Dominique Meeùs
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2. Les conditions de la reproduction du capital social dans son ensemble

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Position de la question

De l’analyse des conceptions de Smith, il ressort déjà que la question de la reproduction du capital aussi bien individuel que social est étroitement liée avec la question de la composition de tout le produit social dans son ensemble. Pour éclaircir ce lien, donnons l’exemple suivant.

Supposons que devant nous soit un fabricant de n’importe quel objet de consommation, par exemple de vêtements. Il a produit une certaine quantité de vêtements, qui atteint la valeur de 100 000 francs, et il a vendu ces vêtements à leur valeur. Supposons que cette valeur contienne : 1. la valeur du capital constant dépensé pour la production des vêtements (60 000 francs) ; 2. la valeur de la force de travail dépensée (20 000 francs) et 3. la plus-value (20 000 francs).

Pour recommencer la production (nous avons en ce moment en vue seulement la reproduction simple), le capitaliste, sur les 100 000 francs reçus doit en employer 60 000 pour l’achat de nouveaux moyens de production à la place de ceux déjà utilisés. Par conséquent, il doit trouver sur le marché non des moyens de production en général, mais des moyens de production tout à fait déterminés — machines à coudre, tissu, fil, etc. — dans une quantité tout à fait déterminée et d’une valeur déterminée, à savoir 60 000 francs. Et il trouvera ces moyens de production sur le marché seulement à la condition qu’ils aient été produits auparavant dans les entreprises d’autres capitalistes, c’est-à-dire seulement à la condition que les moyens de production nécessaires à notre capitaliste existent dans la composition de tout le produit social. Pour la reproduction des vêtements, il est nécessaire que, dans les autres entreprises, on produise de nouvelles machines et les autres moyens de production nécessaires à la fabrication des vêtements, tandis que dans la fabrique de vêtements sont consommés et usés les machines à coudre, les tissus, etc.

Une autre partie de l’argent, retiré de la vente de la marchandise, la partie qui correspond à la valeur de la force de travail dépensée, à savoir 20 000 francs, le capitaliste p. 219la dépense comme capital variable en achetant de la force de travail. La question de savoir s’il trouvera sur le marché cette force de travail ne présente pas de difficulté. Nous avons déjà montré plus haut (chapitres 4 et 6) comment le capitalisme se crée un marché permanent de force de travail inutilisée. Il en est tout autrement pour les moyens d’existence des ouvriers. Pour que les ouvriers puissent travailler et produire de la plus-value, ils doivent reproduire leur force de travail. Ils doivent trouver sur le marché les objets de consommation nécessaires. Cela signifie que, pour la reproduction des vêtements, il est nécessaire que dans la composition du produit social se trouvent des objets de consommation personnelle déterminés, d’une valeur déterminée.

Enfin, le capitaliste dépense la plus-value pour lui personnellement. Dans la composition du produit social il doit par conséquent y avoir encore les moyens d’existence nécessaires et des objets de luxe pour la somme de 20 000 francs qui sert à la consommation des capitalistes.

Prenons maintenant un autre exemple — un fabricant d’un moyen de production quelconque, par exemple, de tours. Supposons que son produit annuel ait aussi une valeur de 100 000 francs qui se décompose en 60 000 francs pour la valeur du capital constant dépensé, 20 000 francs pour la valeur du capital variable dépensé et 20 000 francs pour la plus-value. Bien que dans la valeur de ce produit soient renfermées et la valeur du capital variable et la plus-value (40 000 francs), ce même produit par sa forme naturelle ne peut être consommé comme revenu ni par les ouvriers ni par le capitaliste. Ce produit — les tours — peut être consommé seulement dans la production, seulement comme capital, à savoir comme capital constant, par d’autres capitalistes. Il sera vendu seulement dans le cas où selon sa valeur et selon sa valeur d’usage, il correspondra au capital constant dépensé par d’autres capitalistes et qu’ils doivent remplacer par un nouveau…

Si cette condition n’existe pas, le fabricant de tours ne pourra vendre sa marchandise, acheter les moyens de production et la force de travail qui lui sont nécessaires et renouveler la production. Autrement dit, la reproduction chez le fabricant de tours dépend de la reproduction dans une série d’autres entreprises.

Des deux exemples cités, on peut tirer les conclusions suivantes :

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En premier lieu, pour que la reproduction soit possible dans une entreprise, la reproduction dans une série d’entreprises est nécessaire. La reproduction du capital individuel, qui forme une partie de la reproduction du capital social est en même temps conditionnée par lui.

