Dominique Meeùs
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La crise dans la production elle-même ne commence pas nécessairement dans les branches qui produisent des objets de consommation. Il n’est nullement nécessaire pour que commence la crise générale de surproduction que des excédents de marchandises invendues s’accumulent à la fois dans toutes les branches. Il suffit que la surproduction commence dans les branches de l’industrie qui ont une importance essentielle pour toute la production sociale.
Pour qu’une crise, et par suite la surproduction, soit générale, il suffit qu’elle intéresse les articles principaux. (K. Marx : Histoire des doctrines économiques, t. 5, p. 70.)
Au commencement du 19e siècle, le textile était la branche d’industrie décisive, et c’est l’Angleterre qui occupait une situation décisive dans l’industrie textile mondiale. C’est pourquoi la surproduction dans le textile anglais se transformait en crise de surproduction générale non seulement en Angleterre, mais aussi dans les autres pays capitalistes. Mais depuis l’essor pris par les constructions mécaniques, par la métallurgie et l’industrie minière, c’est-à-dire par l’industrie lourde, depuis qu’elles sont devenues des industries décisives, les crises de surproduction générale commencent ordinairement par la surproduction dans ces branches. Ainsi, par exemple, la crise économique actuelle, qui date de l’automne 1929, a frappé avant tout la métallurgie et l’industrie houillère, et ce ne fut que plus tard qu’elle gagna l’industrie légère.
Dans les branches qui produisent des moyens de production, la crise agit avec beaucoup plus de force que dans celles qui produisent des objets de consommation. Ceci est surtout remarquable dans la crise économique mondiale actuelle qui a atteint tous les pays capitalistes. Ainsi, par exemple, en Allemagne, la production des moyens de production a subi en 1932 une diminution de 53,4 % par rapport à la production moyenne mensuelle de l’année 1928, alors que la production des objets de consommation n’a diminué que de 26,4 %. La production du textile allemand a subi en 1932 une compression de 16 % par p. 262rapport à 1929, celle de la chaussure de 24 %, l’industrie mécanique de 60 %, la production de l’acier de 60 %.
Dans tous les pays capitalistes la production des moyens de production a diminué en 1932 de 50 % par rapport à 1928, les constructions navales de 90 %, le textile de 15 % seulement.
La surproduction dans une branche de production qui joue un rôle peu important ne peut pas se transformer en crise de surproduction générale. Ainsi, par exemple, l’industrie des cravates ou d’autres marchandises de mercerie, par sa production, par le nombre des ouvriers qu’elle occupe, par ses liens avec les autres branches, n’est pas une branche dont la surproduction puisse amener une surproduction dans toutes les autres branches.
La situation est tout autre dans les branches qui produisent des moyens de production, la métallurgie, les constructions mécaniques, l’industrie houillère fournissent en moyens de production toutes les branches de l’économie nationale, leur production représente la plus grande partie de toute la production sociale, elles occupent de grandes masses d’ouvriers. La production croissant beaucoup plus rapidement dans ces branches que dans la section II, qui produit des objets de consommation, la surproduction commencera même s’il n’existe pas une surproduction manifeste d’objets de consommation. Les objets de consommation produits peuvent encore être écoulés, mais du moment que la deuxième section ne peut plus élargir sa production, les moyens de production qui sont offerts en quantités grandissantes par la première section se trouvent « surproduits ».
Comme les branches qui produisent les moyens de production occupent un grand nombre d’ouvriers, la réduction du nombre de ces derniers et la baisse des salaires des ouvriers qui restent occupés réduisent immédiatement et considérablement la demande en objets de consommation, et des objets de consommation, qui auparavant n’étaient pas en excédent, se trouvent désormais « surproduits ». La surproduction gagne ainsi les branches qui produisent des objets de consommation. Dans ces branches, le nombre des ouvriers étant réduit et leur salaire diminué, la demande en objets de consommation diminue encore. Si avant la crise, la section II, n’avait pas augmenté ses commandes à la section I, maintenant elle les comprime p. 263et pour cette raison la surproduction dans la section I s’accentue davantage, etc.
Ainsi, nous voyons que, par ses formes extérieures, la crise se déroule dans le sens opposé à l’ordre réel des causes et des conséquences. Les faillites et les troubles du crédit, la baisse des prix et les stocks ont pour cause la surproduction, le fait que la production capitaliste est sortie des limites que lui avaient assignées les rapports de production capitalistes. Mais la crise éclate d’abord dans le domaine du crédit et du commerce et après seulement gagne la production. Cela provient du fait que le procès de reproduction capitaliste comprend la production et la circulation. La liaison de production entre les entreprises et la liaison entre la production et la consommation se réalisent dans la circulation. C’est pourquoi la crise se manifeste avant tout dans le domaine du crédit et du commerce. D’où l’illusion que la cause des crises de surproduction réside dans le défaut de crédit et dans la baisse des prix.