Dominique Meeùs
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2. Les formes du salaire

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En présentant le travail de l’ouvrier comme entièrement payé, le salaire constitue entre les mains du capitaliste un moyen de renforcer son exploitation.

Il existe plusieurs formes de salaire. Mais toutes les formes de salaire peuvent être ramenées à deux principales : salaire au temps et salaire aux pièces.

Le salaire au temps

Le salaire au temps est payé pour une journée de travail d’une durée déterminée, par exemple, 4 francs pour une journée de 8 heures. Le prix d’une heure de travail est la mesure du prix du travail (n’oublions pas que le travail n’a pas de valeur et que, par conséquent, il n’a pas de prix ; nous nous servons ici de l’expression « prix du travail » uniquement dans le sens de la forme modifiée de la valeur de la force de travail). Dans notre exemple, le prix d’une heure de travail est de 0,50.

Le prix du travail peut rester invariable, et le salaire diminuer ou augmenter. Ainsi, lorsque diminue la journée de travail, le salaire horaire étant le même, le salaire diminue. Si, dans notre exemple, la journée de travail est réduite de 8 à 6 heures, et que le prix horaire reste de 0,50, le salaire sera de 3 francs. On est porté à croire que les intérêts de l’ouvrier n’ont pas été lésés. Il reçoit moins parce qu’il travaille moins, le « prix du travail » n’a pas baissé. Le capitaliste semble lui payer le même prix pour son travail. Mais en réalité, il se produit ici une baisse du salaire au-dessous de la valeur de la force de travail.

Dans notre exemple, la valeur de la force de travail est de 4 et non de 3 francs. Avec 3 francs, l’ouvrier n’arrive pas à reproduire sa force de travail. Le capitaliste paye ainsi la force de travail au-dessous de sa valeur. Mais ce fait est dissimulé par « le prix du travail ». Comme le salaire horaire n’a pas changé, on en conclut que l’ouvrier n’a rien à réclamer du capitaliste.

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Nous avons vu plus haut les suites pernicieuses de l’excès de travail ; nous découvrons ici les sources des maux qui résultent pour l’ouvrier d’une occupation insuffisante. (K. Marx : le Capital, t. 3, p. 248.)

Dans tous les pays capitalistes, au cours de la crise économique actuelle, on a diminué non seulement le nombre des ouvriers occupés, en transformant une partie des ouvriers occupés en chômeurs, mais aussi le temps de travail de ceux qui sont encore occupés. Naturellement, les capitalistes, sous prétexte de la réduction du temps de travail (semaine incomplète), réduisent en même temps les salaires. Les chefs social-démocrates ont rendu à la bourgeoisie le plus grand service en l’aidant à voler la classe ouvrière. Ainsi, en Allemagne, l’ancien ministre du Travail, le social-démocrate Wissel écrivait :

La réduction du temps de travail ne peut être appliquée qu’avec une réduction correspondante des salaires.

Par contre, les partis communistes, dans les pays capitalistes, luttent pour la réduction de la journée de travail sans diminution de salaire.

La baisse des salaires au-dessous de la valeur de la force de travail a lieu également dans le cas où la journée de travail est prolongée et où l’ancien prix horaire est conservé. Si, dans notre exemple, la journée de travail est portée à 10 heures, le salaire horaire de 0,50 étant le même, le salaire montera à 5 francs par jour. Encore une fois, de prime abord, il semble que l’ouvrier n’ait rien à réclamer du capitaliste. Faisant plus d’heures, il touche davantage. Cependant les dernières heures de travail demandent une plus grande dépense d’énergie que les premières heures.

La valeur de la force de travail, qui n’en est, après tout, que l’usure, croît avec la durée du fonctionnement de cette force, et en proportion plus rapide que l’accroissement de la durée de fonctionnement. (K. Marx : le Capital, t. 3, p. 249.)