En second lieu, pour la reproduction, il ne suffit pas que la valeur de tout le produit social se décompose en valeur des moyens de production (capital constant) dépensés, en salaires (capital variable) et en plus-value. Il est nécessaire encore que dans la composition de tout le produit social existe, d’une part, des marchandises telles que, par leur valeur d’usage, par leur forme naturelle, elles puissent remplacer le capital constant dépensé dans les différentes entreprises (moyens de production) et, d’autre part, des produits tels qu’ils puissent entrer dans la consommation personnelle des ouvriers et des capitalistes (objets de consommation). Autrement dit : Pour la reproduction, il est nécessaire que tout le produit de la société ait une composition déterminée aussi bien par sa valeur que par sa forme naturelle.

Les deux sections de la production sociale

La question de la composition de la valeur du produit social ne présente aucune difficulté. Nous savons déjà que sa valeur consiste en capital constant, en capital variable et en plus-value. En ce qui concerne la composition du produit social en valeur d’usage ou suivant ses parties composantes matérielles, pour analyser cette question, il n’est pas nécessaire d’étudier toutes les différentes sortes des marchandises qui entrent dans la composition du produit social et toutes les branches de la production. De ce qui a été exposé précédemment, il ressort que, pour la reproduction, il est nécessaire que dans la composition du produit social il y ait des moyens de production et des objets de consommation. C’est pourquoi il est tout à fait suffisant que toutes les branches de la production soient groupées en deux grandes sections : 1. les branches qui produisent les moyens de production, et 2. les branches qui produisent les moyens de subsistance. Quelque différentes que soient les marchandises de tout le produit social, elles peuvent, de la même façon, être divisées en deux groupes : 1. les produits p. 221de la première section de la production sociale qui sont consommés par toutes les branches de la production comme capital constant — machines, matières premières, matériaux auxiliaires, combustible, etc. ; 2. les produits de la seconde section de la production sociale qui sont consommés comme revenu par les ouvriers et les capitalistes — les objets de première nécessité et les objets de luxe. Marx a décomposé tout le produit social selon sa forme naturelle par cette division de la production sociale en deux grandes sections.

La composition de tout le produit social en valeur et en forme naturelle est présentée démonstrativement et illustrée par Marx de la façon suivante.

Supposons que tout le produit annuel de la société ait une valeur de 9 000 (milliers ou millions de francs — cela est égal) et consiste en moyens de production (le produit de la section I de la production sociale) d’une valeur de 6 000 et en objets de consommation (le produit de la section II) d’une valeur de 3 000. Supposons ensuite que le produit de la section I ait la composition suivante en valeur : 4 000 de capital constant dépensé pour sa production + 1 000 de capital variable dépensé + 1 000 de plus-value.

Désignons le capital constant par la lettre C, le capital variable par la lettre V et la plus-value par la lettre M. (Ces initiales, employées par Marx, représentent les premières lettres des noms allemands des capitaux constants et variables, et de la plus-value. NdlR.)

Alors la composition de la valeur du produit de la section I (qui consiste en moyens de production) peut être représentée de la façon suivante :

4 000 C + 1 000 V + 1 000 M = 6 000.

Prenons maintenant le produit de la section II. Supposons que sa valeur consiste en 2 000 pour la valeur du capital constant + 500 pour la valeur du capital variable + 500 pour la plus-value. La composition de la valeur du produit de la section II (qui consiste en objets de consommation) sera, par conséquent, représentée ainsi :

2 000 C + 500 V + 500 M = 3 000.

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En réunissant ces deux séries, nous obtenons le schéma suivant :

Section I : 4 000 C  +  1 000 V  +  1 000 M  =  6 000
Section II : 2 000 C  +  500 V  +  500 M  =  3 000
Produit total :   6 000 C  +  1 500 V  +  1 500 M  =  9 000

Dans ce schéma est montré le lien réciproque des parties composantes de la valeur du produit social (C + V + M) et de ses parties composantes matérielles (les deux sections). Dans cette division du produit social en parties composantes de la valeur et de la valeur d’usage dans leurs liens réciproques, Marx a exprimé le caractère double de l’ensemble du travail social dans la société capitaliste, comme travail créant en même temps des valeurs et des valeurs d’usage, créant une nouvelle valeur et transférant au produit social la valeur des moyens de production dépensés dans toute la société. Marx a pu dévoiler cette composition compliquée du produit social parce qu’il voyait le caractère contradictoire de la marchandise elle-même et du travail qui crée la marchandise, — ce que n’avait pas vu Smith, qui, par suite de cela, n’avait pas pu comprendre la reproduction du capital social.

Après avoir éclairci cette composition double du produit du capital social, nous pouvons passer à l’étude de la façon dont se produit la reproduction du capital social.

