Dominique Meeùs
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2. La reproduction élargie

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La reproduction élargie est la répétition du procès de production dans une proportion grandissante grâce à la transformation de la plus-value en capital. Prenons un capital de 6 000 francs se composant de 3 000 francs de capital constant et de 3 000 francs de capital variable. Avec le taux de la plus-value ou le degré d’exploitation de 100 %, la masse de la plus-value sera de 3 000 francs. Si le capitaliste ajoute au capital 2 000 francs sur les 3 000 de plus-value, le rapport entre le capital constant et le capital variable restant sans changement, il obtiendra un nouveau capital de 8 000 francs, dont 4 000 de capital constant et 4 000 de p. 128capital variable. Le taux de la plus-value étant de 100 %, la masse de cette dernière montera à 4 000 francs. Avec la conversion d’une partie de cette plus-value en capital, on obtiendra un capital plus grand que 8 000 francs, lequel donnera à son tour une plus grande plus-value, etc. Il se produit l’accumulation du capital. Plus grande est l’accumulation du capital, plus il crée de plus-value ; plus il se crée de plus-value, plus grande est l’accumulation du capital.

Le rapport entre le capital constant et le capital variable déterminé par le niveau technique de la production porte le nom de composition organique du capital. Avec l’augmentation du nombre des machines employées et de la quantité des matières premières transformées par un ouvrier, le capitaliste dépense relativement plus pour le capital constant et relativement moins pour le capital variable. Il se produit un accroissement de la composition organique du capital.

L’accumulation et la composition organique du capital

Examinons d’abord l’accumulation, lorsque la composition organique du capital reste la même (l’exemple que nous venons de citer). Cette accumulation avait lieu surtout au début de la production capitaliste où les machines n’étaient guère employées (la période des manufactures). Dans ces conditions, tout élargissement de la production impliquait l’accroissement du capital variable dans la même proportion que celui du capital constant. Mais cela signifiait que la croissance de la demande de main-d’œuvre était en somme proportionnelle à la croissance du capital.

Il peut arriver que les besoins de l’accumulation du capital soient supérieurs à l’accroissement du nombre d’ouvriers, qu’on demande plus d’ouvriers qu’il ne s’en présente et que les salaires montent. (K. Marx : le Capital, t. 4, p. 73.)

Mais ce relèvement des salaires ne peut être que temporaire. Les salaires une fois augmentés, la plus-value diminue, les autres conditions étant égales. Si la diminution de la plus-value atteint des proportions importantes, l’accumulation diminuera d’autant. Mais la diminution de cette dernière conduit à la diminution de la demande de main-d’œuvre et par conséquent à celle des salaires.

On voit donc que le mouvement des salaires est p. 129subordonné aux nécessités de l’accumulation du capital même lorsque celle-ci a lieu sans aucun changement de la composition organique du capital.

Le développement du capitalisme est rattaché d’une façon indissoluble à la croissance de la composition organique du capital. Dans le régime de la concurrence, la victoire appartient au capitaliste qui vend la marchandise au prix le plus bas. Aussi, chaque capitaliste cherche-t-il à baisser ses prix de revient ; il a recours à la baisse des salaires et à l’introduction de nouvelles machines qui augmentent la productivité du travail. Mais cela implique la croissance de la composition organique du capital, c’est-à-dire l’augmentation de la part du capital constant dans l’ensemble du capital ou une croissance plus rapide du capital constant par rapport au capital variable.

Reprenons notre précédent exemple et supposons qu’ajoutant à son capital 2 000 francs de plus-value accumulée, le capitaliste investisse dans le capital constant et dans le capital variable non pas 4 000 francs pour chacun, mais 4 500 dans le capital constant et 3 500 dans le capital variable. L’un et l’autre auront subi une augmentation, mais le capital constant se sera accru plus rapidement que le capital variable. En admettant que le taux de la plus-value reste le même, soit 100 %, la masse de la plus-value montera à 3 500.

