Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique :
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Cette forme sociale de production a existé pendant de nombreux millénaires chez tous les peuples au stade le plus reculé de l’évolution de la société humaine, c’est de cette époque que date le développement de la société. Les hommes vivaient alors à l’état sauvage. Ils se nourrissaient de végétaux qu’ils trouvaient dans la nature à l’état comestible : légumes, fruits sauvages, noix. La découverte du feu fut d’une importance énorme puisqu’elle permit d’élargir les sources de l’alimentation. On se mit à consommer du poisson, des écrevisses et d’autres animaux aquatiques.
Les premiers instruments dont les hommes firent usage furent le bâton et les pierres grossières non taillées. L’invention de la lance avec une pointe de pierre et ensuite de l’arc et de la flèche procura un nouveau produit alimentaire : la chair des bêtes. Parallèlement à la recherche d’aliments végétaux et à la pêche, la chasse devint un des moyens d’existence. Ultérieurement, un pas en avant très considérable fut réalisé par l’introduction d’outils en pierres taillées qui ont permis de travailler le bois pour construire des habitations.
Si important qu’ait été tout ce procès de développement qui, à travers des millénaires, a conduit de l’existence mi-animale à celle de l’homme sachant confectionner une hache en pierre et construire une habitation, les hommes étaient encore extrêmement faibles dans la lutte contre les forces de la nature. Cela s’exprimait surtout dans l’instabilité et la précarité des sources d’alimentation. Les hommes étaient à la merci du hasard, incertains de trouver toujours du gibier et des produits végétaux. Quant à faire des réserves, il n’y avait pas lieu d’y songer. Il fallait se procurer la nourriture au jour le jour, sans la moindre certitude du lendemain.
p. 10Dans ces conditions, la population devait être tout à fait clairsemée : la nourriture que l’on était à même de tirer d’un territoire donné n’aurait pas suffi à entretenir une population plus dense.
Les hommes vivaient par tribus composées de plusieurs clans. Ces derniers, comprenant des centaines de personnes, englobaient de grandes familles apparentées. La propriété privée des moyens de production n’existait pas. L’économie du clan était gérée en commun, collectivement : la chasse comme la pêche, la préparation de la nourriture et sa consommation, tout se faisait en commun. Les habitations étaient également communes. Ainsi, dans son livre : l’Origine de la famille, de la propriété et de l’État, Engels relate l’exemple des peuplades des îles du Pacifique, où, sous le même toit, étaient abritées dans une économie commune, jusqu’à 700 personnes et quelquefois des tribus entières.
Ce régime communiste primitif était nécessaire pour la société humaine à ce stade de développement ; une vie isolée, éparpillée, aurait rendu impossibles l’invention et le développement des armes et outils primitifs. Ce n’est que grâce à une vie collective que les hommes primitifs purent remporter leurs premiers succès dans la lutte contre la nature. L’union dans un clan communiste, telle était leur principale force.
Dans la société communiste primitive, il n’y avait et il ne pouvait y avoir d’exploitation de l’homme par l’homme. Le travail était divisé entre l’homme et la femme. Dans le clan, il y avait des membres plus forts et des membres plus faibles, mais il n’y avait pas d’exploitation.
L’exploitation n’est possible que si l’homme peut produire des moyens d’existence non seulement pour soi, mais encore pour les autres. Ce n’est qu’à cette condition qu’un individu peut vivre aux dépens du travail d’autrui. La société primitive, contrainte de se procurer de la nourriture au jour le jour, ne pouvant produire que le strict nécessaire, l’exploitation ne pouvait pas y avoir lieu. Quant aux prisonniers de guerre, on les tuait (quelquefois on les mangeait) ou bien on les admettait dans le clan.
Le régime communiste primitif était conditionné par le niveau de développement des forces productives de la société. On aurait tort de s’imaginer que les hommes primitifs ont créé ce régime consciemment. Il se forma et se p. 11développa d’une façon naturelle, sans égard à la volonté et à la conscience des hommes.
… dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles.
Le développement ultérieur des forces productives de la société primitive — le perfectionnement des outils existants et l’invention de nouveaux outils, l’apparition de l’élevage et de l’agriculture, l’emploi des métaux — tout cela amena le changement des rapports de production. Le communisme primitif se décomposa avec la même nécessité naturelle avec laquelle il s’était formé, et céda la place à la société de classes.
Le facteur qui inaugura la désagrégation du régime communiste primitif, ce fut la domestication des bêtes et l’évincement de la chasse par l’élevage. Pour la première fois, ce dernier fut introduit parmi les tribus qui habitaient des territoires riches en pâturages (principalement près des grands fleuves du sud-ouest de l’Asie, aux Indes, dans les bassins de l’Amou-Daria et du Syr-Daria, du Tigre et de l’Euphrate). L’élevage fut pour ces tribus une source permanente de lait, de viande, de peaux et de laine. Les tribus pastorales avaient des objets d’usage dont étaient privées les tribus non pastorales. L’introduction de l’élevage marqua donc la première division sociale du travail.
Avant, le troc entre les différentes tribus portait un caractère purement accidentel et ne jouait aucun rôle dans la vie des tribus et des clans. La division du travail entre les tribus pastorales et les autres inaugura le troc régulier entre elles.
