Dominique Meeùs
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Le mouvement du salaire

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Nous avons étudié les conditions dans lesquelles a lieu l’augmentation des salaires et sa signification réelle. La tendance fondamentale du développement capitaliste c’est la baisse des salaires au-dessous de la valeur de la force de travail. Voyons maintenant le mouvement des salaires eux-mêmes : subissent-ils un relèvement ou une baisse avec le développement du capitalisme ?

Les données statistiques relatives au mouvement des salaires sont rares et celles qui existent reflètent inexactement le mouvement véritable des salaires. Jusqu’à la fin du 19e siècle, il n’y avait pas de statistique systématique des salaires ; les données se rapportant au 19e siècle portent un caractère fragmentaire et fortuit. Depuis la fin du siècle passé, il existe une statistique plus ou moins régulière des salaires, mais c’est une statistique bourgeoise. La bourgeoisie a intérêt à embellir la situation de la classe ouvrière et pour cette raison, la statistique bourgeoise est faite de manière à présenter le niveau des salaires sous le jour le plus favorable.

Dans la plupart des pays capitalistes, les statistiques officielles enregistrent principalement le salaire des couches ouvrières les mieux rétribuées. Il en est de même de la statistique des syndicats qui, dans les pays capitalistes, groupent la minorité la mieux rémunérée de la classe ouvrière. Le mouvement des salaires des grandes couches ouvrières les moins bien payées reste en marge de la statistique.

Dans la plupart des cas, la statistique enregistre le salaire selon les tarifs. Or, le salaire réel est souvent au-dessous du taux officiel, surtout quand l’ouvrier fait la semaine incomplète ou quand il est pendant une partie de l’année totalement privé de travail. Comme la statistique montre seulement le salaire que l’ouvrier touche pendant qu’il travaille, sans faire entrer en ligne de compte le chômage, le tableau obtenu accuse un niveau des salaires plus élevé. Ainsi, en Angleterre, d’après les données officielles, le salaire moyen nominal s’est accru de 85 %, de 1900 à 1929. Ceci sans tenir compte du chômage. Mais, si l’on tient compte que pendant cette période, le chômage s’est accru de 2,5 à 10,6 %, on comprend que l’augmentation véritable des salaires nominaux est non de 85 %, mais de 69,6 %.

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La statistique bourgeoise se spécialise surtout dans la falsification des données relatives aux salaires réels, c’est-à-dire aux salaires exprimés en moyens d’existence de la classe ouvrière. Cependant elle ne parvient pas à dissimuler la baisse des salaires. Ainsi on verra qu’en Angleterre, si l’on tient compte de la hausse des prix des objets de première nécessité, le salaire réel, pendant la période 1900-1929, loin d’augmenter, a baissé de 5,7 %.

Ces réserves concernant la statistique bourgeoise des salaires doivent être prises en considération lors de l’étude des données suivantes concernant les salaires.

Pour la deuxième moitié du 19e siècle, la statistique accuse un bilan d’augmentation des salaires.

En Allemagne, le salaire journalier nominal des mineurs de la Ruhr s’est accru de 72 % entre 1871 et 1900 ; le salaire horaire des maçons de la ville de Dresde, de 105 % ; le salaire hebdomadaire des imprimeurs de Berlin est resté sans changement. Toutes ces données sans considérer le chômage. Pendant cette période, les prix des moyens d’existence ont évolué d’une façon inégale, le prix du blé a baissé, celui des pommes de terre est resté invariable, la viande a subi une hausse de 30 %, le loyer s’est accru rapidement. Si bien qu’il faut admettre que le salaire réel a beaucoup moins augmenté que le salaire nominal.

Mais, d’autre part, l’intensité du travail a subi un relèvement considérable. Ainsi, la production annuelle de fonte par ouvrier était, en 1812, de 100 tonnes ; en 1901, de 254 tonnes, soit un accroissement de 154 %. Une partie de cet accroissement doit être attribuée à l’augmentation de la productivité, une partie à l’augmentation de l’intensité du travail. L’industrie textile accuse aussi une augmentation dans l’intensité du travail : en 1865, il y avait, dans l’industrie cotonnière, pour 1 000 fuseaux, 13 ouvriers ; en 1895, 6,3 ouvriers. En 1870, un ouvrier desservait un métier à tisser, en 1901 déjà de 2 à 4 métiers.

L’augmentation des salaires qui a eu lieu, d’après les données officielles, dans le deuxième tiers du 19e siècle, a été achetée au prix de l’augmentation de l’intensité du travail. Si l’on considère que ces données sont exagérées et qu’elles n’englobent pas toute la classe ouvrière, il faut conclure que la situation de la classe ouvrière, loin de s’améliorer, a subi une aggravation absolue.

