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Du Groupe A à Médecine-Femmes

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Le but du Groupe A est double : souligner le manque scandaleux d’une loi qui libère l’avortement ; aider les femmes à prendre leur problème en charge, les soutenir dans leur démarche.

Par son fonctionnement, qui précède la constitution de la maison, mais surtout par la gravité et l’importance de son action, le Groupe A est central. Son local est le plus éclairé, le plus joyeux, il est le cœur de la maison.

Plusieurs femmes qui y collaborent sont parmi celles qui s’investissent le plus, souhaitant que la maison soit par elle-même un soutien pour les femmes qui font une démarche difficile. De son côté, la maison assure occasionnellement l’accueil (pendant que la permanente accompagne la demandeuse en Hollande). Car dans cette période où la société, y compris médicale, avait pris comme attitude de nier le problème, il fallait tout improviser. « Nous ne sommes pas des spécialistes (médecins, psychologues, assistantes sociales, conseillères conjugales) mais des femmes pareilles à celles qui s’adresseront à nous, qui simplement avons réfléchi depuis des années, seules ou en groupe, à notre vie de femmes. » Toutes ces compétences s’apprennent par la pratique, à travers des réunions d’évaluation et le souhait, quand la chose est possible, d’être à deux pour recevoir la femme concernée. « Nous avons voulu le Groupe A dans la Maison des femmes, afin que les femmes qui viennent puissent se retrouver avec d’autres, soit pour participer aux groupes de réflexion, soit pour participer aux activités, soit pour se trouver tout simplement bien dans la chaleur et l’amitié d’autres femmes11. »

L’expérience a montré — et ceci dans divers domaines — que les femmes arrivent souvent traumatisées par leur démarche et ne souhaitent pas prendre contact avec la maison, même pas pour une tasse de café. La plupart des demandeuses n’allaient pas se sentir la force ni l’envie de rejoindre le combat, du moins dans l’immédiat, même si certaines venaient remercier pour l’aide reçue.

Pour réaliser une tâche si neuve et si délicate, le Groupe A forme une équipe exceptionnelle. « Le but créait l’unisson, dit Catherine Weill. Si nous avions été un groupe de discussion d’idées, nous nous serions affrontées, car il y avait de grosses différences à ce niveau. Nous fondions en même temps le groupe et la maison, l’effort commun gommait les différences. Chacune est à l’écoute de l’autre, personne ne veut dominer ni avoir raison toute seule. Cette expérience demeure fondamentale, elle me sert encore pour ma vie actuelle12. »

Dès lors que se créent en Belgique des lieux vers lesquels on peut orienter les femmes, la tâche du Groupe A s’en trouve modifiée. Joint à l’accueil, un examen gynécologique réalisé sur place va permettre de préciser et d’orienter la demande.

Ainsi naît Médecine-Femmes. « Nous étions installées dans la cave, raconte la gynécologue Jeannie Bruyns : plus artisanal que ça tu meurs ! On avait repeint les murs en blanc et installé une vieille table de gynéco. Avec des affiches au mur, on avait réussi à en faire quelque chose de clair et de riant. Il y venait à la fois les femmes du quartier et des femmes intellectuelles, habituées de la maison. Nous avons tout de suite été confrontées aux problèmes de contraception et d’avortement des femmes turques, à celui des jeunes filles immigrées : est-ce que je puis oser ? est-ce qu’on va me marier de force13 ? »

Pour les femmes de la maison, c’est l’occasion de connaître une approche gynécologique différente. « Dans une optique féministe de prise en charge de nous-mêmes, nous voulons arriver à mieux connaître notre corps […], nous souhaitons aussi briser un certain isolement (tabou ?) en essayant d’aborder les problèmes plus collectivement, dans des réunions sur l’un ou l’autre problème que l’une d’entre nous aurait amené : contraception, ménopause… Une amie médecin participera à ces réunions14. » C’est en toute simplicité que celles qui le souhaitent subissent un examen médical, parmi les étonnements et les rires, mais dans ce but toujours recherché à l’époque : apprendre à travers le concret de la vie, apprendre l’une par l’autre.

En 1976 encore, et en préparation de la Journée du 11 novembre, le Groupe A propose à la Maison des femmes de participer à la rédaction d’un livre blanc de l’avortement. La brochure s’intitule Avortement, les femmes décident (Groupe A) (ce sera le slogan de la Journée « F »). C’est l’occasion de confronter les expériences, de rassembler des témoignages. Y participent les habituées de la Maison, mais aussi des visiteuses occasionnelles dont le point de vue, parfois différent, vient creuser la réflexion. « Ce travail en commun était stimulant, à la fois confiant et exigeant : on pouvait tout dire, se montrer entièrement sincère. C’est inoubliable », conclut Catherine Weill15. Au-delà de la revendication pour la liberté de l’avortement, s’affirme le droit d’avoir et de ne pas avoir des enfants. Et l’exigence de la poursuite de la recherche médicale au sujet des moyens contraceptifs.

Notes
11.
Bulletin de la Maison des femmes, avril 1975. La Maison des femmes publie un bulletin mensuel. Il contient des nouvelles de la maison, un calendrier, des articles, parfois une discussion prolongée sur un point problématique. Cinq cents, puis huit cent cinquante femmes y sont abonnées.
12.
Interview, février 1992.
13.
Interview, décembre 1991.
14.
Présentation du projet dans le Bulletin de la Maison des femmes, janvier 1976.
15.
Interview, février 1992.
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