Dominique Meeùs
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7. La loi essentielle de la période de transition

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Dans la société socialiste, le travail ne revêt pas la forme de la valeur et ne se manifeste pas comme propriété de la marchandise. Mais cela ne veut pas dire que la loi de la p. 55valeur ne disparaît que lorsque la société socialiste est déjà entièrement construite et que dans la période de transition vers le socialisme la loi de la valeur continue d’être en vigueur. La loi de la valeur, comme loi du développement social, est abolie dès le commencement de la période de transition. La dictature du prolétariat une fois instaurée, la société s’engage dans la voie de l’abolition de la production marchande et de son remplacement par la production socialiste.

La production socialiste ne devient pas d’un seul coup absolument prédominante dans l’ensemble de l’économie nationale. La petite production marchande ne se transforme pas du jour au lendemain en grande production socialiste et les éléments capitalistes ne disparaissent pas aussitôt après l’instauration de la dictature du prolétariat.

Mais dès le début de la période de transition, quand, après l’expropriation de la bourgeoisie, la grande industrie, les transports, le commerce de gros et les banques passent entre les mains de l’État prolétarien et se transforment en entreprise de type socialiste conséquent, — dès ce moment la force déterminante du développement économique c’est la dictature du prolétariat.

Pendant la période de transition, la forme monétaire et marchande reste encore en vigueur d’abord en raison de l’existence de la petite production marchande et ensuite parce que même à l’intérieur des entreprises de l’État, il est impossible d’abandonner la forme monétaire de comptabilité et de contrôle tant que n’est pas achevée l’édification du socialisme.

À diverses étapes de la période de transition, le rôle de la forme marchande et monétaire se modifie suivant le degré de socialisation de l’économie nationale, suivant le rapport des forces entre les éléments socialistes, capitalistes et petits-bourgeois. Mais dès le début de cette période, la dictature du prolétariat utilise la forme marchande et monétaire pour la lutte contre les éléments capitalistes, pour la transformation socialiste de la petite production, pour la construction du socialisme.

Dans l’économie socialiste, les « marchandises » au lieu d’être produites par chaque entreprise isolément sont produites selon un plan conforme aux intérêts et aux objectifs de l’édification socialiste.

Le plan d’État comprend non seulement un plan pour p. 56le secteur socialiste de l’économie, mais aussi des mesures tendant à régler la production dans l’économie individuelle et à la reconstruire sur une base socialiste. À l’égard des éléments capitalistes, l’État prolétarien use de la forme monétaire et marchande comme de l’une de ses principales armes dans la lutte de classe pour la construction du socialisme.

Que le commerce et le système monétaire soient des méthodes de l’économie capitaliste, là n’est pas la question. L’important, c’est que les éléments socialistes de notre économie, luttant contre les éléments capitalistes, s’emparent de ces méthodes, de ces instruments de la bourgeoisie, pour surmonter les éléments capitalistes et les emploient avec succès contre le capitalisme, pour poser les fondements socialistes de notre économie. Grâce à la dialectique de notre développement, les fonctions et la destination de ces instruments de la bourgeoisie se transforment fondamentalement à l’avantage du socialisme, au détriment du capitalisme.

J. Staline, les Questions du léninisme, t. I, p. 374. Éditions sociales internationales, Paris, 1931.

La forme marchande et monétaire reste en vigueur à l’étape actuelle de l’édification socialiste, quand les éléments capitalistes n’existent plus, quand le système des kolkhoz a vaincu définitivement, quand…

… la forme socialiste domine sans partage et est la seule force qui commande dans l’ensemble de l’économie nationale.

J. Staline, Deux Mondes, p. 27. Bureau d’éditions, Paris, 1934.

À l’étape actuelle, le commerce soviétique se distingue du commerce qui existait au premier stade de la NEP, où le capital privé jouait un rôle important, où les kolkhoz et les sovkhoz présentaient une grandeur à peine visible, où n’existaient pas encore une puissante industrie socialiste ni un commerce d’État et de coopératives. Le commerce soviétique :

C’est un commerce sans capitalistes, grands et petits, un commerce sans spéculateurs, grands et petits. C’est un commerce d’un genre spécial inconnu de l’histoire jusqu’à ce jour et que nous, bolcheviks, sommes les seuls à pratiquer dans les conditions du développement soviétique.

J. Staline, le Bilan du premier plan quinquennal, p. 33. Bureau d’éditions, Paris, 1933.

Le passage du commerce à l’échange direct des produits et à la liquidation de la forme monétaire ne pourra s’opérer qu’après la construction définitive de la société socialiste.

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L’argent subsistera encore longtemps parmi nous, jusqu’à l’achèvement du premier stade du communisme, stade socialiste du développement… L’argent est l’instrument de l’économie bourgeoise que le gouvernement soviétique a pris en mains et qu’il a adapté aux intérêts du socialisme pour déployer à fond le commerce soviétique et préparer ainsi les conditions de l’échange direct des produits… seul le commerce soviétique organisé à la perfection peut être suivi et remplacé par les échanges directs.

