Dominique Meeùs
Dernière modification le
Louis Ségal, Principes d’économie politique :
versions,
table des matières,
index des notions —
Retour au dossier marxisme
La lutte de Lénine contre toutes les théories de l’impossibilité de l’accumulation capitaliste ne signifie pas que le marxisme-léninisme admette la possibilité d’une marche régulière, ininterrompue, de la reproduction élargie en régime capitaliste. La lutte de Lénine contre les théories petites-bourgeoises du caractère non progressif du capitalisme par comparaison avec la petite production, ne signifie certes pas que le marxisme-léninisme considère le régime capitaliste comme absolument progressif et ne voit pas son caractère historiquement temporaire. Ce sont précisément Marx et Lénine qui ont dévoilé les racines mêmes des profondes contradictions du capitalisme et montré son caractère temporaire. C’est précisément Lénine qui a montré que dans son stade impérialiste de développement, lorsque les prémices du socialisme ont pleinement mûri, le capitalisme cesse d’être un mode de production progressif et se transforme en capitalisme dépérissant et pourrissant. Les apologistes bourgeois prêchent la théorie d’un développement perpétuel et sans crises du capitalisme. Ainsi Tougan-Baranovski affirmait que le capitalisme peut se développer à l’infini et sans crises, même si sur tout le globe terrestre il ne reste qu’un seul ouvrier, — une certaine proportionnalité entre les branches de la production est seule nécessaire.
Cet unique ouvrier, dit Tougan-Baranovski, mettra en mouvement toute la colossale masse des machines et à l’aide de celles-ci produira de nouvelles machines et les objets de consommation de la classe capitaliste. La classe ouvrière disparaîtra, mais cela ne gênera en rien la réalisation des produits de l’industrie capitaliste. (Tougan-Baranovski : les Crises industrielles périodiques, p. 212, édition russe.)
La production des objets de consommation sera considérablement réduite, mais la consommation des moyens de production grandira et le marché capitaliste s’élargira à l’infini. On produira de la houille et du fer pour… produire encore plus de houille et de fer. Voilà à quelles sottises p. 244aboutissent les apologistes bourgeois dans leur désir de nier les contradictions du capitalisme.
Sur les traces de Tougan-Baranovski a marché un des chefs social-démocrates — Hilferding. Celui-ci écrivait encore avant la guerre que, quelque basse que soit la consommation des masses, la production peut croître à l’infini et sans crise, si seulement est conservée une proportion déterminée entre les deux sections de la production sociale. Otto Bauer affirmait la même chose. C’est là un des principes de la théorie apologétique social-démocrate du « capitalisme organisé ». Les théories des opportunistes de droite de l’équilibre et du « capitalisme organisé » sont un écho de toutes ces théories apologétiques bourgeoises.
La théorie marxiste-léniniste de la reproduction montre qu’il ne peut être question d’aucun équilibre dans la reproduction capitaliste. Les conditions d’une marche normale de la reproduction, aussi bien simple qu’élargie, caractéristiques pour le capitalisme, sont des conditions telles qu’elles « deviennent autant de conditions de la marche anormale et des possibilités de crise, cet équilibre étant purement fortuit dans le système naturel de cette production ». (C’est Ségal qui souligne. Marx : le Capital, t.8, p. 158. Édit. Costes.)
Nous avons vu que l’accumulation du capital et l’élargissement du marché pour le capital s’effectuent surtout aux dépens de la croissance de la fabrication des moyens de production et non, des objets de consommation. Mais cela ne signifie pas que la production ne dépende pas du tout de la consommation. Pourtant chaque moyen de production, soit directement, soit seulement en fin de compte, doit servir à la production des objets de consommation. Par conséquent, parlant de la proportionnalité entre les sections de la production sociale, nos théoriciens de malheur, qui veulent « se détourner » de la consommation, touchent en réalité la question de la consommation. Car il s’agit de la proportionnalité entre la section qui produit les moyens de production et la section qui produit les objets de consommation. Comment, dans de telles conditions, la proportionnalité entre les branches de la production, indépendamment de la consommation, est-elle possible ? Elle est impossible.
