Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique : versions, table des matières, index des notions — Retour au dossier marxisme

2. L’esclavage

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Au commencement de ce système, le travail des esclaves était relativement peu employé. À côté des familles qui utilisaient cette main-d’œuvre, il y en avait beaucoup qui se contentaient de leur propre force de travail familial. Mais par suite du développement du troc et de l’apparition de l’argent, les petites exploitations furent évincées par les grandes qui employaient la main-d’œuvre des esclaves. Voici comment s’opéra ce procès.

L’accroissement de la division du travail et de l’échange fit naître le commerce et une classe de commerçants qui achètent et vendent les marchandises. C’était, comme le dit Engels, « la troisième division du travail d’une importance capitale » (F. Engels : l’Origine…, p. 216.). Les marchands, mettant à profit l’isolement des petits producteurs du marché, achetaient les marchandises à bas prix et les revendaient à un prix élevé. Ils exploitaient, de la sorte, les producteurs et les consommateurs. D’autre part, la croissance de la production marchande et de la circulation monétaire eut pour résultat qu’ « après l’achat de marchandises pour de l’argent, vinrent les prêts, et avec ceux-ci les intérêts et l’usure ». (F. Engels : l’Origine…, p. 218.)

Le capital usuraire enchaîne les petits producteurs — les paysans et les artisans — par les dettes et les asservit. Dans l’ancienne Grèce, et à Rome, la plupart des petits producteurs tombèrent, dans un laps de temps relativement p. 15court, dans la servitude des usuriers. La lutte entre les usuriers et leurs débiteurs a été la principale forme de lutte de classe dans la population libre.

La lutte des classes dans l’Antiquité par exemple se déroule principalement sous la forme d’une lutte entre créanciers et débiteurs et prend fin à Rome avec la disparition du débiteur plébéien, remplacé par l’esclave.

Marx, Le Capital, Livre I, P.U.F., Paris, 2009, p. 152.

Cette lutte aboutit à la ruine des petits producteurs et à leur transformation en prolétaires. Mais dans l’ancienne Rome, ce n’étaient pas des prolétaires dans le sens moderne du mot, ce n’étaient pas des ouvriers. C’était tout simplement une foule d’indigents. Les terres des paysans ruinés étaient accaparées par les gros propriétaires fonciers qui, à l’aide du travail généralisé des esclaves, créaient des grandes exploitations, dites latifundia, d’élevage, d’agriculture et d’horticulture. Dans les ateliers d’artisans, qui étaient parfois assez considérables, le travail des esclaves était de plus en plus employé. Dans les mines, dans les grands chantiers, dans la construction de routes, dans les galères à rames, partout travaillaient les esclaves. L’esclavage était la base de toute la production. Le nombre des esclaves dépassait de plusieurs fois celui de la population libre. Ainsi, à Athènes, il y avait, pour 90 000 habitants libres 365 000 esclaves, à Corinthe pour 46 000 hommes libres, 460 000 esclaves.

C’est ainsi qu’avec l’extension du commerce, avec l’argent et l’usure, avec la propriété foncière et l’hypothèque, la concentration et la centralisation de la richesse dans les mains d’une classe peu nombreuse s’opéra progrès rapidement, en même temps que l’appauvrissement croissant des masses et l’augmentation de la foule des pauvres. […] Et à côté de cette division des hommes libres en classes selon leur fortune, il se produisit, surtout en Grèce, une énorme augmentation du nombre des esclaves, dont le travail forcé formait la base sur laquelle s’élevait la superstructure de toute la société.

Engels, L’Origine…, p. 200.

L’esclave était la propriété complète de son maître qui pouvait en disposer comme du bétail. Les esclaves étaient dénués des droits civiques les plus élémentaires et leurs maîtres pouvaient les tuer impunément. Il est évident que, dans ces conditions, il fallait recourir à la contrainte ouverte pour les obliger à travailler. L’atroce exploitation des esclaves p. 16était la cause de leur rapide usure ; inaptes au travail ils étaient mis à mort. Pour remplacer les morts et pour élargir la production, il fallait un afflux incessant des esclaves. On se les procurait par les guerres, que les États esclavagistes menèrent d’une façon presque ininterrompue.