Nous savons déjà que pour la reproduction il est nécessaire, en premier lieu, de remplacer les moyens de production dépensés par de nouveaux, et, en second lieu, de reconstituer la force de travail dépensée.

Les capitalistes, qui ont besoin de nouveaux moyens de production, les achètent chez d’autres capitalistes. Par exemple, le fabricant de tissus ne produit pas lui-même les métiers, il les achète chez le fabricant de métiers. Ce dernier, en vendant les métiers au fabricant de tissus, réalise leur valeur, la transforme en argent. La valeur d’usage des métiers sera réalisée par le fabricant de tissus, qui emploiera les métiers achetés à la fabrication des tissus. D’autre part, la réalisation de la valeur des métiers, leur vente, est nécessaire pour que le fabricant puisse acheter de nouveaux moyens de production et de la force de travail pour la fabrication de nouveaux métiers. Il en est de même pour tous les autres moyens de production qui entrent dans la p. 223composition du produit social. De là, nous pouvons conclure que, pour la reproduction, est nécessaire la réalisation du produit de la section I de la production sociale (moyens de production).

Prenons maintenant la partie du produit social qui consiste en objets de consommation (section II). En vendant les objets de consommation aux ouvriers et aux capitalistes, les fabricants de ces objets de consommation réalisent leur valeur. La valeur d’usage d’une partie de ces produits est réalisée par les ouvriers qui les consomment et reconstituent ainsi leur force de travail ; la valeur d’usage de l’autre partie est réalisée par les capitalistes qui dépensent leur plus-value pour acheter des objets de consommation. S’ils ne vendent pas leurs marchandises, s’ils ne réalisent pas leur valeur, les capitalistes qui produisent les objets de consommation ne pourront pas fabriquer de nouveaux objets de consommation. Mais cela signifie que, pour toute la reproduction sociale, est nécessaire la réalisation non seulement des moyens de production, mais aussi des objets de consommation, qui entrent dans la composition du produit social.

Ainsi, le procès de la reproduction du capital social comprend la réalisation des parties composantes du produit social. La réalisation de leur valeur se produit au moyen de la circulation (achat et vente), et la réalisation de leur valeur d’usage se produit lorsqu’elles entrent dans la production ou dans la consommation. La théorie de la reproduction doit montrer comment se produit cette réalisation. C’est pourquoi la théorie de Marx de la reproduction et de la circulation du capital social s’appelle aussi la théorie de la réalisation.

La réalisation dans la reproduction simple

Examinons comment se produit la réalisation des parties composantes du produit social en valeur et en valeur d’usage dans la reproduction simple. Revenons à notre schéma de la composition matérielle et en valeur du produit social :

Section I : 4 000 C  +  1 000 V  +  1 000 M  =  6 000
Section II : 2 000 C  +  500 V  +  500 M  =  3 000
Produit total :   6 000 C  +  1 500 V  +  1 500 M  =  9 000
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Avant tout, il saute aux yeux que le dernier chiffre de la première ligne (6 000) est égal à la somme des premiers chiffres des deux lignes (4 000 C + 2 000 C). Autrement dit : tout le produit de la section I est égal, en valeur, à la somme du capital constant dépensé dans les sections I et II c’est-à-dire à la grandeur du capital constant dépensé pour la production de tout le produit social. Cela est compréhensible : car le produit de la section I consiste seulement en moyens de production qui, par leur forme naturelle, ne peuvent fonctionner que comme capital constant, et toutes les branches de la production sociale, représentées par les deux sections, ne peuvent remplacer les éléments de leur capital constant qu’avec des produits de la section I.

