Dominique Meeùs
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Critique de la théorie réformiste de l’accumulation capitaliste

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Lorsque, au 19e siècle, s’accentua la lutte de classe, lorsque la doctrine de Marx commença à gagner la classe ouvrière et lorsque s’accrut la force d’organisation du prolétariat, la bourgeoisie fut contrainte de consentir quelques mesures d’assurance sociale, de protection du travail, etc. Ce faisant, la bourgeoisie cherchait à endiguer le mouvement révolutionnaire en jetant quelques aumônes à la classe ouvrière. Il surgit alors un grand nombre de savants bourgeois qui se sont attachés à démontrer de mille manières que l’on peut, par des réformes, améliorer la situation de la classe ouvrière dans le cadre du régime capitaliste.

Le propagateur de cette influence bourgeoise dans la classe ouvrière fut le réformisme dont le fondateur théorique, Bernstein, prit, à la fin du siècle dernier, position contre la théorie marxiste de la paupérisation des masses. Bernstein affirmait que les différences de situation entre la bourgeoisie et le prolétariat diminuent, que la part de la classe ouvrière dans le total du revenu national grandit avec le développement du capitalisme. Donc, il ne faut pas de révolution ; on peut, par des réformes graduelles, arriver à améliorer d’une façon radicale la situation de la classe ouvrière, en régime capitaliste.

Les théoriciens social-démocrates contemporains nient l’inéluctabilité du chômage et de la misère en régime capitaliste. Ainsi, Braunthal, que nous avons déjà rencontré plus haut, écrit :

En somme, parallèlement à la croissance de l’offre de main-d’œuvre, la demande grandit aussi en proportion.

Mais dès l’instant que l’on peut abolir le chômage, la misère et la famine en régime capitaliste, à quoi bon le socialisme ? Il est totalement inutile.

Kautsky, qui avait pris position contre Bernstein (et qui d’ailleurs déclare aujourd’hui que cette position inconséquente contre Bernstein fut une erreur) affirmait que la situation de la classe ouvrière en régime capitaliste s’aggravait relativement, mais non absolument. Il se basait sur la croissance des salaires à la fin du 19e siècle. La part du salaire dans l’ensemble du revenu national tombe, soit, mais p. 141sa grandeur absolue monte ; il augmente plus lentement que les revenus des capitalistes, oui, mais il augmente tout de même. La situation de la classe ouvrière s’améliore d’une façon absolue, mais le fossé entre le prolétariat et la bourgeoisie augmente. D’après Kautsky, la classe ouvrière s’appauvrit non d’une façon absolue mais d’une façon relative.

Par sa théorie de l’appauvrissement relatif, Kautsky, déjà avant la guerre, était, au fond, arrivé au même point de vue réformiste que Bernstein. Car si le capitalisme peut assurer l’amélioration absolue de la situation de la classe ouvrière, ce n’est donc plus le marxisme révolutionnaire, mais le réformisme qui a finalement raison. Certes les revenus des capitalistes s’accroissent plus vite que ceux des ouvriers, mais du moment que les revenus ouvriers croissent, la classe ouvrière doit-elle s’occuper des revenus capitalistes qui augmentent à un rythme plus accéléré ? Bien au contraire, l’accroissement des revenus capitalistes est la condition de la croissance des salaires. Il ne faut pas renverser le capitalisme, on peut arriver par des réformes à améliorer peu à peu la situation de la classe ouvrière dans le cadre du régime capitaliste. Telle est la conclusion qui découle en toute logique de la théorie de l’appauvrissement relatif. Cette théorie de Kautsky est en réalité la négation de l’appauvrissement en général. Et ce n’est pas par hasard qu’aujourd’hui Kautsky nie même l’appauvrissement relatif de la classe ouvrière. Dans ses derniers ouvrages, il affirme catégoriquement que le capitalisme est intéressé au relèvement du bien-être matériel et culturel de la classe ouvrière. Ce n’est pas par hasard que Kautsky est aujourd’hui un des défenseurs les plus farouches du capitalisme et un ennemi acharné de l’Union soviétique.

Cette théorie réformiste qui nie l’appauvrissement absolu de la classe ouvrière en régime capitaliste a trouvé sa répercussion dans la théorie et dans la pratique de l’opportunisme. Ainsi, le camarade Boukharine croyait que, dans les pays impérialistes, la situation de la classe ouvrière s’améliorait, seulement aux dépens des colonies. D’après Boukharine, l’appauvrissement absolu se produit à l’échelle mondiale, mais dans les principaux pays capitalistes, le prolétariat ne s’appauvrit que d’une façon relative. On rencontre parfois l’opinion que, dans les pays capitalistes, l’appauvrissement absolu de la classe ouvrière n’a commencé que depuis la fin de la guerre, ou tout au moins depuis p. 142la période impérialiste, mais qu’avant la guerre ou avant la période de l’impérialisme, au 19e siècle, il n’y avait qu’un appauvrissement relatif.

Au fond, toutes ces conceptions constituent, sous une forme ou l’autre, une justification de la théorie de Kautsky de l’appauvrissement relatif. En raison de l’importance décisive de cette question pour déterminer les objectifs et les tâches de la lutte de classe du prolétariat, il nous faut l’étudier en détail.

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