Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique :
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Le fait que la valeur des marchandises est créée par le travail a été découvert par l’économiste anglais Petty (1623-1687). Cette théorie fut ensuite développée par Smith (1723-1790) et Ricardo (1772-1823), surtout par ce dernier. Mais c’étaient des économistes bourgeois pour lesquels la production marchande et le capitalisme étaient le régime économique éternel, correspondant à la nature humaine. Ils ne voyaient pas et ne pouvaient pas voir que le travail qui crée la valeur est un travail spécifique, particulier. Marx mit en lumière la contradiction de la production marchande et le caractère double du travail contenu dans la marchandise. Marx a développé la théorie de la valeur et a montré pourquoi dans la société basée sur la production marchande, le travail doit revêtir la forme de la valeur, une forme qui dissimule ce travail.
Où les économistes bourgeois voyaient des rapports entre objets (échange d’une marchandise contre une autre), Marx révéla des rapports entre les hommes.
L’élaboration scientifique de la théorie de la valeur devait nécessairement aboutir à la révélation des antagonismes de p. 51classe de la société bourgeoise, à la révélation du mystère de l’exploitation capitaliste. Cette tâche fut remplie par Marx, qui, ayant analysé les contradictions du capitalisme, montra l’inéluctabilité de la révolution socialiste. Depuis, l’économie politique bourgeoise a cessé d’être une science, elle est devenue une économie politique vulgaire ; elle se borne à enregistrer ce qu’elle voit à la surface de la vie sociale ; elle est devenue une économie politique apologétique qui cherche, au mépris de la vérité, en dépit de la réalité, à justifier le capitalisme et à le présenter comme le meilleur des mondes possibles.
L’aggravation de la lutte de classe…
… sonna le glas de l’économie bourgeoise scientifique. La question n’était plus de savoir si tel ou tel théorème était vrai, mais s’il était utile ou nuisible au capital, s’il lui causait de l’agrément ou du désagrément, s’il était contraire ou non aux règlements de police. La recherche désintéressée fit place au mercenariat, à l’innocente investigation scientifique succédèrent la mauvaise conscience et les mauvaises intentions des apologistes.
La lutte pour une économie politique scientifique ainsi que pour toutes les autres sciences sociales devient la tâche du prolétariat, de la classe la plus opprimée dans la société capitaliste, de cette même classe qui ne redoute pas la révélation du mystère du capitalisme et qui est, au contraire, intéressée aux fins de son affranchissement, à révéler ce mystère. La seule économie politique scientifique est celle du prolétariat, l’économie politique marxiste, car l’intérêt de classe du prolétariat correspond à la tâche de la science. À la tâche de l’analyse des rapports sociaux et des lois du développement de la société capitaliste.
Bien au contraire, les intérêts de classe de la bourgeoisie freinent le développement de la science, comme le prouve le fait suivant. Lorsque les économistes bourgeois eurent déclaré la guerre à la théorie qui explique la valeur par le travail, l’un des disciples de Malthus (célèbre pour avoir « démontré scientifiquement » que la pauvreté et le chômage existent de toute éternité) écrivit en 1832 :
Que le travail est l’unique source de richesse semble être une doctrine aussi dangereuse que fausse, en ce qu’elle fournit malheureusement un point d’appui à ceux qui présentent toute propriété comme appartenant à la classe ouvrière et la partie qui est reçue par d’autres comme un vol ou une fraude à leur égard.
De sorte, les économistes bourgeois affirment ouvertement que la science est nuisible puisqu’elle est dangereuse pour la bourgeoisie.
Depuis que Marx a donné une théorie achevée de la valeur, depuis qu’il a révélé, grâce à elle, le mystère de l’exploitation capitaliste et démontré l’inéluctabilité du renversement révolutionnaire du capitalisme, les économistes bourgeois considèrent comme un point d’honneur de réfuter la théorie marxiste de la valeur. Tous, ils essaient de prouver que la valeur est créée par tout ce qu’on veut, sauf par le travail.