De ce schéma, il ressort encore que tout le produit de la section II est en valeur (3 000) égal à la somme du capital variable et à la plus-value des deux sections (1 000 V I + 500 V II + 1 000 M I + 500 M II) ou la somme du capital social variable et à la masse sociale de la plus-value (1 500 V + 1 500 M). La raison en est tout à fait claire : tout le produit de la section II consiste par sa forme matérielle seulement en objets de consommation des ouvriers et des capitalistes. Les ouvriers et les capitalistes des deux sections ne peuvent réaliser leur salaire et leur plus-value qu’avec les produits de la section II. Pour la reproduction du capital social dans son ensemble, il est nécessaire que le produit de la section I consiste non en moyens de production en général, mais en moyens de production déterminés : en moyens de production tels qu’ils puissent être employés dans la section I pour la production de nouveaux moyens de production et dans la section II pour la production de nouveaux objets de consommation. Aux capitalistes de la section I, pour renouveler le procès de la production il faut des moyens de production de la valeur de 4 000 à la place de ceux qui sont usés. Pour certains capitalistes de cette section, le produit peut leur servir de moyen de production, par exemple le charbon dans une mine de houille est un produit, mais là même, il peut aussi servir de combustible aux machines à vapeur employées dans la mine. Les capitalistes de la section I achètent l’un chez l’autre la majorité des moyens de production nécessaires à la fabrication de nouveaux moyens de production. Le producteur de houille achète chez le fabricant de machines les machines nécessaires à la mine ; le propriétaire d’une usine métallurgique p. 225achète chez le constructeur de machines l’outillage nécessaire pour le haut fourneau ; le constructeur de machines achète chez le métallurgiste la fonte et l’acier, chez le producteur de la houille, le charbon, etc. Ainsi, par la voie d’une série de circulations, d’achats et de ventes entre les capitalistes de la section I, une partie du produit de la section I, qui consiste en moyens de production pour la fabrication des moyens de production et égale en valeur au capital constant de cette section (4 000 C) est réalisée dans les limites de la section I et indemnise en nature le capital constant employé et usé dans cette section.

Passons maintenant à la section II. Tout le produit de cette section consiste en objets de consommation personnelle. Les ouvriers de cette section avec le salaire reçu des capitalistes sous forme d’argent (500) achètent chez eux les moyens d’existence nécessaires pour la même somme. Ainsi, par la voie d’une série de circulations entre les ouvriers et les capitalistes de la section II est réalisée la partie du produit de la section II qui, en valeur, est égale à la valeur du capital variable (500 V) dépensé dans cette section. En résultat de cette réalisation, les capitalistes de la section II voient leur capital variable leur revenir sous forme d’argent et ils peuvent de nouveau acheter de la force de travail, et les ouvriers de cette section reconstituent leur force de travail et peuvent de nouveau la vendre. Ensuite les capitalistes de la section II achètent l’un chez l’autre les moyens d’existence nécessaires et des objets de luxe pour une valeur globale de 500. Par la voie de ces circulations entre les capitalistes de la section II est réalisée la partie du produit de cette section, dont la valeur est égale à la masse globale de la plus-value de cette section (500 M). Ainsi, dans les limites de la section II est réalisée la partie du produit (objets de consommation), qui, en valeur, est égale au capital variable et à la plus-value de cette section (500 V + 500 M).

Pour plus de clarté, encadrons les parties du produit qui sont réalisées à l’intérieur de chaque section. Notre schéma prendra alors l’aspect suivant :

Section I : 4 000 C + 1 000 V + 1 000 M = 6 000 Section II : 1 000 C + 500 V + 500 M = 3 000

p. 226

Dans la section I, la partie du produit, d’une valeur de 2 000, qui contient la valeur reproduite du capital variable (1 000 V) dépensé dans cette section et la plus-value (1 000 M), est restée non réalisée. Cette partie du produit consiste en moyens de production, et c’est pourquoi elle ne peut pas servir à la consommation personnelle ni des ouvriers ni des capitalistes de la section II, car, par sa forme naturelle, elle ne peut pas, en général, servir à la consommation personnelle.

D’autre part, cette partie du produit de la section I ne peut pas être employée dans les limites de cette section, également en qualité de capital constant, car celui-ci est déjà indemnisé ici au moyen de la réalisation de la première partie du produit (4 000) et dans la reproduction simple, à la section I, il faut seulement pour 4 000 de moyens de production. Par conséquent, cette partie du produit de la section I non encore réalisée ne peut l’être que dans les limites de la section II. C’est pourquoi elle doit consister en moyens de production servant à la production d’objets de consommation.

Dans la section II, la partie du produit d’une valeur de 2 000 qui représente la valeur du capital constant (2 000 C) dépensé dans cette section est restée non réalisée. Elle consiste en objets de consommation et c’est pourquoi elle ne peut servir à remplacer les éléments matériels du capital constant de cette section, car, par sa forme matérielle, elle ne peut pas, en général, servir de moyens de production. D’autre part, cette partie du produit de la section II ne peut servir à la consommation personnelle des ouvriers et des capitalistes de cette section, car ces derniers ont déjà réalisé leur salaire et leur plus-value dans une autre partie du produit de leur section (500 V + 500 M). Par conséquent, cette partie du produit de la section II non réalisée (2 000) ne peut être réalisée que dans les limites de la section I.

Il est évident que des parties déterminées du produit social ne peuvent être réalisées que par la voie d’échanges entre les deux sections de la production sociale.

