisme est un pas en arrière dans le développement de la société humaine. Les socialistes petits-bourgeois sont pour la conservation de la petite production, ils sont les idéologues des petits producteurs et c’est pourquoi ils ne peuvent pas comprendre que le capitalisme est une étape nécessaire de l’histoire de l’humanité, qu’il développe les forces productives de la société et que, jusqu’à un certain degré de son développement, jusqu’à sa transformation en impérialisme, il est un mode de production progressif, car il développe les forces productives et crée une classe ouvrière révolutionnaire, qui est appelée à en finir avec toute exploitation et avec la misère des masses.
Les socialistes petits-bourgeois se détournent de la réalité et bercent les masses avec leurs contes sur un régime idéal de petite production qui est, en fait, un régime rétrograde et barbare. Ils ne voient pas que le capitalisme se développe sur la base de cette même petite production et que pour en finir réellement avec le capitalisme, il faut aller non en arrière, mais en avant. C’est pourquoi, Marx disait que les socialistes petits-bourgeois sont en réalité réactionnaires, et Lénine leur a donné le nom mérité de rêveurs « romantiques », de gens qui se détournent de la réalité et rêvent d’un retour au passé qu’ils idéalisent.
La différence entre les juges romantiques du capitalisme et les autres [Lénine a, ici, en vue les marxistes révolutionnaires] consiste, en général, « seulement » dans leur « point de vue », « seulement » dans le fait que les uns jugent d’en arrière et les autres d’en avant, les uns du point de vue du régime qui est démoli par le capitalisme, les autres du point de vue de celui que le capitalisme crée. (Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 34, édition russe.)
L’issue à la servitude capitaliste ne consiste pas à « arrêter » le développement du capitalisme et à revenir à la petite production comme l’exigent les « socialistes » petits-bourgeois. L’issue consiste dans le développement des contradictions du capitalisme, car…
… plus se développe cette contradiction [entre le caractère social de la production et le caractère individuel de l’appropriation] plus il est aisé d’en sortir. (Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 40, édition russe.)
Plus aisé parce que le développement de cette contradiction signifie, d’une part, la croissance de la grande production sociale, qui devient de moins en moins compatible avec l’appropriation capitaliste, et, d’autre part, la croissance de la classe ouvrière, de sa conscience, de son organisation et de sa révolte contre le joug du capital, la croissance de la force révolutionnaire qui est appelée à renverser le capitalisme.
Aux positions théoriques de Sismondi aboutit aussi, en fait, Rosa Luxembourg, bien qu’elle n’ait nullement été partisane du socialisme petit-bourgeois et que, au contraire, elle ait critiqué aussi bien Sismondi que les narodniks. Rosa Luxembourg est intervenue contre la théorie marxiste de la reproduction en affirmant que dans une société qui ne consiste que dans les seuls capitalistes et prolétaires, l’accumulation du capital est en général impossible. Rosa Luxembourg affirmait que le schéma marxiste de la reproduction élargie (voir plus haut) ne montre pas la possibilité de l’accumulation, car la partie du produit social qui représente la plus-value transformée en capital (500 de la plus-value de la section I et 150 de la plus-value de la section II) ne peut être achetée ni par les capitalistes les uns aux autres, ni par les ouvriers aux capitalistes. La vente par les capitalistes les uns aux autres d’une partie du produit supplémentaire, selon l’opinion de Rosa Luxembourg, ne signifie pas une augmentation de leur capital, et la vente par eux d’une partie du produit supplémentaire aux ouvriers signifie en réalité que les capitalistes font cadeau aux ouvriers de la plus-value. La partie accumulée du produit supplémentaire peut prétendument être achetée seulement p. 241par les petits producteurs capitalistes, désignés par le terme de « tierces personnes ».
Dans sa critique de la théorie marxiste de l’accumulation du capital (qu’elle n’a en réalité pas comprise), Rosa Luxembourg a commis une série de graves erreurs.
