Dominique Meeùs
Dernière modification le
Louis Ségal, Principes d’économie politique :
versions,
table des matières,
index des notions —
Retour au dossier marxisme
Après la guerre, la croissance de la production s’est considérablement ralentie dans les pays capitalistes et les procès de décomposition du capitalisme se sont accentués à l’extrême. La décomposition signifie non pas une stagnation absolue dans le développement des forces productives de la société, comme l’affirment les trotskistes (théorie de la « stagnation »), mais une tendance à la stagnation qui s’exprime par un ralentissement de la croissance des forces productives.
Après la guerre eut lieu un développement extrêmement rapide de la technique, un développement tel que dans certains cas il confine à une révolution technique (dans le domaine de la chimie, de l’électrotechnique, des communications aériennes, de la radio, etc.). Mais le capitalisme n’est pas à même d’utiliser pleinement ces découvertes et ces inventions. Surtout en liaison avec la crise économique mondiale actuelle les savants, les économistes et les politiciens bourgeois accordent une grande attention à la question de la lutte directe contre le progrès technique.
Après la guerre, l’appareil de production des pays capitalistes s’est accru. Ainsi, par exemple, la puissance des moteurs mécaniques de l’industrie s’est accrue vers 1925 par rapport à 1913 de 55 % aux États-Unis, de 68 % en Allemagne, de 50 % en Angleterre. Néanmoins, la croissance de la production a baissé par rapport à celle d’avant-guerre. Ainsi, dans les 16 années d’avant-guerre, 1897-1913, la production mondiale de la fonte a augmenté p. 341de 140 % et pendant la période de 16 ans entre 1913 et 1929, de 23,8 % seulement. La production de la houille a augmenté respectivement de 108 et de 7,2 %.
Cette forte baisse de la croissance de la production, tandis que l’appareil de la production s’est élargi, a pour conséquence de restreindre d’une façon chronique le fonctionnement des entreprises qui, même dans les années d’essor, faisaient, dans les principaux pays capitalistes, plus de la moitié de l’appareil de production (travail à une seule équipe). Cette restriction dans le fonctionnement de l’industrie s’est surtout fortement accentuée en liaison avec la crise économique actuelle. Cette utilisation incomplète chronique de l’appareil de production a pour cause fondamentale la forte baisse du niveau de vie des masses et l’accentuation de la paupérisation de la classe ouvrière.
Les dépenses pour la guerre formaient la moitié de toute la richesse nationale des belligérants. Il va de soi que la bourgeoisie fait payer par tous les moyens les frais de cette guerre par les masses laborieuses, en premier lieu par la classe ouvrière. Mais cela n’est pas tout. Après la guerre, les dépenses militaires du temps de « paix » ont fortement augmenté par rapport à celles d’avant-guerre : nous assistons à la préparation fébrile d’une nouvelle guerre (voir plus bas quelques données sur la croissance des armements et des dépenses militaires depuis la guerre). La bourgeoisie oblige les masses laborieuses à payer non seulement les frais de la guerre passée, mais encore les dépenses pour la préparation de la nouvelle.
Ainsi, après la guerre, les dépenses improductives se sont fortement accrues par comparaison avec la période d’avant-guerre. Pour les couvrir, la bourgeoisie a recours à la réduction du niveau de vie de la classe ouvrière non seulement au moyen de la réduction des salaires, de la prolongation de la journée de travail, etc., mais aussi au moyen des impôts, qui, depuis la guerre, ont considérablement augmenté.