La réalisation de ces différentes parties du produit social peut s’effectuer de la façon suivante. Les capitalistes de la section II achètent chez les capitalistes de la section I des moyens de production pour 2 000. Sur l’argent reçu, les capitalistes de la [section I] dépensent 1 000 de plus-value p. 227pour l’achat d’objets de consommation chez les capitalistes de la section II. Et ils payent les autres 1 000 à leurs ouvriers sous forme de salaire. Les ouvriers de la section I achètent chez les capitalistes de la section II des objets de consommation pour 1 000. Ainsi se sont trouvés réalisés dans la section I  1 000 V et 1 000 M et dans la section II  2 000 C.

Tout ce procès de la réalisation du produit social dans son ensemble peut être schématiquement figuré de la façon suivante (les encadrements simples signifient que la réalisation des parties du produit social enfermées dans ceux-ci se produit dans les limites de la section donnée, et les encadrements réunis par un trait signifient que la réalisation se produit dans la circulation entre les sections) :

Section I : 4 000 C + 1 000 V + 1 000 M = 6 000 Section II : 1 000 C + 500 V + 500 M = 3 000

Ainsi, avec la composition en valeur et en valeur d’usage de tout le produit social que nous avons supposé, est possible la pleine réalisation de toutes les parties du produit social sans excédent. Par son schéma de la réalisation dans la reproduction simple, Marx a illustré la façon dont est indemnisé par le produit annuel de la société le capital constant dépensé et la façon dont la consommation des ouvriers et des capitalistes est liée avec cela. Il a dévoilé et clairement montré les lignes fondamentales et les plus simples suivant lesquelles se produit le mouvement du capital social dans son ensemble et dans ses parties composantes. Par cela même, il a résolu la question la plus difficile, celle de savoir comment le mouvement des parties composantes en valeur du produit social est lié avec le mouvement de ses parties composantes en valeur d’usage.

Toutes ces conditions compliquées de la réalisation dans la reproduction simple, et, par conséquent, les conditions de la reproduction simple elle-même, que nous venons d’analyser, peuvent être réduites à une condition fondamentale très simple, à savoir : pour que puisse avoir lieu la reproduction simple, il est nécessaire que toute la somme du capital variable et de la plus-value de la section I (I V + I M) soit égale au capital constant de la section II (II C).

Cela découle de l’exemple donné par nous, dans lequel p. 228I V (1 000) + I M (1 000) = II C (2 000). Sous cette condition, toutes les parties du produit social peuvent être réalisées, l’indemnisation du capital constant se produit dans toutes les entreprises individuelles, la force de travail dépensé se reconstitue et la production peut se renouveler dans les mêmes dimensions qu’auparavant, c’est-à-dire que la reproduction simple est possible.

En appliquant la même méthode que dans l’analyse de la reproduction simple, Marx a dévoilé aussi les conditions dans lesquelles est possible la reproduction élargie.

La réalisation dans la reproduction élargie

Dans la reproduction élargie, les capitalistes consomment comme revenu non toute leur plus-value, mais seulement une partie de celle-ci ; l’autre partie est jointe au capital, s’accumule. Il s’ensuit que dans la reproduction élargie la partie du produit de la section I qui représente la plus-value (1 000 M) ne peut être entièrement échangée contre les objets de consommation. Une certaine partie est jointe au capital constant de la section I sous forme de moyens de production supplémentaires et est réalisée ainsi dans les limites de cette section. Par conséquent, ce ne sera pas toute la somme I V + I M, mais seulement une partie de celle-ci, qui passera dans l’échange de la section I avec la section II. Cela est possible seulement dans le cas où le capital constant de la section II est moindre que la somme du capital variable et de la plus-value de la section I. Pour la reproduction élargie, il est par conséquent nécessaire que la somme du capital variable et de la plus-value de la section I (I V + I M) soit plus grande que le capital constant de la section II (II C).

Cette condition de la reproduction élargie sera réalisée si l’ensemble du produit social a, par exemple, la composition suivante en valeur et en valeur d’usage :

I.   4 000 C  +  1 000 V  +  1 000 M  =  6 000
II.   1 500 C  +  750 V  +  750 M  =  3 000

Comme dans la section II le capital constant (1 500) est moindre que la somme du capital variable et de la plus-value de la section I, les capitalistes de la section II ne feront pas une demande pour toute cette somme et les p. 229capitalistes de la section I convertiront une partie de leur plus-value en capital.