En premier lieu, elle n’a pas du tout compris le rôle de la consommation productive — de la consommation par les capitalistes des moyens de production sous forme de capital constant. En ajoutant la partie du produit supplémentaire qui existe sous forme de moyens de production, au capital constant (dans le schéma, 400 dans la section I et 100 dans la section II), les capitalistes ne suppriment pas cette partie de la plus-value et n’en font cadeau à personne, mais ils la transforment en capital, en moyen de soutirer aux ouvriers du travail supplémentaire. Par conséquent, il est avantageux pour les capitalistes d’acheter les uns aux autres ces moyens de production supplémentaires. En ajoutant ensuite la partie du produit supplémentaire, qui existe sous forme de moyens de consommation, à leur capital variable (dans le schéma, 100 dans la section I et 50 dans la section II), les capitalistes n’en font tout de même pas cadeau aux ouvriers, mais ils achètent la source même de la plus-value — la force de travail. Ainsi les capitalistes ont une possibilité d’accumulation même dans l’absence de « tierces personnes ».
En second lieu, qu’est-ce que représentent ces « tierces personnes » ? Ces petits producteurs de marchandises, non capitalistes, représentent le « marché extérieur » selon Sismondi et les narodniks. C’est à ces simples petits producteurs que les capitalistes doivent vendre la partie du produit qui renferme en lui-même la plus-value, laquelle est destinée à l’accumulation et existe sous la forme naturelle de moyens de production. De quels moyens de production s’agit-il donc ? Des grandes machines, de différentes sortes de matières premières et de matériaux auxiliaires, qui peuvent être appliqués seulement dans la fabrique capitaliste !
Mais supposons l’impossible : que les petits producteurs aient acheté cette partie des produits du capital social et que les capitalistes aient ainsi heureusement transformé en argent la plus-value qui s’accumule. Mais où pourront-ils alors acheter les moyens de production nécessaires pour l’accumulation, c’est-à-dire pour l’élargissement de la production ? Ils les ont vendus à des « tierces personnes ». Cela p. 242signifie qu’ils doivent les racheter aux mêmes « tierces personnes ». Mais avec le même succès ils peuvent, sans vendre à des « tierces personnes » ces moyens de production, les acheter les uns aux autres. Les « tierces personnes » n’ont absolument rien à faire ici.
À cette théorie erronée de l’accumulation de Rosa Luxembourg est étroitement liée sa très grave erreur dans la question des forces motrices de la révolution.
La question des rapports du prolétariat avec la paysannerie est une des questions fondamentales de la révolution. En opposition avec la ligne bolchevik-léniniste de l’hégémonie du prolétariat dans la révolution bourgeoise-démocratique et de la transformation de celle-ci en révolution prolétarienne, Rosa Luxembourg, avec le menchévik Parvus, forgea, en 1905, la théorie de la « révolution permanente », à laquelle se rallie Trotski. Ce dernier, en même temps que Parvus, lança cette théorie au cours de sa lutte contre le bolchévisme. L’essence de cette théorie consiste en ce que, entre le prolétariat et la paysannerie, il existe prétendument des contradictions insurmontables, que la paysannerie, dans sa masse, est contre-révolutionnaire et interviendra toujours aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat, que le prolétariat est incapable de jouer un rôle dirigeant à l’égard de la paysannerie.
Il est tout à fait clair que cette ligne politique de Rosa Luxembourg est étroitement liée à sa théorie de l’accumulation du capital. Comme l’accumulation du capital, selon Rosa Luxembourg, est possible seulement grâce à l’existence de « tierces personnes » (de la paysannerie), la paysannerie, arrête, repousse le krach du capitalisme, elle est une force hostile au prolétariat. C’est pourquoi le prolétariat doit vouloir la prolétarisation la plus rapide de la paysannerie. Il ne doit nullement tendre à une alliance avec les masses fondamentales de la paysannerie et à son hégémonie dans cette alliance. Mais le renoncement à l’hégémonie du prolétariat sur la paysannerie, c’est en fait le renoncement à la révolution, c’est en fait la négation de la dictature du prolétariat.
