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Un des soucis majeurs des féministes : allier aide, réflexion et action. Pour ce qui concerne l’avortement, la chose s’impose d’emblée : l’aide répond à la nécessité, l’action vise à la suppression de la loi contre l’avortement.
Le domaine juridique exige une approche nouvelle, qui associe connaissance concrète et critique. « Tout le monde a besoin de connaissances juridiques. Les femmes autant que les hommes. Soit pour résoudre un problème particulier, soit pour être à même de prendre de bonnes décisions dans le domaine du droit4. » D’où l’appellation Information juridique qui désigne une sorte de consultation collective, un apprentissage face aux usages et aux règles juridiques. Dans la Maison des femmes, chaque mardi, de 18 à 20 heures, une juriste est présente pour les consultantes ; ensuite, réunion sur un sujet déterminé, par exemple : « Le partenaire s’en va, que faire ? »
Denise Loute, qui a créé le groupe, souligne : « Les féministes souhaitaient, dans la mesure du possible, qu’on reçoive la demandeuse à plusieurs — un peu de la même façon qu’au Groupe A. On voulait ainsi casser le rapport de demande face à la personne qui avait compétence et pouvoir. Pour la femme qui apportait son problème, c’était une démarche difficile. D’autant plus qu’on la prenait dans un engrenage de position féministe, donc d’indépendance immédiate et sans vouloir tenir compte des règles légales. De sorte que les femmes qui n’avaient pas cet état d’esprit étaient troublées et même desservies par ce genre de consultation — qui n’a d’ailleurs pas duré5. »
L’approche collective des problèmes avait un aspect militant qui se trouva plus d’une fois en contradiction avec la volonté d’accueil ouvert. Cette approche fut néanmoins très utile à deux points de vue. Elle permit aux féministes de se rendre compte des problèmes des femmes dans leur dimension concrète, de s’apercevoir, par exemple, qu’une demande en divorce ne s’improvise pas, que sa mise au point dépend beaucoup de l’avocat qui s’en occupe et que les femmes y sont défavorisées par leur méconnaissance tant de leurs droits propres que des rouages de la justice.
« Je tenais beaucoup à ces consultations, auxquelles j’avais l’occasion d’assister comme permanente de la maison, raconte Brigitte Baptista : Denise écoutait longuement, puis elle faisait comprendre à la femme ce qu’elle était en droit d’exiger. Toutes n’en étaient pas capables… par exemple de casser un carreau pour rentrer dans la maison dont le mari a changé les clés ! Des situations inimaginables. Des soumissions qui faisaient mal à entendre. Il a fallu cette écoute pour se rendre compte qu’il y avait plein de problèmes cachés. C’était tabou. Mais ici, les femmes ont osé parler6. »
Après un an de fonctionnement, Denise Loute fait le point : « La consultation juridique se révèle plus comme un partage de connaissances entre femmes que comme une véritable information juridique, plus comme une assurance et une conviction mutuelle que comme une sécurité technique, plus comme une recherche de solutions en liaison avec toute la prise de conscience féministe que l’application d’un code qui peut d’ailleurs être en contradiction avec la visée d’une société égalitaire7. »
Cette définition de l’approche à la fois pragmatique, collective et critique des problèmes juridiques s’applique à la façon dont le problème du viol et de la violence sexuelle est pris en charge au moment où il apparaît de façon dramatique.