Dominique Meeùs
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Louis Ségal, Principes d’économie politique :
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Au commencement de ce système, le travail des esclaves était relativement peu employé. À côté des familles qui utilisaient cette main-d’œuvre, il y en avait beaucoup qui se contentaient de leur propre force de travail familial. Mais par suite du développement du troc et de l’apparition de l’argent, les petites exploitations furent évincées par les grandes qui employaient la main-d’œuvre des esclaves. Voici comment s’opéra ce procès.
L’accroissement de la division du travail et de l’échange fit naître le commerce et une classe de commerçants qui achètent et vendent les marchandises. C’était, comme le dit Engels, « la troisième division du travail d’une importance capitale » (F. Engels : l’Origine…, p. 216.). Les marchands, mettant à profit l’isolement des petits producteurs du marché, achetaient les marchandises à bas prix et les revendaient à un prix élevé. Ils exploitaient, de la sorte, les producteurs et les consommateurs. D’autre part, la croissance de la production marchande et de la circulation monétaire eut pour résultat qu’ « après l’achat de marchandises pour de l’argent, vinrent les prêts, et avec ceux-ci les intérêts et l’usure ». (F. Engels : l’Origine…, p. 218.)
Le capital usuraire enchaîne les petits producteurs — les paysans et les artisans — par les dettes et les asservit. Dans l’ancienne Grèce, et à Rome, la plupart des petits producteurs tombèrent, dans un laps de temps relativement p. 15court, dans la servitude des usuriers. La lutte entre les usuriers et leurs débiteurs a été la principale forme de lutte de classe dans la population libre.
La lutte des classes dans l’Antiquité par exemple se déroule principalement sous la forme d’une lutte entre créanciers et débiteurs et prend fin à Rome avec la disparition du débiteur plébéien, remplacé par l’esclave.
Cette lutte aboutit à la ruine des petits producteurs et à leur transformation en prolétaires. Mais dans l’ancienne Rome, ce n’étaient pas des prolétaires dans le sens moderne du mot, ce n’étaient pas des ouvriers. C’était tout simplement une foule d’indigents. Les terres des paysans ruinés étaient accaparées par les gros propriétaires fonciers qui, à l’aide du travail généralisé des esclaves, créaient des grandes exploitations, dites latifundia, d’élevage, d’agriculture et d’horticulture. Dans les ateliers d’artisans, qui étaient parfois assez considérables, le travail des esclaves était de plus en plus employé. Dans les mines, dans les grands chantiers, dans la construction de routes, dans les galères à rames, partout travaillaient les esclaves. L’esclavage était la base de toute la production. Le nombre des esclaves dépassait de plusieurs fois celui de la population libre. Ainsi, à Athènes, il y avait, pour 90 000 habitants libres 365 000 esclaves, à Corinthe pour 46 000 hommes libres, 460 000 esclaves.
C’est ainsi qu’avec l’extension du commerce, avec l’argent et l’usure, avec la propriété foncière et l’hypothèque, la concentration et la centralisation de la richesse dans les mains d’une classe peu nombreuse s’opéra progrès rapidement, en même temps que l’appauvrissement croissant des masses et l’augmentation de la foule des pauvres. […] Et à côté de cette division des hommes libres en classes selon leur fortune, il se produisit, surtout en Grèce, une énorme augmentation du nombre des esclaves, dont le travail forcé formait la base sur laquelle s’élevait la superstructure de toute la société.
L’esclave était la propriété complète de son maître qui pouvait en disposer comme du bétail. Les esclaves étaient dénués des droits civiques les plus élémentaires et leurs maîtres pouvaient les tuer impunément. Il est évident que, dans ces conditions, il fallait recourir à la contrainte ouverte pour les obliger à travailler. L’atroce exploitation des esclaves p. 16était la cause de leur rapide usure ; inaptes au travail ils étaient mis à mort. Pour remplacer les morts et pour élargir la production, il fallait un afflux incessant des esclaves. On se les procurait par les guerres, que les États esclavagistes menèrent d’une façon presque ininterrompue.
L’exploitation accentuée des esclaves amena des révoltes dont la plus considérable fut celle dirigée par Spartacus l’an 77 avant notre ère. Mais elles se terminèrent par des défaites.
L’esclavage a été une étape nécessaire dans le développement de la société humaine. Dans les conditions de la décomposition de la communauté primitive, l’esclavage est devenu la seule base du développement social.
[…] l’introduction de l’esclavage dans les circonstances d’alors était un grand progrès. C’est un fait établi que l’humanité a commencé par l’animal, et qu’elle a donc eu besoin de moyens barbares, presque animaux, pour se dépêtrer de la barbarie.
Le travail manuel était la base de la production. La grande production n’était pas possible sans l’emploi, à une vaste échelle, du travail des esclaves. L’esclavage a rendu possible une division plus grande du travail entre le métier et l’agriculture. Il a permis la construction des grands édifices de l’antiquité, de la navigation et de l’industrie d’extraction. Sans l’esclavage, les sciences et les arts (les mathématiques, la mécanique, l’astronomie, la géographie, la sculpture et les beaux-arts) n’eussent pu atteindre le niveau relativement élevé où ils étaient dans le monde antique.
Le développement des forces productives ne profitait qu’à une poignée d’exploiteurs ; pour la masse des esclaves, il signifiait des souffrances et des privations incroyables. Mais telle est en général la loi du développement des forces productives dans la société divisée en classes.
Comme le fondement de la civilisation est l’exploitation d’une classe par une autre classe, tout son développement se meut dans une contradiction permanente. Chaque progrès de la production marque en même temps un recul dans la situation de la classe opprimée, c’est-à-dire de la grande majorité. Ce qui est pour les uns un bienfait est nécessairement un mal pour les autres, chaque libération nouvelle de l’une des classes est une oppression nouvelle pour une autre classe. p. 17L’introduction du machinisme, dont les effets sont universellement connus aujourd’hui, en fournit la preuve la plus frappante.
L’esclavage a été une forme sociale nécessaire du développement des forces productives à un stade déterminé de l’histoire. Ce développement fut à son tour la cause de la décadence de ce régime.
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