Dominique Meeùs
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Le capitalisme d’après-guerre a subi une crise de surproduction en 1920-21. Mais cette crise n’a pas atteint tous les pays. Au contraire, la crise contemporaine, qui commença en 1929 et se développa d’une façon irrégulière, a atteint tous les pays capitalistes et coloniaux et toutes les branches de la production (sauf l’industrie de guerre !).
La crise actuelle est la première crise économique mondiale depuis la guerre. (J. Staline : Deux Bilans, p. 4. Bureau d’éditions, 1930.)
La crise économique contemporaine par sa profondeur et par ses effets destructeurs dépasse de loin toutes les crises p. 356qui ont eu place dans l’histoire du capitalisme. Cela ressort du tableau suivant qui donne le pourcentage de la réduction de la production de la fonte dans les pays capitalistes et le pourcentage de la réduction du commerce mondial dans les crises précédentes et dans la crise contemporaine :
Pourcentage de la réduction | ||
Années de crise | Production mondiale de la fonte |
Commerce mondial |
1873-1874 | 8 | 5 |
1883-1885 | 10 | 4 |
1890-1892 | 6,5 | 0,5 |
1900-1901 | 0,25 | 1 |
1907-1908 | 23 | 7 |
1920-1921 | 44 | — |
1929-1934 | 66 | 65 |
En même temps, la crise provoqua, comme on l’a déjà montré dans les chapitres précédents, une croissance du chômage et une baisse de salaire inouïes, dans l’histoire des crises antérieures. Selon les calculs des économistes bourgeois, les pertes générales, par suite de la crise, dépassent les pertes causées par la guerre impérialiste mondiale de 1914-1918.
Ces dimensions et la profondeur de la crise dévoilent son caractère, en particulier comme crise de surproduction, se développant sur la base de la crise générale du système capitaliste. Il est aussi caractéristique que, à la différence des crises d’avant-guerre, la crise contemporaine ne fut pas précédée d’un essor quelque peu considérable. Ainsi, par exemple, en Allemagne la production industrielle, par rapport à 1928, était, en 1927, de 100 % ; en 1928, de 100 % et en 1929, de 102 %. Aux États-Unis, la production de l’industrie automobile, de 1919 à 1923, a augmenté de 16,9 %, et de 1924 à 1929, seulement de 4,7 %. En Angleterre, il n’y avait pas, en général, d’essor de la production avant la crise.
Dans la période qui précéda la crise dans tous les pays, il existait déjà, comme nous le savons, un ralentissement dans les entreprises et un chômage constant de masse.
La crise contemporaine se distingue de toutes les crises précédentes par sa durée. Auparavant, pendant le cours d’une ou deux années, la chute de la production et des prix atteignait ordinairement son point le plus bas, tandis que p. 357la crise contemporaine dure déjà depuis plus de cinq ans, et représente la plus longue de toutes les crises qu’ait connues l’histoire du capitalisme.
Les causes de cette gravité et de cette durée sans précédent de la crise économique contemporaine consistent, comme l’a montré le camarade Staline, dans ce qui suit.
En premier lieu, la crise industrielle contemporaine a atteint tous les pays capitalistes sans exception. Si certains pays dans lesquels il y a la crise avaient pu vendre une partie de leurs marchandises dans les premiers pays, ils auraient pu manœuvrer aux dépens de ces pays. Mais comme tous les pays capitalistes sont atteints par la crise économique contemporaine, les manœuvres des uns aux dépens des autres sont rendues difficiles.
En second lieu, l’enchevêtrement de la crise industrielle avec la crise agraire, qui a atteint tous les pays agraires et semi-agraires. En résultat de la crise industrielle, les demandes de l’industrie en matières premières agricoles ont diminué. Le chômage et la réduction du salaire chez les ouvriers industriels diminuent la demande en produits alimentaires agricoles. D’autre part, la crise dans l’économie rurale aboutit au fait que celle-ci présente moins de demandes en produits industriels, — en moyens de production et en objets de consommation industriels. Ainsi, l’enchevêtrement de la crise industrielle avec la crise agraire a donné à la crise économique contemporaine un caractère particulièrement grave et durable par comparaison avec les crises précédentes.
En troisième lieu, la crise agraire a atteint non seulement tous les pays, mais aussi toutes les branches de la production de l’économie rurale — non seulement l’agriculture, mais aussi l’élevage des bestiaux. Dans le monde capitaliste, l’économie rurale a subi une forte chute. L’emploi des machines et des engrais artificiels dans l’agriculture s’est fortement réduit. Comme la production des moyens de production pour l’économie rurale représente une partie considérable de la production industrielle, la dégradation de l’économie rurale a fait traîner encore plus en longueur la crise industrielle.
En quatrième lieu, la tendance des organisations monopolistes à maintenir les prix élevés sur les marchandises. D’ordinaire, la chute des prix, qui est l’expression de la crise, aide en même temps à la surmonter ; en résultat de la p. 358chute des prix, les stocks de marchandises s’écoulent et la surproduction s’atténue. La crise traîne d’autant plus en longueur que les prix tombent moins vite. C’est cela qui se passe avec la crise contemporaine. Ainsi, par exemple, en Allemagne, pendant la crise, les prix des marchandises produites par les monopoles sont tombés seulement de 20 % et les prix des marchandises produites par les entreprises qui n’entrent pas dans les cartels monopolistes sont tombés de 50 %. Comme la masse écrasante des marchandises industrielles est produite par les monopoles, l’arrêt de la chute des prix de monopole fait traîner la crise en longueur d’une façon particulièrement forte.