D’après les calculs de l’économiste bourgeois Sombart, en p. 148Angleterre, le salaire réel a augmenté de 32 % de 1870 à 1899 et d’après les données d’un autre économiste bourgeois, le professeur Bowley, ce salaire aurait subi une hausse de 66 %. Cette différence considérable montre la qualité de la statistique bourgeoise des salaires. Quelle a été la portée véritable de cette augmentation des salaires ? La croissance de l’intensité du travail le montre encore une fois. En Angleterre, en 1850, il y avait 7,5 ouvriers pour mille fuseaux, et, en 1885, 3 ouvriers seulement.

Engels, qui a vécu en Angleterre et qui a étudié de la façon la plus minutieuse la situation de la classe ouvrière anglaise, a écrit, en 1845, son livre la Situation des classes laborieuses en Angleterre, dans lequel il a brossé le tableau de la misère effroyable dans laquelle végétait la classe ouvrière anglaise. Quarante années après, en 1885, dans la préface à une nouvelle édition du livre, Engels écrit que, au cours de ces quarante ans, il s’est produit une amélioration de la situation des couches supérieures seulement de la classe ouvrière, de l’aristocratie ouvrière.

Mais en ce qui touche la grande masse des ouvriers, le niveau de leur misère et de leur insécurité d’existence reste aujourd’hui, pour eux, aussi bas si ce n’est plus bas que jamais. (F. Engels : la Situation des classes laborieuses en Angleterre, tome 1, p. 32. Édition Costes, Paris, 1933.)

Au 20e siècle, le capitalisme étant entré dans son stade suprême, l’impérialisme, même les économistes et les statisticiens bourgeois constatent une baisse générale des salaires. Cette baisse est due d’une part à la hausse des prix des moyens de subsistance provoquée par les monopoles, et, de l’autre, à l’offensive organisée du patronat contre les salaires. Ainsi, en Allemagne, le salaire réel des mineurs de la Ruhr (le chômage n’entrant pas en ligne de compte) a baissé de 18,5 % de 1900 à 1912, ceci aux années du plus grand essor de l’industrie allemande. Pendant la période 1913-1922, le salaire réel des ouvriers qualifiés (le chômage entrant en ligne de compte) a baissé de 13 % et celui des ouvriers non qualifiés est monté de 1,5 %. En considérant que pendant cette période eut lieu la guerre mondiale, qui a provoqué une baisse énorme du niveau de vie de la classe ouvrière ainsi que la rationalisation avec son gaspillage de la force de travail et le chômage, on comprendra que p. 149le 20e siècle marque une aggravation croissante de la situation de la classe ouvrière.

En Angleterre, le salaire réel a baissé de 5,7 % de 1900 à 1929. En France, de 17,8 % de 1911 à 1929. Aux États-Unis, entre 1914 et 1928, les salaires sont montés de 24 %. Mais pour savoir ce que vaut cette augmentation des salaires, il faut savoir qu’en 1928 le salaire moyen de l’ouvrier américain consistait en 56 % de ce qu’il fallait pour l’existence d’une famille ouvrière.

La baisse des salaires, la plus forte, sans précédent dans l’histoire du capitalisme a lieu depuis la crise économique mondiale. La baisse du niveau de vie de la classe ouvrière dans tous les pays capitalistes a pris des dimensions catastrophiques.

Le total des salaires payés en Allemagne était en 1929 de 45 milliards et en 1933 de 35 milliards de marks. Aux États-Unis, de 53 milliards de dollars en 1929 et en 1932 de 28 milliards seulement. Cette baisse énorme est observée dans tous les pays capitalistes.

Au cours des années 1933-34, en dépit de l’accroissement de la production par rapport à 1932, il ne s’est pas produit d’accroissement notable des salaires. Dans une série de pays, les salaires n’ont pas du tout augmenté au cours de ces derniers 2-3 ans. D’autre part, la situation de la classe ouvrière a extraordinairement empiré dans les pays à dictature fasciste, surtout en Allemagne, où le salaire horaire réel a diminué de 19 % par rapport à 1932. Le salaire moyen de la majorité des ouvriers allemands se rapproche du montant des secours que touchaient les chômeurs avant l’arrivée du fascisme au pouvoir.

Parallèlement à la baisse des salaires on constate une augmentation de l’intensité du travail. Le chômage englobe des dizaines de millions d’hommes. La misère, la famine, le froid, les maladies, la mortalité, les suicides, tel est le dernier mot du capitalisme, qui confirme avec éclat la loi générale de l’accumulation capitaliste.

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