L’exploitation accentuée des esclaves amena des révoltes dont la plus considérable fut celle dirigée par Spartacus l’an 77 avant notre ère. Mais elles se terminèrent par des défaites.

L’esclavage a été une étape nécessaire dans le développement de la société humaine. Dans les conditions de la décomposition de la communauté primitive, l’esclavage est devenu la seule base du développement social.

[…] l’introduction de l’esclavage dans les circonstances d’alors était un grand progrès. C’est un fait établi que l’humanité a commencé par l’animal, et qu’elle a donc eu besoin de moyens barbares, presque animaux, pour se dépêtrer de la barbarie.

Engels, M. E. Dühring bouleverse la science (Anti-Dühring), Édition sociales, Paris, 1950, p. 213.

Le travail manuel était la base de la production. La grande production n’était pas possible sans l’emploi, à une vaste échelle, du travail des esclaves. L’esclavage a rendu possible une division plus grande du travail entre le métier et l’agriculture. Il a permis la construction des grands édifices de l’antiquité, de la navigation et de l’industrie d’extraction. Sans l’esclavage, les sciences et les arts (les mathématiques, la mécanique, l’astronomie, la géographie, la sculpture et les beaux-arts) n’eussent pu atteindre le niveau relativement élevé où ils étaient dans le monde antique.

Le développement des forces productives ne profitait qu’à une poignée d’exploiteurs ; pour la masse des esclaves, il signifiait des souffrances et des privations incroyables. Mais telle est en général la loi du développement des forces productives dans la société divisée en classes.

Comme le fondement de la civilisation est l’exploitation d’une classe par une autre classe, tout son développement se meut dans une contradiction permanente. Chaque progrès de la production marque en même temps un recul dans la situation de la classe opprimée, c’est-à-dire de la grande majorité. Ce qui est pour les uns un bienfait est nécessairement un mal pour les autres, chaque libération nouvelle de l’une des classes est une oppression nouvelle pour une autre classe. p. 17L’introduction du machinisme, dont les effets sont universellement connus aujourd’hui, en fournit la preuve la plus frappante.

Engels, L’Origine…, p. 212. (C’est Ségal qui souligne.)

L’esclavage a été une forme sociale nécessaire du développement des forces productives à un stade déterminé de l’histoire. Ce développement fut à son tour la cause de la décadence de ce régime.

La décadence de l’esclavage

Sous le régime de l’esclavage, la technique ne se développait presque pas, l’ancienne Rome et la Grèce développaient surtout la production d’objets de luxe et d’armes, la construction de palais, de temples, de routes militaires. Mais la technique du travail, surtout dans l’agriculture, cette branche fondamentale de la production de ce temps, est restée presque sans changement. Le développement de la production avait pour base la main-d’œuvre bon marché des esclaves et impliquait l’augmentation incessante du nombre de ces derniers. Or, la principale source pour s’en procurer, c’était la guerre. En quelques siècles, Rome conquit presque toute l’Europe occidentale, l’Asie Mineure, la côte méditerranéenne de l’Afrique du Nord.

Les provinces conquises par Rome étaient soumises à une exploitation féroce. Elles étaient une source abondante d’où l’État romain soutirait des impôts. Les fonctionnaires romains qui administraient ces provinces, ainsi que les troupes romaines qui y stationnaient, pillaient impitoyablement la population de ces pays. L’exploitation barbare des peuples conquis avait pour effet la destruction générale des forces productives.

Si, à l’époque de sa naissance et à ses débuts, l’esclavage était un facteur de développement des forces productives, ce système devint, ultérieurement, une cause de destruction des forces productives. À son tour, cette décadence des forces productives devait conduire à la déchéance du régime de l’esclavage et à son abolition. À mesure de l’appauvrissement général, du déclin du commerce, des métiers et de l’agriculture, le travail des esclaves cesse graduellement d’être rentable.

p. 18

L’antique esclavage avait fait son temps. Ni à la campagne dans la grande agriculture, ni dans les manufactures urbaines, il n’était plus d’un rapport qui en valût la peine — le marché, pour ses produits, avait disparu.

Engels, L’Origine…, p. 178.

