Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique :
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Prenons trois terrains : I, II, III, de dimensions identiques de 1 hectare, mais de fertilité différente, si bien que, les dépenses et les procédés de culture étant les mêmes, chacun d’eux donne une récolte différente. Ainsi, les locataires de ces terrains y ayant investi la somme de 100 francs chacun, le nombre d’ouvriers occupés dans chacun de ces terrains étant le même ainsi que le nombre des journées de travail faites et celui des heures par jour, le terrain I a donné 4 quintaux, le terrain II, 5 et le terrain III, 6 quintaux de blé.
Supposons que le taux moyen du profit soit de 20 %. Chacun des locataires de ces terrains ajoute à son prix de revient le profit moyen. Le prix de production de l’ensemble du blé de chaque terrain sera donc de 120 francs (100 francs de prix de revient et 20 francs de profit moyen). Mais, dans ce cas, le prix de production d’un quintal de blé du terrain I sera de 30 francs (120 : 4), du terrain II, 24 francs (120 : 5) et du terrain III, 20 francs (120 : 6).
p. 187Cependant, sur le marché, les prix du blé ne peuvent avoir des niveaux différents. Quel sera donc le niveau commun ? Si l’ensemble du blé produit (dans notre exemple, 15 quintaux) est nécessaire à la satisfaction de la demande de blé qui existe sur le marché, le taux s’établira au prix de vente du blé du plus mauvais terrain, soit 30 francs le quintal.
Voici la raison de ce phénomène. Sur les meilleurs terrains, le travail est plus productif que sur les mauvais. Toutefois, ce n’est pas ce travail plus productif qui détermine la valeur et le prix de production des produits agricoles. Si, dans l’industrie, le travail est devenu plus productif dans une entreprise donnée d’une branche que dans toutes les autres entreprises de la même branche, la valeur individuelle des marchandises de cette entreprise sera plus basse que leur valeur sociale. Le capitaliste de cette entreprise vendra ses marchandises à un prix inférieur à leur valeur sociale, mais au-dessus de leur valeur individuelle, et il obtiendra une plus-value supplémentaire ou surprofit. (Voir chapitre 4.) Mais la concurrence qu’il fait aux autres (puisqu’il vend la marchandise à des prix plus bas que les autres capitalistes) poussera ces derniers à perfectionner la production et à baisser la valeur. Si bien que finalement il y aura une baisse de la valeur sociale de toutes les marchandises de la branche donnée et le surprofit disparaîtra.
La situation est tout autre dans l’agriculture. Ici, les meilleurs terrains dans lesquels le travail est le plus productif sont en nombre limité. On ne peut pas les créer comme on peut créer une meilleure machine ou une meilleure fabrique. Justement, parce que les meilleurs terrains sont en nombre restreint et ne peuvent pas être créés, la valeur sociale du produit agricole est déterminée par la productivité du travail obtenue sur le terrain le moins bon, c’est-à-dire par le travail le moins productif. (On peut, certes, améliorer tout terrain, mais cela demande un capital supplémentaire. Or, nous considérons le cas où les investissements sont égaux pour tous les terrains.) Par conséquent, le prix du produit agricole sur le marché sera déterminé non par le prix individuel de production du meilleur ou du moyen terrain, mais par le prix de production du terrain le moins bon. Le prix du quintal de blé sera donc établi à 30 francs.
Ainsi, le locataire du terrain I vend son blé 120 francs, celui p. 188du terrain II, 150 (30 multiplié par 5) ; celui du terrain III, 180 (6 multiplié par 30). Chacun d’eux a dépensé 100 francs, mais le second a tiré un profit de 30 francs et le troisième de 60 francs de plus que le premier.
Cet excédent reste-t-il chez les locataires des terrains ? Non, les meilleurs terrains sont les plus recherchés et pour cette raison leurs propriétaires se font payer un loyer plus élevé. Le capitaliste qui a loué la terre reçoit seulement le profit moyen. Et l’excédent qu’il touche, il est obligé de le verser au propriétaire foncier sous forme de rente.
Pour plus de clarté, nous représenterons cet exemple sous la forme du tableau que voici :
Terrains | Capi taux enga gés, en francs |
Ré colte en quin taux par hec tare |
Prix de produc tion (20 % taux moyen du profit) |
Prix indi viduel de produc tion d’un quintal, en francs |
Prix social de produc tion d’un quintal |
Prix social de produc tion de toute la récolte |
Rente |
I | 100 | 4 | 120 | 30 | 30 | 120 | — |
II | 100 | 5 | 120 | 24 | 30 | 150 | 30 |
III | 100 | 6 | 120 | 20 | 30 | 180 | 60 |
On voit donc que la rente n’est pas une somme déduite du profit moyen du locataire de la terre, mais l’excédent sur son profit moyen. Le fait que le locataire de la terre paie la rente ne porte pas atteinte à ses intérêts de capitaliste. Bien entendu, la rente n’est pas créée par la terre, mais par le travail des ouvriers salariés puisque le travail des ouvriers sur différents terrains a une productivité différente, et c’est pourquoi il donne aussi des quantités de plus-value différentes. La rente provenant de la différence entre le prix social de production des produits agricoles et leur prix de production individuel (et cette différence est conditionnée par les différences dans la productivité du travail) s’appelle la rente différentielle.
Ce n’est pas la terre, mais le travail qui crée la rente. La différence dans la fertilité du sol est la condition des différences dans la productivité du travail. C’est pourquoi il semble que la rente est créée par la terre et non par le travail. Étant au fond une forme de la plus-value, la rente se présente comme un produit de la terre, de même que le profit paraît engendré par l’ensemble du capital.