Le fait que, dans une des questions décisives, une des questions les plus importantes de la théorie du capitalisme, Rosa Luxembourg se tenait sur la même position que l’opportunisme dans la 2e Internationale d’avant-guerre est une des causes de ce que la lutte qu’elle menait contre l’opportunisme ne pouvait manquer d’être incomplète et non décisive. p. 243Rosa Luxembourg hésitait entre le menchévisme et le bolchévisme et intervint dans une série de questions contre les bolcheviks.
La lutte de Lénine contre toutes les théories de l’impossibilité de l’accumulation capitaliste ne signifie pas que le marxisme-léninisme admette la possibilité d’une marche régulière, ininterrompue, de la reproduction élargie en régime capitaliste. La lutte de Lénine contre les théories petites-bourgeoises du caractère non progressif du capitalisme par comparaison avec la petite production, ne signifie certes pas que le marxisme-léninisme considère le régime capitaliste comme absolument progressif et ne voit pas son caractère historiquement temporaire. Ce sont précisément Marx et Lénine qui ont dévoilé les racines mêmes des profondes contradictions du capitalisme et montré son caractère temporaire. C’est précisément Lénine qui a montré que dans son stade impérialiste de développement, lorsque les prémices du socialisme ont pleinement mûri, le capitalisme cesse d’être un mode de production progressif et se transforme en capitalisme dépérissant et pourrissant. Les apologistes bourgeois prêchent la théorie d’un développement perpétuel et sans crises du capitalisme. Ainsi Tougan-Baranovski affirmait que le capitalisme peut se développer à l’infini et sans crises, même si sur tout le globe terrestre il ne reste qu’un seul ouvrier, — une certaine proportionnalité entre les branches de la production est seule nécessaire.
Cet unique ouvrier, dit Tougan-Baranovski, mettra en mouvement toute la colossale masse des machines et à l’aide de celles-ci produira de nouvelles machines et les objets de consommation de la classe capitaliste. La classe ouvrière disparaîtra, mais cela ne gênera en rien la réalisation des produits de l’industrie capitaliste. (Tougan-Baranovski : les Crises industrielles périodiques, p. 212, édition russe.)
La production des objets de consommation sera considérablement réduite, mais la consommation des moyens de production grandira et le marché capitaliste s’élargira à l’infini. On produira de la houille et du fer pour… produire encore plus de houille et de fer. Voilà à quelles sottises p. 244aboutissent les apologistes bourgeois dans leur désir de nier les contradictions du capitalisme.
Sur les traces de Tougan-Baranovski a marché un des chefs social-démocrates — Hilferding. Celui-ci écrivait encore avant la guerre que, quelque basse que soit la consommation des masses, la production peut croître à l’infini et sans crise, si seulement est conservée une proportion déterminée entre les deux sections de la production sociale. Otto Bauer affirmait la même chose. C’est là un des principes de la théorie apologétique social-démocrate du « capitalisme organisé ». Les théories des opportunistes de droite de l’équilibre et du « capitalisme organisé » sont un écho de toutes ces théories apologétiques bourgeoises.
La théorie marxiste-léniniste de la reproduction montre qu’il ne peut être question d’aucun équilibre dans la reproduction capitaliste. Les conditions d’une marche normale de la reproduction, aussi bien simple qu’élargie, caractéristiques pour le capitalisme, sont des conditions telles qu’elles « deviennent autant de conditions de la marche anormale et des possibilités de crise, cet équilibre étant purement fortuit dans le système naturel de cette production ». (C’est Ségal qui souligne. Marx : le Capital, t.8, p. 158. Édit. Costes.)
Nous avons vu que l’accumulation du capital et l’élargissement du marché pour le capital s’effectuent surtout aux dépens de la croissance de la fabrication des moyens de production et non, des objets de consommation. Mais cela ne signifie pas que la production ne dépende pas du tout de la consommation. Pourtant chaque moyen de production, soit directement, soit seulement en fin de compte, doit servir à la production des objets de consommation. Par conséquent, parlant de la proportionnalité entre les sections de la production sociale, nos théoriciens de malheur, qui veulent « se détourner » de la consommation, touchent en réalité la question de la consommation. Car il s’agit de la proportionnalité entre la section qui produit les moyens de production et la section qui produit les objets de consommation. Comment, dans de telles conditions, la proportionnalité entre les branches de la production, indépendamment de la consommation, est-elle possible ? Elle est impossible.