Mais avec l’accroissement de la composition organique du capital, la productivité du travail grandit, ce qui fait naître la production de la plus-value relative et la croissance du taux de la plus-value. Ce dernier subissant un accroissement de 50 % et atteignant le chiffre de 150 %, le capital variable de 3 500 créera une plus-value de 5 250 francs.

Plus vite augmente la composition organique du capital, plus rapidement s’accroît la productivité du travail et en même temps le taux et la masse de la plus-value. Mais si la plus-value s’accroît rapidement, l’accumulation du capital devient plus rapide, cette accumulation n’étant rien d’autre que la transformation de la plus-value en capital.

La croissance de la composition organique du capital accélère l’accumulation. Mais la croissance de celle-ci implique l’extension de la production, l’agrandissement de l’entreprise. Or, dans une grande entreprise, il existe plus de possibilités d’appliquer de nouvelles machines, c’est-à-dire d’augmenter la composition organique du capital.

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Le rythme accéléré de l’accumulation dû à la croissance de la composition organique du capital devient à son tour la cause de la croissance accélérée de la composition organique du capital, ce qui accélère encore l’accumulation, etc.

La loi de l’appropriation capitaliste

Même dans la reproduction simple tout capital se transforme tôt ou tard en plus-value accumulée. Mais dans la reproduction élargie, le capital supplémentaire représente, dès le début, la plus-value transformée en capital. C’est justement avec cette plus-value que le capitaliste paye la force de travail supplémentaire nouvellement achetée qui crée encore davantage de plus-value. Le capitaliste utilise le travail non payé comme moyen pour soutirer de nouveau du travail non payé.

L’appropriation par le capitaliste du travail non payé, loin de contredire les lois de l’échange des marchandises, découle au contraire de ces lois. L’ouvrier touche la valeur de sa force de travail et la plus-value qu’il a créée est appropriée par le capitaliste en vertu des lois de l’échange des marchandises : celui qui avait acheté la force de travail, devient maître de la valeur d’usage de cette unique marchandise qui possède la vertu de produire une valeur supérieure à la sienne. Primitivement, l’échange des équivalents est fondé sur un mode de production dans lequel le produit du travail appartient à son producteur. Cette appropriation reposait sur le travail du producteur lui-même, alors que l’appropriation capitaliste ne repose pas sur le travail personnel du capitaliste, mais constitue l’appropriation du travail non payé d’un autre.

À l’origine, le droit de propriété nous apparaissait comme fondé sur le travail personnel. Actuellement, la propriété nous apparaît chez le capitaliste comme le droit de s’approprier sans paiement le travail d’autrui ou le produit de ce travail ; chez l’ouvrier comme l’impossibilité de s’approprier son propre produit. (K. Marx : le Capital, t. 4, p. 36.)

En s’appropriant (en vertu des lois de la circulation des marchandises) le travail d’autrui, le capitaliste obtient la possibilité d’exploiter plus d’ouvriers. Plus l’ouvrier produit de plus-value, plus il augmente le capital, c’est-à-dire qu’il p. 131produit lui-même dans une proportion croissante la force qui l’asservit et le domine. L’accumulation du capital c’est l’exploitation et l’asservissement accentués de la classe ouvrière.

La concentration et la centralisation du capital

L’accumulation du capital signifie en même temps la concentration. En général…

Tout capital est une concentration plus ou moins grande des moyens de production avec le commandement correspondant d’une armée plus ou moins grande d’ouvriers. (K. Marx : le Capital, t. 4, p. 89.)

L’accumulation du capital signifie la croissance de cette concentration des moyens de production sociaux entre les mains de capitalistes individuels et de la domination du capital sur le travail. En d’autres termes, la concentration aggrave la contradiction fondamentale du capitalisme entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.

L’accumulation du capital et la concentration qui s’y rattache sont suivies du procès de la centralisation du capital. Si la concentration s’opère par l’adjonction à l’ancien capital d’un capital nouveau, par la transformation de la plus-value en capital, c’est-à-dire par l’accumulation, la centralisation c’est le groupement des capitaux individuels déjà existants entre les mains d’un nombre de moins en moins grand de capitalistes.