En cinquième lieu, la crise économique contemporaine se produit dans les conditions de la crise générale du système capitaliste. Cela représente le facteur principal, qui donne à la crise économique une acuité et une force de destruction sans précédent dans les crises antérieures.
La crise industrielle s’est déchaînée dans les conditions de la crise générale du capitalisme, au moment où celui-ci n’a déjà plus et ne peut plus avoir, ni dans les principaux pays ni dans les colonies et pays vassaux, la force et la solidité qu’il avait avant la guerre et avant la révolution d’Octobre ; où l’industrie des pays capitalistes a reçu en héritage de la guerre impérialiste un ralentissement chronique des entreprises et une armée de millions de chômeurs, dont elle n’est plus en mesure de s’affranchir. (J. Staline : Deux Mondes, p. 5-6.)
La crise économique mondiale contemporaine s’accompagne d’importants krachs de banques et du dérèglement de la circulation de l’argent dans une série de pays capitalistes. Les paiements des dettes de guerre sont, en fait, arrêtés, les déficits des budgets d’État grandissent et il se produit une chute des cours des devises de pays aussi puissants au point de vue financier que l’Angleterre et les États-Unis, qui sont entrés dans la voie de l’inflation. (Sur l’inflation, voir le chapitre 3.)
Au cours des crises antérieures, après une chute rapide des prix et une réduction de la production venait une dépression (voir le chapitre : les crises), suivie d’un essor, et la crise s’épuisait au bout d’une ou deux années. Dans la crise contemporaine, au contraire, le point le plus bas de la chute fut atteint seulement à la fin de la quatrième année de la crise, en 1932. Ainsi, aux États-Unis, la production p. 359industrielle par rapport à 1929 était de : en 1932, 53,8 %, et en 1933, 64,9 % ; en Angleterre, 83,8 % et 86,1 % ; en Allemagne, 59,8 % et 66,8 % ; en France, 69,1 % et 77,4 %. Dans les pays capitalistes les plus importants, dans le courant de 1933, se produisit une augmentation de la production. La bourgeoisie réussit à atteindre ce résultat aux dépens de l’exploitation renforcée des ouvriers, aux dépens de la paysannerie de ses propres pays et des colonies. Mais cette croissance de la production ne signifie pas que la crise est terminée et que commence un essor. Il ne peut y avoir aucun essor véritable dans les pays capitalistes, pour la raison que cette crise économique se produit dans les conditions de la crise générale du capitalisme qui s’approfondit de plus en plus. D’ordinaire, l’essor vient après la crise par suite du renouvellement du capital fixe. Mais, à l’heure actuelle, dans les pays capitalistes, il y a dans les entreprises un ralentissement tellement colossal qu’on ne peut pas même parler d’un renouvellement tant soit peu sérieux du capital fixe.
Il est évident que nous sommes en présence d’une transition allant du point le plus bas du déclin de l’industrie, du point de la crise industrielle la plus profonde, à la dépression, mais à une dépression sortant de l’ordinaire, peu habituelle, à une dépression d’un genre spécial, qui ne conduit pas a un essor nouveau et a l’épanouissement de l’industrie, mais ne la fait pas non plus rétrograder vers le point maximum de son déclin. (J. Staline : Deux Mondes, p. 10.)
Là-bas, dans les pays capitalistes, la crise économique continue à déferler. (J. Staline : Ibid., p. 4.)
Cette caractéristique du développement de la crise économique contemporaine, donnée par le camarade Staline dans son rapport au 17e congrès du Parti au début de 1934, a été aussi pleinement confirmée par la marche ultérieure de la crise. En 1934, la croissance de la production continua dans les pays capitalistes. Mais cette croissance est insignifiante : en 1933, la production industrielle mondiale des pays capitalistes faisait 71 % par rapport à 1929, et, en 1934, 76 %. Dans l’Union soviétique, au contraire, 202 % et 239 %. Le fait qu’en 1934, malgré la croissance de la production industrielle, le chômage n’ait pas diminué et que la somme totale des salaires payés n’ait pas augmenté par comparaison avec 1933, ce fait est extrêmement p. 360caractéristique. Tout cela signifie qu’en 1934 il ne s’est pas produit de changements essentiels dans le développement de la crise, que la dépression d’un genre particulier continue, sans créer de base pour un nouvel essor économique.
La crise économique contemporaine, se produisant dans les conditions de la crise générale du capitalisme, approfondit et aggrave cette dernière.
Cette aggravation de la crise générale du capitalisme s’exprime dans le fait que, déjà en 1932, la fin est venue de la stabilisation relative du capitalisme, et que la crise générale du capitalisme est arrivée à une nouvelle étape de son développement, à un nouveau cycle de révolutions et de guerres.