Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique :
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L’ouvrier vend au capitaliste sa force de travail. Il en reçoit la valeur sous forme de salaire. Lors de l’embauchage, un salaire fixe est imposé pour un nombre déterminé d’heures par jour, mettons 8 francs pour une journée de travail de 8 heures, ou 1 franc par heure.
L’ouvrier vend sa force de travail, mais il semble vendre son travail ; il touche un salaire comme expression monétaire de la valeur de sa force de travail, mais on a l’impression que le salaire est l’expression monétaire de la valeur du travail et non celle de la force de travail.
À la surface de la société bourgeoise, le salaire de l’ouvrier apparaît comme le prix du travail, comme une somme déterminée d’argent payée en échange d’une quantité déterminée de travail. On parle de la valeur du travail et l’on donne à son expression monétaire le nom de prix nécessaire ou naturel. (K. Marx : le Capital, t. 3, p. 233.)
Le travail ne peut donc pas avoir de valeur. Parler d’une valeur du travail et vouloir la déterminer, n’a pas plus de sens que de parler de la valeur de la valeur ou vouloir déterminer le poids non pas d’un corps pesant, mais de la pesanteur elle-même.
D’où vient donc que le salaire n’est pas payé comme le prix de la force de travail, mais comme le prix du travail, bien que l’ouvrier vende sa force de travail et non son travail, bien que le travail n’ait pas de valeur ?
Dans la production marchande en général et, en particulier, dans la production capitaliste, les rapports sociaux se manifestent sous une forme dissimulée qui les rend méconnaissables. Ainsi, la valeur, rapport social, se présente comme la propriété de l’objet ; le capital, rapport social, prend la forme des moyens de production.
p. 115Dans la société capitaliste, la valeur de la force de travail prend une forme qui rend invisible son véritable contenu. À cela s’ajoute encore la particularité de la marchandise force de travail en vertu de laquelle le nombre des heures de travail mesure la quantité de la force de travail vendue par l’ouvrier. C’est pourquoi la rétribution de la force de travail prend la forme de rétribution du travail. D’où la fausse conception que le travail a une valeur.
Dans l’expression : valeur du travail, l’idée de valeur n’a pas été simplement effacée ; on l’a changée en son contraire. C’est une expression imaginaire, dans le sens de cette autre : valeur de la terre. Mais ces expressions imaginaires découlent des conditions mêmes de la production. (K. Marx : le Capital, t. 3, p. 236.)
En raison des rapports de production capitalistes, le salaire, expression monétaire ou prix de la force de travail, apparaît comme le prix du travail. Le salaire est donc la forme modifiée de la valeur de la force de travail. Le salaire est le prix de la force de travail présenté comme prix du travail.
Supposons qu’il faille 4 heures de travail socialement nécessaire pour la production des moyens de subsistance d’un ouvrier.
Si 1 franc représente une heure de travail social, la valeur de la force de travail exprimée en argent sera de 4 francs. Si la force de travail est payée à sa valeur complète et si l’ouvrier fait 8 heures par jour, le salaire de 4 francs pour une journée de 8 heures représente une rétribution à raison de 0,50 par heure de travail.
En réalité, une heure de travail social est matérialisée par 1 franc et, pour cette raison, en payant 0,50 par heure le capitaliste ne paye qu’une demi-heure de travail sans payer l’autre demi-heure. Si, dans une journée de 8 heures de travail, chaque heure est payée seulement la moitié, c’est-à-dire que, sur l’ensemble de la journée de travail, seule la moitié est payée, soit 4 heures ; les autres 4 heures sont du travail non payé, du surtravail, qui crée la plus-value. Cependant, comme la somme monétaire (4 francs), qui représente seulement une partie de la journée de travail (4 heures) p. 116est répartie sur l’ensemble de la journée de travail (8 heures), il se crée l’apparence que toute la journée est payée.
La forme du salaire fait donc disparaître absolument la division de la journée de travail en travail nécessaire et surtravail, en travail paye ou non payé ! Tout travail apparaît comme travail payé… Dans le système esclavagiste, la partie même de la journée où l’esclave ne fait que remplacer la valeur de ses propres moyens de subsistance et où il travaille effectivement pour lui-même semble être consacrée à du travail pour le compte du maître. Tout le travail de l’esclave se présente comme travail non payé. Dans le salariat, c’est l’inverse : même le surtravail ou travail non payé apparaît comme travail payé. Là, le rapport de propriété dissimule le travail que l’esclave fait pour son propre compte ; ici, le rapport monétaire dissimule le travail gratuit du salarié. (K. Marx : le Capital, t. 3, p. 240.)
On voit donc que le salaire dissimule l’exploitation capitaliste. L’apparence qu’il crée de la rétribution de l’ensemble du travail fait naître des conceptions correspondantes non seulement chez le capitaliste, mais aussi chez l’ouvrier, car le capitaliste paye et l’ouvrier touche un salaire, comme rétribution pour chaque heure, jour ou semaine de travail.
La bourgeoisie a intérêt à entretenir cette croyance dans la classe ouvrière. Pour maintenir l’esclavage salarié, la bourgeoisie a besoin de tenir la classe ouvrière sous son influence idéologique, c’est pourquoi l’affranchissement de la classe ouvrière de la dictature de la bourgeoisie ne pourra se faire sans son affranchissement de l’influence idéologique de la bourgeoisie. La lutte de classe du prolétariat n’est pas seulement politique et économique, mais aussi théorique.
Dans sa théorie du salaire — qui est la continuation directe de sa théorie de la valeur et de la plus-value —, Marx a montré que la possibilité de l’influence idéologique de la bourgeoisie sur le prolétariat découle du caractère même des rapports de production du capitalisme.
Cette forme [le salaire] nous cache le rapport réel, nous en montre le juste contraire. Mais elle sert de base à toutes les conceptions juridiques de l’ouvrier et du capitaliste, à toutes les mystifications du mode de production capitaliste, à toutes les illusions libérales, à toutes les bourdes laudatives que nous sert l’économie vulgaire. (K. Marx : le Capital, t. 3, p. 240.)
La question de la différence entre la valeur du travail et la valeur de la force de travail, en apparence complètement détachée de la vie, est, en réalité, de la plus haute importance pour la lutte de classe du prolétariat.
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