C’est pourquoi, avec la prolongation de la journée de travail, les ouvriers réclament l’augmentation du salaire horaire. Mais, d’autre part, la prolongation de la journée de travail accentue la concurrence parmi les ouvriers. Ainsi, en portant la journée de 8 à 10 heures, quatre ouvriers font autant p. 119de travail que cinq auparavant. Le renforcement de la concurrence entre les ouvriers permet au capitaliste de baisser le « prix du travail », c’est-à-dire le salaire horaire. Mais pour conserver le même salaire journalier, le salaire horaire ayant subi une baisse, l’ouvrier devra fournir une plus grande quantité d’heures de travail. Il est donc amené à faire des heures supplémentaires qui sapent ses forces et aggravent la concurrence entre les ouvriers. L’exploitation capitaliste s’en trouve accrue.

Le salaire aux pièces

Le salaire aux pièces est payé à l’ouvrier pour chaque unité de marchandise. Mais, en réalité, le salaire aux pièces n’est rien d’autre que la forme modifiée du salaire au temps. On considère, pour le fixer, la quantité de marchandises produites par l’ouvrier pendant une unité de temps donnée. Si en 8 heures l’ouvrier produit 16 unités d’une marchandise, le salaire au temps étant de 4 francs par jour, le salaire aux pièces sera de 0,25 pour chaque unité de marchandise.

De même que le salaire au temps, le salaire horaire n’est nullement la rétribution de la valeur créée par l’ouvrier en une heure, de même le salaire aux pièces n’est pas la rémunération du travail dépensé par l’ouvrier pour la production d’une unité de la marchandise donnée.

Il ne s’agit pas de mesurer la valeur de la pièce par le temps de travail qui s’y trouve réalisé, mais de mesurer au contraire le temps dépensé par l’ouvrier par le nombre des pièces produites. (K. Marx : le Capital, t. 3, p. 257.)

Si le salaire au temps crée l’apparence que c’est le travail qui est rétribué et non pas la force de travail, le salaire aux pièces dissimule plus encore l’exploitation. Ici, on a l’impression que l’ouvrier se présente comme vendeur de la marchandise qu’il a produite.

Le salaire dépend de la quantité des pièces produites, c’est pourquoi le salaire aux pièces agit comme moyen automatique d’augmentation de l’intensité du travail. Or, l’augmentation de l’intensité du travail signifie l’accroissement de la dépense de force de travail pendant chaque heure. L’effet est le même que lors de la prolongation de la journée p. 120de travail. Le salaire tombe au-dessous de la valeur de la force de travail. En fin de compte, l’organisme de l’ouvrier s’use plus rapidement.

Le salaire au temps et le salaire aux pièces sont les formes essentielles du salaire ; ils sont à la base de tous les systèmes de salaires.

Somme toute, il est évident que rien n’est modifié dans la nature même du salaire par le mode différent de paiement, bien que l’un des modes soit plus favorable que l’autre au développement de la production capitaliste. (K. Marx : le Capital, t. 3, p. 256.)

Toutes les formes du salaire dissimulent l’exploitation capitaliste ; toutes, elles constituent un moyen de réduire le prix de la force de travail au-dessous de sa valeur. La plus-value est créée par l’ouvrier même dans le cas où la force de travail est payée à sa valeur. La plus-value doit donc être d’autant plus grande que le salaire tombe plus bas que la valeur de la force de travail. Une partie du temps nécessaire est transformée en temps supplémentaire.

Dans son explication de la plus-value, Marx part de la supposition que la force de travail est payée à sa valeur. Mais il indique que le procédé d’augmentation de la plus-value par la baisse du salaire au-dessous de la valeur de la force de travail

… joue un rôle important dans le mouvement réel du salaire ouvrier. (K. Marx : le Capital, t. 2, p. 198.)

Le capitalisme tend à payer la force de travail au-dessous de sa valeur.

La théorie du capital implique que l’ouvrier reçoit la valeur entière de sa force de travail. C’est l’idéal du capitalisme, mais non la réalité. (V. I. Lénine : Œuvres complètes, tome 2, p. 415, édition russe.)

En traitant de la loi de l’appauvrissement de la classe ouvrière en régime capitaliste, nous indiquerons quel est le mouvement réel des salaires en régime capitaliste.

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