J. Staline, Deux Mondes, p. 55-56.

La domination de la loi de la valeur ne signifie pas que le producteur est maître du produit de son travail, mais, au contraire, elle signifie que le produit de son travail le domine ; les hommes ne sont pas maîtres de leurs propres rapports sociaux. La loi qui régit le développement social agit en dehors de la volonté et de la conscience des producteurs de marchandises, « derrière leur dos », comme une force aveugle, spontanée de la nature.

Par contre, dans la période transitoire, le développement ne se fait pas spontanément, en dehors de la volonté et de la conscience de la classe ouvrière exerçant sa dictature. Dans l’économie soviétique, il n’y a pas et il ne peut y avoir de loi agissant en dehors de la dictature du prolétariat. Chaque loi économique qui agirait en dehors de la dictature du prolétariat ne serait pas une loi du mouvement vers le socialisme, mais une loi du mouvement en arrière vers le capitalisme. La force décisive du développement de l’économie soviétique, comme économie de la période de transition vers le socialisme, c’est la dictature du prolétariat. La classe ouvrière qui exerce sa dictature sous la direction d’un parti communiste qui possède la connaissance des lois du développement historique — la théorie marxiste-léniniste — sait prévoir les conditions objectives de l’édification socialiste ; elle sait modifier ces conditions et surmonter les forces hostiles du vieux monde. Telle est la puissance qui dirige le mouvement vers la société socialiste sans classes.

Ce n’est pas par hasard que les trotskistes et les droitiers ont essayé de justifier leur lutte contre le léninisme par des lois « objectives » du mouvement s’exerçant en dehors de la dictature du prolétariat. Cette attitude implique la négation du rôle de la dictature du prolétariat dans la transformation socialiste de la petite production.

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L’économie marchande simple dans la période de transition

La petite production, c’est, au fond, une économie marchande simple, une économie marchande sans salariat. La production marchande simple donne inévitablement naissance au capitalisme sans être elle-même du capitalisme. La nature du petit producteur est double.

Le paysan, en tant que travailleur, se sent attiré vers le socialisme ; il préfère la dictature des ouvriers à celle de la bourgeoisie. Le paysan, en tant que vendeur de blé, se sent attiré par la bourgeoisie, le commerce libre, c’est-à-dire en arrière vers le vieux capitalisme « routinier », « traditionnel ».

Lénine, « Salut aux ouvriers hongrois », Œuvres, tome 29, p. 394.

La possibilité de la transformation socialiste de la petite production dans les conditions de la dictature du prolétariat découle du fait que le petit cultivateur est un travailleur et que pour cette raison les contradictions entre lui et le prolétariat ne sont pas insurmontables. Le trotskisme nie la nature double du petit producteur, il ignore ce fait que le petit producteur est un travailleur, il ne voit que la tendance capitaliste du développement de la petite production et déclare qu’entre le prolétariat et les petits producteurs existent des contradictions insolubles. Pour le trotskisme, la petite production marchande ne peut pas être transformée en grande production socialiste. Elle doit être supprimée par la ruine des petits producteurs et par leur prolétarisation, ou, comme disait Préobrajenski, un des « théoriciens » du trotskisme, l’économie marchande simple doit être « dévorée » par l’économie de l’État socialiste.

Préobrajenski prétend que pour comprendre le mouvement de l’économie soviétique, il faut faire abstraction de la politique économique du pouvoir soviétique et trouver la loi « objective » qui s’exerce en dehors de la dictature du prolétariat. Cette loi, c’est, pour Préobrajenski, celle de « l’accumulation socialiste primitive » en vertu de laquelle le socialisme se crée lorsque l’économie de l’État socialiste « dévore » automatiquement la petite production.

Cette « théorie », qui nie la possibilité de l’alliance de la classe ouvrière et des paysans moyens ainsi que la possibilité de construire le socialisme dans un seul pays, a conduit le trotskisme à son rôle de détachement d’avant-garde p. 59de la contre-révolution. D’après cette « théorie », le prolétariat n’est pas capable de conduire la masse des paysans et de diriger le développement de l’économie marchande simple dans la voie du socialisme.

La petite production engendre le capitalisme. Mais la dictature du prolétariat, basée sur le développement de la production socialiste, entrave cette tendance capitaliste de la petite production marchande, la paralyse et finit par la supprimer. En agissant par toute une série de mesures sur la petite production, l’État prolétarien restreint et, finalement, arrête le procès de la formation d’éléments capitalistes. Ces mesures créent les conditions pour transformer la petite production en grande production socialiste par la collectivisation intégrale, ce qui permet de liquider la dernière classe capitaliste, les koulaks.