Cela provient du fait que les capitalistes les plus faibles succombent dans la concurrence et que leurs entreprises passent entre les mains de capitalistes plus forts. La victoire reste à ceux qui ont concentré le plus de moyens de production et qui commandent « une plus grande armée ouvrière ». Par conséquent, sous ce rapport, la concentration est la base de la centralisation.

La centralisation du capital se produit également par le groupement de plusieurs capitaux en un capital commun, d’un groupe de capitalistes en une société par actions. Les participants des sociétés par actions deviennent les copropriétaires de l’entreprise (sur les sociétés par actions, voir chapitre 10). Il se crée donc une grosse entreprise dont la p. 132composition organique du capital est plus élevée. Ici, l’accumulation et la concentration se font plus rapidement. Donc, la centralisation du capital, sans être par elle-même de l’accumulation (puisqu’elle est le groupement de capitaux existants) favorise l’accumulation et la concentration, la recrudescence de l’exploitation.

La diminution relative du capital variable

L’accumulation par la croissance de la composition organique du capital et la centralisation qui lui est consécutive ont pour effet la diminution relative du nombre des ouvriers occupés. Pour s’en bien rendre compte, reprenons les exemples précédents.

Le capital de 6 000 francs, qui se compose de 3 000 francs de capital variable et de 3 000 francs de capital constant, a produit une plus-value de 3 000 francs dont 2 000 sont convertis en capital. Supposons que la composition organique de l’ancien capital (6 000 francs) ne change pas, mais que la composition organique du capital additionnel change, que celui-ci se compose non de mille francs de capital constant et de mille francs de capital variable, mais mettons de 1 250 francs de capital constant et de 750 francs de capital variable. Cela veut dire que le capital additionnel de 2 000 francs occupe maintenant moins d’ouvriers que si sa composition organique restait inchangée. Le capital variable a subi un accroissement absolu (de 3 000 à 3 750 francs), mais il a subi une décroissance relative puisqu’il forme dorénavant une part moins grande de l’ensemble du capital (qui comprend 53 % de capital constant et 47 % de capital variable).

Lorsque les vieux moyens de production seront usés et remplacés par d’autres, ce remplacement se fera de manière que la composition organique de l’ancien capital se trouvera relevée. Admettons qu’il se décompose désormais en 3 250 francs de capital constant et en 2 750 francs de capital variable. Cela prouve qu’il occupe maintenant un nombre moindre d’ouvriers qu’auparavant. Le capital tout entier se composera désormais de 4 500 francs (3 250 francs + 1 250 francs) de capital constant et de 3 500 francs (2 750 francs + 750 francs) de capital variable. Ici, le capital variable s’accroît dans une proportion encore moindre que dans le cas où s’opère le relèvement de la composition organique du capital additionnel seulement.

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En augmentant d’étendue, de concentration et d’efficacité technique, les moyens de production sont de moins en moins des moyens d’occupation de l’ouvrier… D’une part, le capital additionnel formé dans le cours de l’accumulation attire donc, proportionnellement à sa grandeur, des ouvriers de moins en moins nombreux. D’autre part, le capital ancien, périodiquement reproduit dans une composition nouvelle, repousse de plus en plus les ouvriers qu’il occupait autrefois. (K. Marx : le Capital, t. 4, p. 92-93.)

En produisant dans une proportion grandissante le capital, la classe ouvrière reproduit dans une proportion plus grande non seulement les moyens de son asservissement et de son oppression, mais aussi les moyens qui rendent superflues des quantités de plus en plus considérables d’ouvriers. C’est là l’une des lois les plus importantes du développement du capitalisme, loi qui est non seulement la conséquence, mais aussi la condition de ce développement et qui exerce une influence énorme sur la situation de la classe ouvrière en régime capitaliste.

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