Un autre pas en avant dans le développement des forces productives c’était l’apparition de l’agriculture (d’abord l’horticulture et ensuite la culture des céréales) qui créa une source permanente d’aliments végétaux. L’invention du métier à tisser qui date de cette époque permit de confectionner p. 12des étoffes, des vêtements de laine. Ultérieurement, les hommes apprirent à fondre le minerai métallique, le cuivre et le plomb (l’extraction du fer fut découverte plus tard) et à fabriquer des outils, armes et poteries en bronze.
Tout cela eut pour effet d’augmenter dans une grande mesure la productivité de travail, le pouvoir de l’homme sur la nature et sa certitude du lendemain. Mais ces nouvelles forces productives de la société dépassaient déjà les cadres du communisme primitif.
L’accroissement de la production dans toutes les branches — élevage du bétail, agriculture, artisanat domestique — donna à la force de travail humaine la capacité de produire plus qu’il ne lui fallait pour sa subsistance. Elle accrut en même temps la somme quotidienne de travail qui incombait à chaque membre de la gens, de la communauté domestique ou de la famille conjugale. Il devint souhaitable de recourir à de nouvelles forces de travail. La guerre les fournit : les prisonniers de guerre furent transformés en esclaves. En accroissant la productivité du travail, donc la richesse, et en élargissant le champ de la production, la première grande division sociale du travail, dans les conditions historiques données, entraîna nécessairement l’esclavage. De la première grande division sociale du travail naquit la première grande division de la société en deux classes : maîtres et esclaves, exploiteurs et exploités.
Les esclaves, c’étaient des gens étrangers au clan et qui n’en faisaient pas partie. Le développement des forces productives et l’apparition de l’esclavage devaient amener l’inégalité entre les membres du clan, en premier lieu entre l’homme et la femme.
Gagner la subsistance avait toujours été l’affaire de l’homme ; c’est lui qui produisait les moyens nécessaires à cet effet et qui en avait la propriété. Les troupeaux constituaient les nouveaux moyens de gain ; ç’avait été l’ouvrage de l’homme de les apprivoiser d’abord, de les garder ensuite. Aussi le bétail lui appartenait-il, tout comme les marchandises et les esclaves troqués contre du bétail. Tout le bénéfice que procurait maintenant la production revenait à l’homme ; la femme en profitait, elle aussi, mais n’avait point de part à la propriété.
Plus tard apparaît l’inégalité entre les chefs de diverses familles. Le développement du troc consécutif à la division croissante du travail y contribuait. L’emploi du fer augmenta la variété des outils et des objets en usage. p. 13L’agriculture prit également de l’extension grâce à l’introduction de la charrue au soc de métal ; aux céréales venaient s’ajouter d’autres cultures.
Une activité si diverse ne pouvait plus être pratiquée par un seul et même individu : la seconde grande division du travail s’effectua : l’artisanat se sépara de l’agriculture.
La différence entre riches et pauvres s’établit à côté de la différence entre hommes libres et esclaves : nouvelle scission de la société en classes qui accompagne la nouvelle division du travail. Les différences de propriété entre les chefs de famille individuels font éclater l’ancienne communauté domestique communiste partout où elle s’était maintenue jusqu’alors et, avec elle, la culture en commun de la terre pour le compte de cette communauté. Les terres arables sont attribuées usage aux familles conjugales afin qu’elles les exploitent, d’abord à temps, plus tard une fois pour toutes.
La transition vers la propriété privée s’accomplit.
La densité grandissante de la population, due à la productivité accrue du travail, et l’augmentation des liens entre les différentes tribus conduisent peu à peu à la fusion de beaucoup de clans et de tribus en peuples. D’autre part, la désagrégation de la communauté primitive, l’inégalité croissante entre ses membres et surtout l’application généralisée du travail des esclaves, tout cela aboutit à la formation de l’État comme organisme d’oppression de la classe exploitée par la classe exploiteuse.
Sous la pression des forces productives qu’il avait engendrées, le régime communiste primitif se décomposa et céda la place à une nouvelle société, divisée en classes.
Les adversaires du communisme affirment que le communisme primitif n’aurait jamais existé, que la propriété privée et la division de la société en classes étaient en vigueur dès le début de l’existence de la société. Ils s’efforcent de montrer que la propriété privée est inséparable de la nature de l’homme même, qu’il ne peut y avoir d’autre propriété, que la société était toujours divisée en classes et qu’une société sans classes est inconcevable. La bourgeoisie et ses agents, dans leur lutte contre le communisme moderne, ont intérêt à nier le communisme primitif.
Déjà en 1845, Marx et Engels ont démontré (dans l’Idéologie allemande) que le communisme primitif était la première forme de la société. Trente ans après (en 1877), en dehors des recherches effectuées par Marx et Engels, le p. 14savant américain Morgan est arrivé à la même conclusion, après avoir longuement étudié les tribus sauvages et demi-sauvages de l’Amérique et des îles du Pacifique. Les restes du communisme primitif subsistent encore de nos jours chez certains peuples sous la forme du communisme agraire : les communautés rurales possèdent en commun la terre et en distribuent les lots pour une jouissance temporaire à leurs membres. L’existence du communisme primitif, comme, phase initiale du développement de tous les peuples, ne saurait plus être mise en doute.
Examinons maintenant le système de l’esclavage, né des ruines du communisme primitif.
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