Les opportunistes de droite nient également la nature double du petit producteur, mais, à la différence des trotskistes pour lesquels la petite production est une économie capitaliste, les droitiers ne voient dans le petit producteur que le travailleur et estiment que l’économie marchande simple est du même type que l’économie socialiste. Le fait que la petite production a pour base la propriété privée, et qu’elle donne naissance au capitalisme et que, par conséquent, elle est opposée à l’économie socialiste, ce fait est ignoré par les opportunistes. D’où leur théorie de l’incorporation automatique du petit producteur dans l’économie socialiste et de l’incorporation pacifique du koulak dans le socialisme.

La loi de la dépense du travail

Le camarade Boukharine affirmait que toute société, capitaliste ou socialiste, est régie par la « loi de la dépense du travail » en vertu de laquelle le travail social est réparti par branches de production et l’équilibre établi dans la production sociale. Dans le régime de la production marchande capitaliste, cette loi revêt la forme de la loi de la valeur, c’est-à-dire se couvre d’une enveloppe fétichiste de la valeur ; dans la société socialiste, elle jouerait directement, pour ainsi dire, « telle quelle ». Seule la forme changerait, le contenu resterait invariable.

Cette conception prétend que la petite production marchande est soumise aux mêmes lois que la production p. 60socialiste et qu’elle peut, grâce aux liens établis sur le marché avec la production socialiste, se transformer en production socialiste. Non seulement les petites exploitations paysannes, mais même celles des koulaks seraient susceptibles de s’incorporer pacifiquement dans le socialisme. D’où la théorie de l’extinction de la lutte de classe dans la période de transition.

Cette « loi de la dépense du travail » nie le rôle de la dictature du prolétariat dans le développement de l’économie soviétique. Puisqu’il existe une éternelle et immuable « loi de la dépense du travail », la dictature du prolétariat n’a qu’à s’y soumettre, étant impuissante à établir d’autres rapports de production que ceux imposés par cette loi. C’est en s’inspirant de cette « loi » que le camarade Boukharine a écrit qu’établir un plan, c’est prévoir ce qui serait arrivé si les choses étaient abandonnées à la spontanéité. En d’autres termes, le plan économique élaboré et appliqué par le prolétariat ne doit pas modifier les proportions entre les branches d’économie qui se seraient créées s’il n’y avait pas de plan. Ce n’est pas par hasard que les droitiers combattaient le plan quinquennal et la collectivisation de l’agriculture. Ils prétendaient que cette politique violait l’équilibre indispensable entre l’agriculture et l’industrie, violait la « loi de la dépense du travail ».

En réalité, cette théorie de « l’équilibre » a, objectivement, pour but de maintenir les positions de l’économie paysanne individuelle, de donner aux koulaks une « nouvelle » arme théorique dans leur lutte contre les kolkhoz et de discréditer ces derniers.

J. Staline, « La transformation du village soviétique à la lumière de la théorie marxiste-léniniste ». Correspondance internationale, 1930, no 2, p. 14.

La « loi de la dépense du travail », ainsi que la théorie de l’équilibre nient les contradictions inhérentes à la production marchande qui la conduisent dans la voie du développement capitaliste.

Le fait que le petit producteur est un travailleur présente une importance extrême pour l’ensemble de la politique prolétarienne. Il rend possible l’alliance de la classe ouvrière et des paysans moyens ainsi que la transformation socialiste de la petite production marchande. Mais le travail du petit producteur n’en reste pas moins le travail du propriétaire privé. On ne saurait pas « faire abstraction » p. 61de cette forme sociale du travail, car c’est là que réside la tendance capitaliste du développement de l’économie marchande simple.

La conception suivant laquelle une immuable « loi de la dépense du travail » agit à toutes les époques et chez tous les peuples, ne changeant que de forme, est une théorie antimarxiste. La forme ne peut changer ni disparaître si le contenu ne change pas.

La production marchande a pour base la propriété privée des moyens de production, tandis qu’à la base de la production socialiste se trouve la propriété collective. La production marchande et la production socialiste sont opposées l’une à l’autre. C’est pourquoi la transformation socialiste de la petite production marchande ne peut s’opérer que dans la lutte contre ses tendances capitalistes. Cette transformation ne peut s’effectuer spontanément ; l’État prolétarien doit lutter contre la tendance capitaliste et entraîner la masse des petits producteurs dans la voie de l’économie collective.

L’union de la classe ouvrière et de la paysannerie ne saurait être durable que si elle est basée sur la lutte contre les éléments capitalistes issus de la paysannerie.

J. Staline, les Questions du léninisme, tome 2, p. 290, Éditions sociales internationales, Paris, 1931.

Nous voyons ainsi que la force qui détermine le développement de l’économie de transition c’est le pouvoir prolétarien. Chaque tentative d’élaborer une loi de la période de transition, qui agirait en dehors de ce pouvoir, implique la négation du rôle historique du prolétariat, de la dictature du prolétariat, et aboutit à la lutte contre l’édification socialiste.

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