La production capitaliste n’a pas pour but la satisfaction des besoins de la société. Elle est la production de la plus-value dans le but d’augmenter la valeur du capital, dans le p. 245but de produire une masse encore plus grande de plus-value. Et dans ce sens la production capitaliste est une production pour la production.
La production du capitaliste normal est de la production pour la production. (Marx : Histoire des doctrines économiques, t. 2, p. 154. Edit. Costes.)
C’est précisément en cela que s’exprime la tendance du capital à l’accumulation illimitée.
Mais du fait qu’est caractéristique pour le capitalisme la tendance à une production illimitée pour la production, il ne s’ensuit nullement que cette tendance puisse se réaliser à l’infini et sans obstacles. C’est seulement dans les fantaisies des apologistes bourgeois du genre de Tougan-Baranovski, qui nient les contradictions du capitalisme, que la production capitaliste peut croître à l’infini et indépendamment de l’état de la consommation des masses. En réalité la croissance de la production doit se heurter aux étroites limites de la consommation des masses.
Cela découle de la contradiction fondamentale du capitalisme entre le caractère social de la production et l’appropriation capitaliste — contradiction qui rend impossible une proportionnalité constante entre les branches de la production et qui conditionne le retard de la consommation sur la production.
En fin de compte, la consommation productive (consommation des moyens de production) est toujours liée avec la consommation personnelle, dépend toujours de celle-ci. Cependant, pour le capitalisme, sont caractéristiques, d’une part, la tendance à un élargissement illimité de l’accumulation et de la production, et, d’autre part, la prolétarisation des masses populaires qui mettent des limites assez étroites à l’élargissement de la consommation personnelle. (Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 400, édition russe.)
C’est pourquoi une accumulation ininterrompue et croissante à l’infini est impossible en régime capitaliste. Mais, cela ne signifie pas qu’en régime capitaliste il existe une surproduction systématique, constante, — cette dernière a lieu seulement périodiquement sous la forme de crises industrielles. Nous étudierons dans le chapitre suivant pourquoi et comment cela se produit.
p. 246⁂
Ainsi la théorie marxiste-léniniste de la surproduction est la suite directe et le développement de la doctrine des contradictions du capitalisme qui découlent toutes de la contradiction fondamentale entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
La valeur scientifique de la théorie de Marx consiste dans le fait qu’elle a éclairci le procès de la reproduction et de la circulation de tout le capital social. Ensuite, la théorie de Marx a montré comment se réalise la contradiction caractéristique du capitalisme, à savoir que l’énorme croissance de la production n’est nullement accompagnée par une croissance correspondante de la consommation populaire. C’est pourquoi la théorie de Marx non seulement ne restaure pas la théorie apologétique bourgeoise… mais, au contraire, fournit une arme extrêmement forte contre cette apologétique…
La théorie de la réalisation de Marx fournit une arme extrêmement forte non seulement contre l’apologétique, mais aussi contre la critique petite-bourgeoise réactionnaire du capitalisme… Quant à la compréhension marxiste de la réalisation, elle conduit inévitablement à la reconnaissance de la progressivité historique du capitalisme (le développement des moyens de production et, par conséquent, des forces productives de la société). Par ce fait, non seulement elle ne dissimule pas, mais, au contraire, elle éclaircit le caractère historiquement temporaire du capitalisme. (Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 415-416, édition russe.)
La théorie marxiste de la reproduction, développée par Lénine, a ainsi un caractère profondément révolutionnaire. Elle montre que la croissance de la production capitaliste, qui se heurte aux étroites limites de la consommation des masses exploitées par le capitalisme, conduit à la création des prémices aussi bien objectives que subjectives de la révolution socialiste. Cette croissance crée les prémices matérielles techniques, nécessaires à la construction du socialisme et, en même temps, rend inévitable la révolte des masses innombrables contre le système capitaliste.