Supposons que les capitalistes de la section I accumulent la moitié de leur plus-value, c’est-à-dire 500. Si la composition organique du capital reste chez eux inchangée, ils doivent ajouter au capital constant 400 et au capital variable 100. Par conséquent, sur tout le produit de la section I (6 000 de moyens de production) 4 400 sont consommés dans les limites de cette même section. Les autres 1 600 de moyens de production (qui d’après leur valeur se composent de 1 100 de capital variable et 500 de plus-value) doivent être échangés contre des produits de la section II, car dans leur forme naturelle (moyens de production) ils ne peuvent servir à la consommation personnelle ni des ouvriers ni des capitalistes de la section I.

En analysant la composition du produit annuel, nous étudions par cela même le cycle annuel de la production. Le produit annuel est le produit de la production annuelle. Sa composition en valeur est le résultat du transfert de la valeur des moyens de production dépensés et de la création d’une nouvelle valeur. Dans le produit de la section I cela est exprimé par la formule suivante : 4 000 C + 1 000 V + 1 000 M. Cette formule montre la composition en valeur du produit, tel qu’il est sorti du procès de production de la première année. Pour que la reproduction soit élargie au cours de la seconde année, est nécessaire déjà une autre répartition des parties composantes de la valeur du produit : pour indemniser le capital constant usé il doit être consacré 4 000 sur la composition de la valeur du produit, pour élargir le capital constant, 400, pour acheter de la force de travail, 1 100, et pour la consommation des capitalistes, 500. Ainsi la composition en valeur du produit tel qu’il doit entrer dans la production et dans la consommation de l’année suivante sera : 4 400 C + 1 100 V + 500 M.

Les capitalistes de la section I doivent vendre aux capitalistes de la section II des moyens de production pour 1 600. Mais pour que les capitalistes de la section II puissent employer chez eux des moyens de production pour 1 600 à la place des moyens de production dépensés par eux l’année précédente (1 500), ils doivent augmenter leur capital constant de 100. Ils ne peuvent prendre ces 100 que sur leur plus-value. Si la composition organique du capital reste inchangée, les capitalistes de la section II, en ajoutant à p. 230leur capital constant 100, doivent ajouter au capital variable 50. Leur capital variable s’élèvera au commencement de la seconde année à 800. Sur leur plus-value de 750, ils accumulent ainsi 150 (ils ajoutent 100 au capital constant et 50 au capital variable). Pour la reproduction élargie dans la section II, la valeur du produit de cette section sera, par conséquent, répartie au moment de la seconde année de la façon suivante : 1 600 C + 800 V + 600 M.

Nous avons vu plus haut que la composition de tout le produit social était, à la fin de la première année :

I.   4 000 C  +  1 000 V  +  1 000 M  =  6 000
II.   1 500 C  +  750 V  +  750 M  =  3 000

Maintenant nous voyons que pour commencer la reproduction élargie dans les deux sections, tout le produit social doit avoir au commencement de la seconde année la composition suivante :

I.   4 400 C  +  1 100 V  +  500 M  =  6 000
II.   1 600 C  +  800 V  +  600 M  =  3 000

La réalisation du produit s’effectuera de la façon suivante. Les capitalistes de la section I achètent l’un à l’autre pour 4 400 de moyens de production et réalisent ainsi une partie du produit de cette section. Les ouvriers de la section II achètent aux capitalistes de cette section pour 800 de moyens d’existence et les capitalistes achètent l’un à l’autre pour 600 de moyens d’existence. Quant à l’échange de 1 600 de moyens de production (1 100 de capital variable, 500 pour la consommation des capitalistes de la section I) contre 1 600 de moyens de consommation (1 600 de capital constant de la section II), il a lieu entre les sections I et II. Le nouveau cycle de la production commencera, par conséquent, dans les deux sections sur la base d’un capital plus grand que dans le premier cycle. Dans ce premier cycle tout le capital de la section I était de 5 000 (= 4 000 C + 1 000 V), maintenant il s’élève à 5 500 (= 4 400 C + 1 100 V). Le capital de la section II était au commencement du premier cycle 2 250 (= 1 500 C + 750 V) et au commencement du second cycle il est égal à 2 400 (= 1 600 C + 800 V). Et tout le capital social, qui dans le premier cycle était de 7 250, est maintenant de 7 900.

p. 231

Si le taux de la plus-value reste sans changement, le produit de la seconde année aura la composition suivante :

I.   4 400 C  +  1 100 V  +  1 100 M  =  6 600
II.   1 600 C  +  800 V  +  800 M  =  3 200

Sur la base de cette composition du produit après sa réalisation commence le troisième cycle de la production, etc.

La théorie de la reproduction est le développement de la théorie de la valeur

Les schémas marxistes de la réalisation du produit social, de la reproduction et de la circulation du capital social illustrent par quelle voie, dans la reproduction simple et élargie, sont indemnisés les éléments du capital, illustrent la façon dont la consommation des ouvriers et des capitalistes est liée avec cela et la façon dont le mouvement des parties composantes en valeur du produit social est lié au mouvement de ses parties composantes en valeur d’usage.

