Dominique Meeùs
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2. L’argent, moyen de circulation

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Dans l’échange direct des marchandises, dans le troc, l’acte de l’échange est effectué chaque fois entre deux possesseurs de marchandises. Ainsi, lors de l’échange de bottes contre du blé, le cordonnier donne des bottes au paysan et en reçoit du blé. Cet échange n’implique pas d’opérations analogues entre les autres producteurs. Chaque échange particulier est entièrement indépendant à l’égard des autres opérations analogues.

Avec l’apparition de l’argent, la liaison entre les producteurs de marchandises devient plus compliquée. Chaque échange entre deux producteurs est rattaché à l’ensemble des échanges entre les autres producteurs. Ainsi, le cordonnier vend ses bottes et avec l’argent touché il achète du blé p. 63au paysan. Il a d’abord transformé sa marchandise en argent et, ensuite, l’argent en une autre marchandise. Cette transformation peut être représentée par la formule suivante : M — A — M (M signifie marchandise et A argent).

Au point de vue du cordonnier, le résultat est le même que s’il avait fait un échange direct de ses bottes contre du blé. Mais, en réalité, cette conversion des bottes en argent et ensuite de l’argent en blé se distingue essentiellement de l’échange direct. Supposons qu’il ait vendu ses bottes au tisseur. Où ce dernier a-t-il pris l’argent pour acheter des bottes ? Il faut croire qu’avant d’acheter les bottes, il a vendu une marchandise, de la toile, mettons. Par conséquent, le cordonnier ne peut vendre sa marchandise qu’à la condition que le tisseur ait vendu préalablement la sienne. Allons plus loin. Le tisseur a vendu à quelqu’un sa toile. Cela implique que l’acheteur de la toile, avant d’acheter cette dernière, a vendu quelque marchandise, etc. Enfin, le paysan qui a vendu son blé au cordonnier achètera la marchandise dont il a besoin à un tiers producteur.

Nous voyons donc que dans le système de la circulation des marchandises se crée une interdépendance entre les trois producteurs. Pour chacun d’eux, la conversion de sa marchandise en argent et de ce dernier en une autre marchandise est un cycle achevé : le mouvement a commencé par une marchandise et aboutit à une autre marchandise (bottes, argent, blé). Mais pour le cordonnier, la conversion des bottes en argent est le commencement du cycle, alors que pour le tisseur qui achète ces bottes c’est l’achèvement du cycle de sa marchandise, la toile. Ce qui pour le cordonnier est la fin du cycle est pour le paysan le commencement.

De la sorte, le cycle de chaque marchandise se confond d’une façon indissoluble avec les cycles de toutes les autres marchandises. Tout ce mouvement des marchandises dans leurs liaisons mutuelles et dans leur interdépendance s’appelle la circulation des marchandises. Dans ce procès, l’argent remplit la fonction de moyen de circulation.

Dans la circulation des marchandises, toute transaction entre deux producteurs, à la différence de l’échange direct, n’est plus une opération isolée et indépendante de celles survenues entre les autres producteurs.

Dans la circulation des marchandises, les rapports entre les producteurs se trouvent raffermis et compliqués.

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L’échange de marchandises exprime le lien établi par l’intermédiaire du marché entre les producteurs isolés. L’argent signifie que ce lien devient de plus en plus étroit, puisqu’il unit la vie économique des producteurs en un tout indissoluble.

V. I. Lénine, Karl Marx…, p. 56-57.

La possibilité des crises

Dans le troc, la vente et l’achat de la marchandise coïncident. Lorsque le cordonnier échange ses bottes contre du blé, la vente des bottes est en même temps l’achat du blé, et la vente du blé est en même temps l’achat des bottes. En outre, cet échange entre le cordonnier et le paysan n’est lié en rien aux échanges effectués par les autres producteurs.

C’est pourquoi si un autre producteur, le tisseur par exemple, ne parvient pas à échanger sa marchandise, cela n’aura aucune répercussion sur l’échange des bottes contre du blé.

La situation est tout autre dans la circulation des marchandises. Si le tisseur n’arrive pas à écouler sa toile, il ne pourra pas acheter les bottes, le cordonnier ne sera donc pas en mesure de vendre sa marchandise et le paysan ne pourra pas vendre au cordonnier son blé. Si, sur un autre point quelconque de la circulation marchande, le cycle des échanges vient à s’arrêter, cela aura pour effet d’arrêter tous les autres cycles liés au premier.

Dans la circulation des marchandises, à l’encontre de l’échange direct, l’achat est séparé de la vente ; d’abord la marchandise est vendue à une personne, et achetée à une autre (par exemple, le cordonnier vend ses bottes au tisseur, et achète du blé au paysan). En second lieu, la vente de la marchandise ne s’effectue pas simultanément avec l’achat d’une autre marchandise, mais avant l’achat (le cordonnier achète du blé après avoir vendu ses bottes). Il est donc possible que la vente ne sera pas suivie d’un achat : le tisseur peut vendre sa toile mais différer pour un temps considérable l’achat des bottes. Si bien que le cordonnier, n’ayant pas vendu sa marchandise, ne pourra pas acheter du blé, le cordonnier et le paysan n’auront pas vendu leur marchandise. On voit donc que l’argent, qui lie en un tout les producteurs, crée en même temps l’éventualité de la rupture de ce lien. En raison du développement de la fonction de l’argent, comme moyen de circulation, des phénomènes tels que les crises, inconcevables dans le régime des échanges directs, deviennent possibles.

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