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Un crime non reconnu : le viol

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En 1976, les féministes belges se mobilisent contre la méconnaissance de la question du viol et la façon arbitraire dont elle est souvent traitée. Non seulement par l’appareil judiciaire mais par tout un chacun, y compris les femmes : « Il est frappant de constater les idées fausses qui se baladent dans la tête des gens au sujet du viol : si les femmes sont violées, c’est qu’elles sont provocantes, soit par leur attitude, soit par leurs vêtements, ou bien c’est parce qu’elles prennent des risques en sortant seules le soir, en faisant du stop, etc.8 »

En janvier 76, le Grif organise une réunion dans son nouveau local, 14, rue du Musée. Annie Luciani y participe avec Eliana, une étudiante brésilienne, dont elle est l’avocate. Prise en auto-stop en plein jour, place Meiser, à Bruxelles, Eliana est entraînée dans un bois sous la menace d’un revolver, frappée, attachée à un arbre, et finalement agressée au moyen d’un bâton. Or, comme ce fut déjà le cas lors du viol tristement célèbre de deux femmes belges dans un camping près de Marseille9, il est question de ramener le crime à la qualification de « coups et blessures ». Et ce d’autant plus facilement que la loi belge ne qualifie de viol que l’agression sexuelle proprement dite.

Entraînées par les animatrices du WOE, quelques femmes vont à Charleroi pour assister à l’audience. À l’issue de celle-ci, Lydia Horton discute avec le procureur du Roi qui se dit frappé par les arguments, nouveaux pour lui. Cet épisode va être le moteur de la prise en charge de la question du viol par les féministes.

« Le groupe se donne trois objectifs : 1. Faire une percée féministe en dénonçant ce type de sexisme particulièrement odieux. 2. Faire rendre justice, même si les femmes ont un crédit très limité dans l’institution. 3. Aider les femmes, victimes ou victimes en puissance10. »

Des femmes violées viennent témoigner de ce qui leur est arrivé : les circonstances, le choc, l’incompréhension de la police, parfois de la famille, la peur. Elles témoignent, si elles le veulent bien, devant le groupe réuni, afin que journalistes, juristes, assistantes sociales et femmes sympathisantes se rendent compte de toute la dimension de l’événement subi et les entourent de leur compréhension.

Pour les féministes, se pose néanmoins le problème de la répression. Dans l’optique du refus de la société telle qu’elle est, demander l’aide du pouvoir judiciaire apparaît comme une sorte de trahison. Certaines vont jusqu’à imaginer une répression directe : castrer le violeur, épingler le récit de son forfait sur sa porte. Plus raisonnablement, on cherche à concilier dénonciation du crime et aménagement de la répression : « Il serait inadmissible que les femmes, dans la recherche de leurs droits et sans s’en rendre compte même, renforcent le caractère répressif de la loi et accordent ainsi au pouvoir judiciaire un crédit extraordinaire, alors que de toute part la contestation s’élève à ce propos11. »

Cependant, la réalité des faits impose de faire appel à la justice. Par la suite, les juristes du groupe et d’autres, attentives à la prise en charge différente d’un problème longtemps occulté et tronqué, vont obliger le pouvoir judiciaire à revoir sa jurisprudence et sa loi12.

En attendant, dès qu’un procès surgit, il est attentivement suivi. Des féministes assistent à l’audience, les plaidoiries sont commentées, répercutées dans la presse féministe et notamment lors du Tribunal international des crimes contre les femmes.

Notes
8.
Anne Polsenaere : « Le groupe SOS-Viol », dans Les Cahiers du Grif : Où en sont les féministes ?, no 8, p. 23-24, décembre 1978. Par la suite, Anne assumera pendant plusieurs années l’accueil SOS-Viol au Centre Féminin. Actuellement, il a lieu au « 29 » rue Blanche.
9.
Le procès va durer quatre ans. Après une interprétation tendancieuse de la déclaration des plaignantes, le tribunal veut réduire l’affaire. « Il faudra toute la volonté, tout le sérieux de deux avocates belges (il s’agit de Marie-Thérèse Cuvelliez et Anne Kryvin) pour obtenir que cette affaire, d’abord renvoyée devant le tribunal correctionnel de Marseille sous la qualification de coups et blessures, soit renvoyée aux assises comme viol. » (Philippe Toussaint, dans Pourquoi Pas ?, mai 1978.) Aux assises d’Aix-en-Provence, la cause est défendue par Gisèle Halimi et Agnès Pichet.
10.
Voir « Lutte contre le viol », où Denise Loute expose toutes les dimensions du projet, Les Cahiers du Grif : Leur crise, nos luttes, no 16, avril 1977.
11.
Denise Loute, Bulletin de la Maison des femmes, mai 1976.
12.
Avec les juristes, le groupe démontre la nécessité de changer la définition du viol dans la loi pénale. Cette action sera principalement suivie par Jacqueline de Groote. Une proposition de loi est déposée le 23 février 1982, par Léon Remacle et Miet Smet. Elle est votée le 4 juillet 1989.
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