Le mouvement du capital social dans son ensemble, composé d’un grand nombre de mouvements qui s’enchevêtrent de capitaux individuels, est un procès très compliqué et très confus. Marx caractérise de la façon suivante la complexité de ce procès :

Tant qu’on ne considère que le fonds de la production annuelle globale, le procès de reproduction annuel est aisément compréhensible. Mais toutes les composantes de la production annuelle doivent être mises sur le marché, et c’est là que commence la difficulté. Les mouvements des capitaux individuels et des revenus personnels se croisent, s’entremêlent, se perdent dans un déplacement universel — la circulation de la richesse sociale — qui trouble le regard et donne à l’analyse des problèmes très complexes à résoudre.

Marx, Le Capital, Livre I, P.U.F., Paris, 2009, p. 661-662.

Les économistes bourgeois ne sont pas à même de comprendre ce procès. Même les meilleurs d’entre eux, comme Smith et Ricardo, qui reconnaissaient que la valeur des marchandises est créée par le travail, n’ont pu comprendre. Ils ne l’ont pas pu parce qu’ils n’ont pas compris que ce travail à un caractère double particulier, caractéristique pour le mode de production capitaliste ; ils n’ont pas vu les contradictions de ce dernier. Et c’est précisément pour cela que leur vue se trouble.

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Marx, sur la base de l’analyse des contradictions de la production capitaliste, a dévoilé la composition double du produit social en valeur et en forme naturelle et a montré comment s’effectuent la réalisation du produit et la reproduction du capital.

Par sa doctrine du caractère double du travail qui produit les marchandises, doctrine du caractère spécifiquement historique de ce travail, Marx a donné la clé qui permet de comprendre cet « universel changement de place » que représente la circulation de la richesse sociale en régime capitaliste, il a apporté la plus grande clarté dans les phénomènes les plus obscurs et les plus confus du capitalisme, il a résolu les questions les plus difficiles, qui semblaient être insolubles. Cela signifie que la théorie marxiste de la reproduction et de la circulation du capital social est une application directe de sa doctrine du caractère double du travail, le développement ultérieur de sa théorie de la valeur et de la plus-value.

Et, précisément, cette circonstance jette une éclatante lumière encore sur un côté de la théorie marxiste de la reproduction, et dévoile le sens profond de cette théorie qui a une importance de premier ordre pour la compréhension des contradictions du capitalisme.

Les apologistes du capitalisme affirment que la marche ininterrompue de la reproduction sociale, aussi bien simple qu’élargie, est possible en régime capitaliste. Certains de ces apologistes, comme l’économiste bourgeois Tougan-Baranovski et le social-démocrate Otto Bauer, affirment que Marx dans ses schémas a prétendument prouvé l’existence d’une parfaite harmonie entre toutes les parties de la production sociale en régime capitaliste, l’existence d’un certain équilibre. Toutes ces affirmations ne sont rien autre qu’une tentative de déformation consciente et grossière de la théorie de Marx, afin d’embellir et de dissimuler sous ce pavillon les profondes contradictions qui dévorent le capitalisme et de le présenter comme une économie sociale organisée, comme un « capitalisme organisé ».

Nous avons déjà montré dans le chapitre 2 que la loi de la valeur n’est pas la loi de l’équilibre de la production des marchandises, que la valeur est l’expression des contradictions du mode capitaliste de production. C’est pourquoi la théorie de la reproduction de Marx, qui est le développement ultérieur de sa théorie de la valeur, non seulement ne prouve p. 233pas une harmonie quelconque de la reproduction capitaliste, mais, au contraire, dévoile le caractère profondément contradictoire de la reproduction et du mouvement du capital social dans son ensemble.

Par ses schémas, Marx illustre seulement les conditions sous lesquelles sont possibles la réalisation du produit social et la reproduction (aussi bien simple qu’élargie) en régime capitaliste. Mais il ne prouve pas du tout que cette possibilité se transforme toujours en réalité. Du fait que, sous certaines conditions, la reproduction du capital social est possible, il ne s’ensuit nullement que ces conditions existent toujours dans la réalité. Les conditions d’une reproduction ininterrompue sont : 1o une composition déterminée de la valeur et de la valeur d’usage du produit social ; et 2o  la réalisation aussi bien de la valeur que de la valeur d’usage de toutes les parties composantes du produit social. Mais même dans le cas où existe la composition du produit social nécessaire pour la reproduction, cela n’assure pas encore sa pleine réalisation. Nous avons vu que cette réalisation s’effectue par la voie d’une série de procès compliqués de circulation entre les capitalistes et les ouvriers des deux sections. Toute la circulation du produit social se compose d’un grand nombre d’actes d’achat et de vente,

… s’opérant indépendamment l’un de l’autre, mais s’entremêlant sans cesse. La complication même du procès rend possible une marche anormale. (Marx : le Capital, t. 8, p. 159-160. Costes. Paris, 1926.)