Avec la décadence des grandes exploitations, basées sur le travail des esclaves, la petite production redevint avantageuse. Aussi, le nombre des esclaves affranchis grandit sans cesse, et parallèlement on assiste au morcellement des latifundia en petits terrains cultivés par les colons. Le colon c’était un cultivateur qui recevait en jouissance perpétuelle un terrain et qui acquittait une redevance en argent et en nature. Ce n’était pas un fermier libre, puisqu’il était attaché à la glèbe et ne devait pas la quitter. Il pouvait être vendu avec son terrain. Mais, d’autre part, il n’était plus esclave, n’étant pas la propriété individuelle du maître de la terre : celui-ci ne pouvait pas l’obliger à accomplir tel ou tel travail ni le priver du terrain auquel il était attaché. Les colons étaient les prédécesseurs des serfs du moyen âge. Le gros des colons était constitué par les anciens esclaves, cependant des hommes libres aussi, bien qu’en moins grande quantité, passaient à l’état de colon.

Mais le colonat ne résolvait pas la contradiction créée par le système esclavagiste :

L’esclavage ne payait plus, et c’est pourquoi il cessa d’exister. Mais l’esclavage agonisant laissa son dard empoisonné : le mépris du travail productif des hommes libres. Là était l’impasse sans issue dans laquelle le monde romain était engagé. L’esclavage était impossible au point de vue économique ; le travail des hommes libres était proscrit au point de vue moral. Celui-là ne pouvait plus, celui-ci ne pouvait pas encore être la base de la production sociale. Pour pouvoir y remédier, il n’y avait qu’une révolution totale.

Engels, L’Origine…, p. 179.

Quand l’économie esclavagiste était encore forte et stable, les insurrections d’esclaves qui s’étaient produites de temps à autre (la plus grande de toutes fut l’insurrection de Spartacus en 73-71 avant notre ère) avaient abouti à la défaite. Mais la situation changea entièrement avec la décadence de l’économie esclavagiste et de l’Empire romain en général, dont nous avons parlé ci-dessus. Dès le 2e siècle, les insurrections d’esclaves prirent un caractère plus aigu et — ce qui est particulièrement important — rencontrèrent p. 19souvent un soutien du côté des couches pauvres de la population libre. En même temps se produisit l’irruption dans l’Empire romain des barbares germains, avec lesquels Rome était en guerre depuis plusieurs siècles. L’offensive des Germains facilita le développement des insurrections d’esclaves à l’intérieur de l’Empire, insurrection dont l’ensemble représente la révolution des esclaves. À leur tour, ces insurrections contribuèrent à la défaite de Rome par les Germains, qui accéléra le processus de la révolution des esclaves, la liquidation de l’esclavage.

À la fin du 5e siècle, la lutte des Germains contre Rome aboutit à la défaite complète et à la décomposition de l’Empire romain. Les peuples germaniques, au nombre de cinq millions environ, se trouvaient à un stade inférieur de développement, l’esclavage existait chez eux à l’état embryonnaire. En raison de leur lutte séculaire contre Rome, leurs clans portaient surtout un caractère de démocratie militaire. Mais, ayant conquis Rome, ils ont abandonné le régime des clans, avec lequel il était impossible d’administrer l’État. Les Germains ont créé un nouveau pouvoir politique : le pouvoir du chef militaire devint le pouvoir royal.

Les conquérants germaniques prirent aux Romains les deux tiers de l’ensemble de la terre qui fut distribuée aux clans et aux familles. Mais une partie considérable des terres conquises fut attribuée par les rois aux chefs militaires, qui les donnèrent à leurs guerriers en jouissance perpétuelle sans le droit de vente ou de rétrocession. Ces terres, restées sous le pouvoir suprême du roi, portaient le nom de fiefs et leurs propriétaires, celui de seigneurs féodaux. À cette époque d’incessantes guerres, la petite production paysanne ne pouvait exister sans la protection des grands seigneurs féodaux qui étaient en même temps des chefs militaires. Pendant 400 ans à partir de la chute de Rome, les paysans passent graduellement sous la dépendance de ces seigneurs. Les paysans étaient forcés de mettre leur terre sous la protection du seigneur féodal qui en devenait le propriétaire sans pouvoir la vendre ou la rétrocéder à un tiers. En échange, les paysans s’engageaient à fournir au seigneur féodal et à ses guerriers des produits alimentaires et à exécuter différents travaux. Ainsi, vers le 9e siècle, se forma le régime féodal, ou la féodalité.

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