Dominique Meeùs
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Passons maintenant à une autre question.
Comment et sous quelle forme une partie de la plus-value, produite par la classe ouvrière et appropriée, en premier lieu, par le capital industriel, passe-t-elle au capital commercial ?
Nous savons déjà que le mouvement du capital commercial est celui du capital industriel dans la sphère de la circulation. La fonction des capitalistes commerçants p. 180consiste à transformer le capital-marchandise en capital-argent. S’il n’y avait pas de capital commercial, le capital industriel devrait posséder un capital supplémentaire pour pouvoir produire d’une façon ininterrompue. Au point de vue social, le capital commercial est donc un capital supplémentaire au capital industriel bien qu’il en soit séparé et qu’il lui soit même opposé sous la forme du capital d’un groupe particulier de capitalistes commerçants.
Pour expliquer comment une partie de la plus-value se transforme en profit des capitalistes-commerçants, prenons l’exemple suivant.
Supposons qu’un industriel possède un capital de 400 000 francs, qui rapporte 80 000 francs ou 20 % de profit (d’après le taux moyen du profit), que la production de la marchandise dure 12 mois et que pour la transformation de la marchandise en argent, c’est-à-dire pour sa circulation, il faut également 12 mois. Supposons encore que l’industriel possède lui-même un capital supplémentaire. Le temps nécessaire à la circulation des marchandises étant égal à celui de sa production, le capital supplémentaire devra être de la même grandeur que celui engagé dans la production. Lorsque le second cycle de production sera terminé, les marchandises du premier cycle seront déjà vendues et le capitaliste pourra commencer le troisième cycle, etc.
Comment l’existence de capital supplémentaire influe-t-elle sur le taux du profit ? Le capital constamment engagé dans la production est de 400 000 francs qui rapportent annuellement 80 000 francs de profit ; mais tout le capital n’est pas de 400, mais de 800 000 francs. C’est pourquoi le taux du profit n’est pas, en réalité, de 20, mais de 10 %, le taux du profit étant le rapport de la plus-value, à l’ensemble du capital. La situation est tout à fait semblable pour l’ensemble du capital social : il comporte un capital continuellement engagé dans la production et un capital qui est en circulation. Par conséquent, l’existence d’un capital supplémentaire a pour effet que le taux moyen du profit est moindre que si la durée de la circulation était égale à zéro et si tout le capital était engagé dans la production.
Le taux moyen ou social du profit est le rapport de la p. 181masse totale de plus-value à l’ensemble du capital social, industriel et commercial.
La séparation du capital supplémentaire social, nécessaire à la circulation, comme capital commercial, appartenant à un groupe spécial de capitalistes commerçants, a pour résultat que ce capital supplémentaire est plus petit que si chaque capitaliste industriel possédait le capital supplémentaire nécessaire à la circulation et avait sa propre entreprise commerciale. En concentrant entre ses mains les marchandises de plusieurs industriels, le commerçant les fait circuler plus vite. En achetant des marchandises chez un industriel et en les vendant, le commerçant peut acheter avec le même argent des marchandises chez un autre industriel. Avec son capital, il remplace ainsi plusieurs capitaux supplémentaires. La concentration du commerce entre les mains d’un groupe spécial de capitalistes diminue le capital supplémentaire nécessaire à la circulation.
Supposons que, par suite de la séparation et de la concentration du capital supplémentaire de circulation entre les mains des commerçants, comme complément à tout le capital social industriel de 400 000 francs, soit nécessaire un capital supplémentaire non pas de 400 000 francs, mais seulement de 100 000 francs. Tout le capital social représentera alors une somme de 500 000 francs. Une partie de ce capital, 400 000 francs, est investie dans la production et appartient aux industriels et l’autre partie, 100 000 francs, continuellement en circulation, appartient aux commerçants.
Le capital rapporte une plus-value de 80 000 francs par an. Le taux moyen du profit est donc de 16 % (le rapport de 80 000 francs de plus-value à tout le capital social de 500 000 francs). Les industriels vendent leur marchandise au prix de production, c’est-à-dire en ajoutant 16 % (64 000 francs) au prix de revient de 400 000 francs et vendent leur marchandise aux commerçants 464 000 francs. Cette marchandise renferme donc encore pour 16 000 francs de plus-value (80 000 francs − 64 000 francs). En la vendant 480 000 francs, les commerçants réalisent cette plus-value et touchent ainsi 16 % du profit.
Le profit du capital commercial ou profit commercial est donc une partie de la plus-value. Cette répartition de la p. 182plus-value entre les industriels et les commerçants a lieu, bien entendu, non en vertu d’un « contrat collectif » entre eux, mais de la façon dont se produit, en général, la répartition de la plus-value entre les capitalistes, c’est-à-dire par la voie de la concurrence des capitaux.
Formant une partie de l’ensemble du capital social, participant à la concurrence des capitaux et au nivellement du taux du profit, le capital commercial réalise un taux du profit égal à celui du capital industriel.
Sous la forme du profit commercial, la plus-value est dissimulée plus encore que sous celle du profit industriel. Si le capital industriel passe, dans son mouvement, par la forme du capital-argent, du capital productif et du capital-marchandise, le capital commercial passe seulement par les formes du capital-argent et du capital-marchandise A — M — A′ ; son mouvement a pour formule : A — M — A′. Ici, tout lien avec la production semble complètement rompu. Le commerçant touche son profit, en majorant le prix de vente de la marchandise, ou vendant la marchandise plus cher qu’il ne l’a achetée et pour cette raison il semble que son profit soit créé par la circulation des marchandises. En réalité, le profit commercial c’est, convertie en argent, une partie de la plus-value renfermée dans la marchandise achetée par le commerçant et à lui cédée par le capitaliste industriel.
Mais dans le profit sur le capital de prêts, dans l’intérêt, nous avons un degré encore plus élevé, le plus haut degré de la déformation des rapports de production capitalistes.
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