C’est l’économiste autrichien Böhm-Bawerk qui a fondé la plus « harmonieuse » théorie bourgeoise de la valeur comme contrepoids à celle de Marx. D’après Böhm-Bawerk, la valeur provient de l’utilité de la marchandise, c’est-à-dire de sa valeur d’usage. Ce ne sont pas seulement les marchandises qui ont de la valeur, celle-ci étant inhérente à tous les objets utiles, produits pour la consommation immédiate ou fournis par la nature, si leur nombre est limité, comme par exemple, la terre et l’eau dans les régions arides. Nous retrouvons aussi cette théorie chez les économistes bourgeois français, en particulier chez Charles Gide. Mais les valeurs d’usage des marchandises échangées sont différentes tandis que les marchandises comparées dans l’échange doivent nécessairement présenter quelque trait commun. En outre, le degré d’utilité d’une même marchandise est différent pour des personnes différentes, tandis que la grandeur de la valeur de la marchandise (exprimée par son prix) est indépendante des appréciations individuelles de telle ou telle personne. Les prix de mêmes marchandises ne varient pas pour divers acheteurs. Cette théorie de Böhm-Bawerk ne se distingue pas en somme de celle de l’économiste vulgaire Bailey qui écrivait déjà en 1825 :
« La richesse [valeur d’usage] est un attribut des hommes, la valeur est un attribut des marchandises. Un homme, ou une communauté, est riche ; une perle ou un diamant a de la valeur… Une perle ou un diamant a de la valeur en tant que perle ou que diamant. »
Les économistes bourgeois ne veulent et ne peuvent p. 53analyser ce qui est caché sous l’apparence des phénomènes parce qu’ils ne veulent pas reconnaître que la valeur est créée par le travail, parce qu’ils veulent dissimuler les contradictions de la production marchande et du capitalisme. Les « théoriciens » réformistes se placent également au point de vue bourgeois, bien qu’ils se réclament du marxisme ; comme les économistes bourgeois, ils identifient la valeur avec le prix et expliquent la grandeur de la valeur par les conditions de l’échange. Ils essaient d’expliquer la valeur non par la production, mais par la circulation (par l’échange), en niant ainsi que la valeur est créée par le travail.
Cette théorie réformiste sert de base à une autre théorie suivant laquelle le socialisme n’a nul besoin d’exproprier les capitalistes. Il suffirait que l’État (bourgeois, bien entendu) soit maître des organes appelés à régler la circulation (cette théorie porte le nom de la « socialisation par la circulation »). Les réformistes falsifient ainsi la théorie marxiste de la valeur pour justifier théoriquement leur abandon du socialisme.
La théorie marxiste de la valeur n’est pas détachée des questions brûlantes de la lutte de classe. Quiconque prend position contre cette théorie, prend position contre le prolétariat ; quiconque s’en écarte sous tel ou tel prétexte ouvertement ou sous le couvert de phrases marxistes, abandonne à la fois le prolétariat et la science et se range du côté de la bourgeoisie.
La théorie de la valeur de Marx montre en premier lieu que le travail forme le contenu, la substance matérielle de la valeur. Il en découle que ce n’est pas la bourgeoisie, mais le prolétariat qui crée toutes les richesses de la société bourgeoise. En second lieu, cette théorie met en lumière le caractère réel des rapports sociaux de l’économie marchande. La théorie marxiste révèle le mystère de l’exploitation capitaliste voilée sous l’enveloppe des rapports d’échange entre les ouvriers et les capitalistes (l’ouvrier vend sa force de travail et achète au capitaliste ses moyens de consommation). En troisième lieu, cette théorie montre que la valeur est la loi du développement de l’économie marchande, que dans cette société l’homme n’est pas maître des produits de son travail, p. 54mais que, inversement, il est dominé par ces produits. Cette théorie montre qu’avec la suppression du capitalisme et de la production marchande en général disparaîtra aussi la loi de la valeur et que les hommes seront, en toute connaissance de cause, les maîtres de leurs rapports sociaux.
La théorie de la valeur de Marx comme toute sa doctrine économique est, d’après l’expression d’Engels, la critique socialiste de la société bourgeoise.
La doctrine de Marx et d’Engels que la production marchande engendre inévitablement le capitalisme fut approfondie et développée par Lénine à l’époque de sa lutte contre les populistes qui prétendaient que la Russie pourrait éviter le développement capitaliste, l’économie qui y dominait étant soi-disant communaliste. Se basant sur la doctrine de Marx, Lénine montra que la décomposition de l’économie paysanne communaliste était déjà avancée, que l’argent transformait l’économie naturelle en économie marchande et que le développement de cette dernière engendre les rapports capitalistes. Lénine revient à plusieurs reprises sur cette question. Au lendemain de la révolution d’Octobre et lors de la transition du communisme de guerre à la NEP, Lénine montra que, même dans les conditions de la dictature du prolétariat, la petite production engendre le capitalisme. La politique de l’État prolétarien doit entraver et limiter la croissance du capitalisme, engendré par la petite production marchande, et préparer en même temps les conditions du passage de la petite production à la grande production socialiste.
Plus tard, Staline a démontré que la lutte contre la collectivisation agricole ne pouvait que perpétuer la petite production marchande et, partant, le capitalisme.
… la petite production engendre le capitalisme et la bourgeoisie constamment, chaque jour, à chaque heure, d’une manière spontanée et dans de vastes proportions.
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