La production capitaliste n’a pas pour but la satisfaction des besoins de la société. Elle est la production de la plus-value dans le but d’augmenter la valeur du capital, dans le p. 245but de produire une masse encore plus grande de plus-value. Et dans ce sens la production capitaliste est une production pour la production.
La production du capitaliste normal est de la production pour la production. (Marx : Histoire des doctrines économiques, t. 2, p. 154. Edit. Costes.)
C’est précisément en cela que s’exprime la tendance du capital à l’accumulation illimitée.
Mais du fait qu’est caractéristique pour le capitalisme la tendance à une production illimitée pour la production, il ne s’ensuit nullement que cette tendance puisse se réaliser à l’infini et sans obstacles. C’est seulement dans les fantaisies des apologistes bourgeois du genre de Tougan-Baranovski, qui nient les contradictions du capitalisme, que la production capitaliste peut croître à l’infini et indépendamment de l’état de la consommation des masses. En réalité la croissance de la production doit se heurter aux étroites limites de la consommation des masses.
Cela découle de la contradiction fondamentale du capitalisme entre le caractère social de la production et l’appropriation capitaliste — contradiction qui rend impossible une proportionnalité constante entre les branches de la production et qui conditionne le retard de la consommation sur la production.
En fin de compte, la consommation productive (consommation des moyens de production) est toujours liée avec la consommation personnelle, dépend toujours de celle-ci. Cependant, pour le capitalisme, sont caractéristiques, d’une part, la tendance à un élargissement illimité de l’accumulation et de la production, et, d’autre part, la prolétarisation des masses populaires qui mettent des limites assez étroites à l’élargissement de la consommation personnelle. (Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 400, édition russe.)
C’est pourquoi une accumulation ininterrompue et croissante à l’infini est impossible en régime capitaliste. Mais, cela ne signifie pas qu’en régime capitaliste il existe une surproduction systématique, constante, — cette dernière a lieu seulement périodiquement sous la forme de crises industrielles. Nous étudierons dans le chapitre suivant pourquoi et comment cela se produit.
p. 246⁂
Ainsi la théorie marxiste-léniniste de la surproduction est la suite directe et le développement de la doctrine des contradictions du capitalisme qui découlent toutes de la contradiction fondamentale entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
La valeur scientifique de la théorie de Marx consiste dans le fait qu’elle a éclairci le procès de la reproduction et de la circulation de tout le capital social. Ensuite, la théorie de Marx a montré comment se réalise la contradiction caractéristique du capitalisme, à savoir que l’énorme croissance de la production n’est nullement accompagnée par une croissance correspondante de la consommation populaire. C’est pourquoi la théorie de Marx non seulement ne restaure pas la théorie apologétique bourgeoise… mais, au contraire, fournit une arme extrêmement forte contre cette apologétique…
La théorie de la réalisation de Marx fournit une arme extrêmement forte non seulement contre l’apologétique, mais aussi contre la critique petite-bourgeoise réactionnaire du capitalisme… Quant à la compréhension marxiste de la réalisation, elle conduit inévitablement à la reconnaissance de la progressivité historique du capitalisme (le développement des moyens de production et, par conséquent, des forces productives de la société). Par ce fait, non seulement elle ne dissimule pas, mais, au contraire, elle éclaircit le caractère historiquement temporaire du capitalisme. (Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 415-416, édition russe.)
La théorie marxiste de la reproduction, développée par Lénine, a ainsi un caractère profondément révolutionnaire. Elle montre que la croissance de la production capitaliste, qui se heurte aux étroites limites de la consommation des masses exploitées par le capitalisme, conduit à la création des prémices aussi bien objectives que subjectives de la révolution socialiste. Cette croissance crée les prémices matérielles techniques, nécessaires à la construction du socialisme et, en même temps, rend inévitable la révolte des masses innombrables contre le système capitaliste.
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