Mais ce n’est pas encore tout. Du fait que pour la reproduction une composition déterminée du produit social est nécessaire, il ne s’ensuit pas encore que cette composition existe toujours en réalité. L’anarchie de la production, caractéristique pour le capitalisme, aboutit plutôt au fait que le produit social n’a pas la composition nécessaire pour la marche régulière de la reproduction. Pour qu’une telle composition existât en réalité, une organisation planée de la production dans toute la société serait nécessaire et cela contredit l’essence même du capitalisme, qui consiste dans la contradiction entre le caractère social de la production et l’appropriation capitaliste. Cette contradiction fondamentale du capitalisme rend impossible la marche régulière et p. 234ininterrompue de la reproduction capitaliste et conditionne son caractère contradictoire.

Le développement donné par Lénine à la théorie marxiste de la reproduction

La question de la reproduction capitaliste et de ses contradictions est une des questions centrales de l’économie politique. Comme cela a déjà été montré dans le chapitre 6, la reproduction capitaliste aggrave les contradictions du capitalisme et prépare les conditions de sa ruine et les prémices de l’ordre socialiste. La question des contradictions de la reproduction capitaliste a ainsi une énorme importance pour la lutte révolutionnaire du prolétariat contre le capitalisme.

Le contenu révolutionnaire de la théorie marxiste de la reproduction a été pleinement dévoilé et développé par Lénine déjà à la fin du siècle passé, alors qu’en Russie le mouvement ouvrier révolutionnaire indépendant était seulement encore en train de se former.

Dans les rangs des intellectuels bourgeois étaient apparus des « savants » (Tougan-Baranovski, Strouvé, Boulgakov) qu’on appelait les « marxistes légaux » ; ils affirmaient que des schémas marxistes de la reproduction il découlait prétendument que le capitalisme est le seul régime progressif, privé de contradictions, appelé à développer sans limites les forces productives de la société. Ils tentaient de subordonner le mouvement ouvrier aux intérêts de la bourgeoisie et de lui ôter son indépendance. À leur remorque se traînaient les menchéviks.

D’un autre côté, les narodniks, ces « socialistes » petits-bourgeois voyaient les contradictions du capitalisme, mais ne comprenaient pas leur caractère. Ils affirmaient que des contradictions du capitalisme découle l’impossibilité de son développement, que, par comparaison avec la petite production marchande, le capitalisme est un pas en arrière ; que le véritable socialisme consiste dans la conservation de la petite production marchande. Ces idéologues de la petite bourgeoisie considéraient la classe ouvrière seulement comme une force auxiliaire pour le mouvement paysan. Lénine intervint contre toutes ces tentatives de détourner la classe ouvrière de la voie révolutionnaire indépendante. Une des armes principales et les plus fortes que Lénine ait p. 235dirigées contre les ennemis déclarés et secrets du prolétariat, fut la théorie marxiste de la reproduction capitaliste. À côté de cela, Lénine n’a pas seulement dévoilé tout le contenu révolutionnaire de la théorie de Marx, mais il l’a aussi développée, l’enrichissant d’un nouveau contenu.

Lénine a élaboré en détail et a concrétisé la question des voies de développement du capitalisme, la question de savoir sous quelle forme s’effectue le développement de la contradiction fondamentale du capitalisme. Sur cette base, il a découvert les voies du développement du capitalisme en Russie et, contrairement aux narodniks, il a montré qu’en Russie se produit un développement rapide du capitalisme, que dans la marche de ce développement croît et s’organise une classe ouvrière révolutionnaire — la force révolutionnaire dirigeante dans la lutte contre l’autocratie et les restes de la féodalité.

Lénine a montré que la future révolution en Russie doit en finir avec le tsarisme pour passer immédiatement à l’étape suivante, — au renversement du capitalisme, à la révolution prolétarienne, qui est le commencement de la révolution prolétarienne mondiale.

Cette question des contradictions de la reproduction capitaliste et du développement de la théorie marxiste de la reproduction par Lénine, nous l’examinerons en liaison avec la lutte que Lénine a menée contre les socialistes petits-bourgeois et les apologistes bourgeois.

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