Le pouvoir d’achat des masses paysannes a également fortement baissé en résultat de la crise agraire d’après-guerre, qui dure déjà depuis plus de quatorze ans. Pendant la guerre, la surface emblavée des pays européens a diminué tandis que celle des pays d’outre-Atlantique s’est élargie. Mais depuis la fin de la guerre une partie de la surface emblavée mondiale s’est trouvée superflue, surtout par p. 342suite de la diminution de la consommation des masses. Ainsi, par exemple, la consommation annuelle moyenne du froment et du seigle par tête d’habitant était en Angleterre de 164,4 kilos en 1909-1913, et de 153,3 kilos en 1924-25 ; en Allemagne, les chiffres respectifs sont 254,7 et 149 kilos ; en France, 243,8 et 213,6 kilos ; aux États-Unis, 178,6 et 152,5 kilos. La consommation du coton s’est fortement réduite, en partie par suite de la réduction du pouvoir d’achat des masses et en partie par suite de l’évincement des tissus de coton par la soie artificielle. La consommation des autres matières premières agricoles a également diminué. À côté de cela, dans l’agriculture d’après-guerre se sont produites d’importantes transformations techniques (emploi du tracteur et des machines combinées) qui ont frappé avant tout la petite et la moyenne paysannerie. La ruine de la paysannerie dans tous les pays et surtout dans les colonies et semi-colonies a pris des dimensions inouïes. D’où la baisse du pouvoir d’achat des grandes masses rurales.
Ainsi, la guerre a accentué la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste à tel point qu’il s’est créé un excédent continuel, chronique, de capital inactif, sous la forme de moyens de production inutilisés. C’est l’une des particularités essentielles du capitalisme d’après-guerre à la différence de celui d’avant- guerre : avant la crise générale du capitalisme, il ne se formait un important excédent de capital inactif qu’au moment des crises de surproduction, maintenant l’utilisation incomplète des entreprises a pris des dimensions considérables et est devenue un phénomène constant. C’est là un nouveau phénomène de décomposition du capitalisme, caractéristique pour la crise générale du capitalisme.
À cette utilisation incomplète chronique des entreprises correspond un autre caractère du chômage dans le capitalisme d’après-guerre en comparaison avec celui d’avant-guerre. Nous avons déjà plus haut (voir chapitre 6, § 4) cité des données sur le chômage qui montrent qu’après la guerre le pourcentage des chômeurs n’est pas une seule fois descendu au-dessous du niveau auquel il se trouvait dans les années de crise d’avant la guerre. Mais il ne s’agit pas seulement de l’énorme croissance quantitative du chômage dans la période d’après-guerre du capitalisme. Le caractère particulier du chômage d’après-guerre consiste dans le fait p. 343que les innombrables armées de chômeurs se sont transformées en armées permanentes de chômeurs. Avant la guerre, le chômage était aussi permanent, mais sa durée pour chaque ouvrier était beaucoup moindre. La composition de l’armée des chômeurs changeait constamment (forme flottante de la surpopulation relative, voir chapitre 6, § 4). Aujourd’hui, il existe d’innombrables armées de chômeurs qui sont définitivement rejetés hors de la production et qui appartiennent à la forme stagnante de la surpopulation relative. Dans le chômage d’après-guerre, la forme stagnante de la surpopulation relative joue un rôle prédominant. Mais, en même temps, cela signifie qu’une partie considérable des chômeurs a cessé de remplir le rôle d’armée industrielle de réserve. Avec l’existence de l’utilisation incomplète à une grande échelle de l’appareil de production, même dans les années de reprise économique, le capital n’a pas du tout besoin d’une aussi énorme réserve de main-d’œuvre en cas d’élargissement de la production.
Le capitalisme a rendu « superflus », a jeté par-dessus bord, a mis en marge de la vie une masse de plusieurs dizaines de millions d’ouvriers. Les ouvriers qui ne sont pas encore chômeurs sont contraints de travailler à de bas salaires, qui, par exemple en Allemagne, ne dépassent pas de beaucoup les misérables secours que touchent les chômeurs.
Un développement des forces productives qui diminuerait le nombre absolu des ouvriers, c’est-à-dire mettrait toute la nation à même d’opérer sa production totale en un temps moindre ; amènerait une révolution parce qu’il vouerait la majeure partie de la population au chômage. (K. Marx : le Capital, t. 10, p. 211-212. (Costes.).)
Ainsi, la crise générale du capitalisme a posé devant la classe ouvrière du monde entier la question de la révolution prolétarienne comme une question de vie ou de mort.