retour à la table des matières — à l’index
Nés par rencontres et affinités, les groupes féministes francophones sont à la fois très affirmés et peu structurés. Du côté néerlandophone, les différentes tendances sont réunies, depuis mars 1972, sous l’appellation Vrouwen Overleg Komitee, ce qui facilite les décisions rapides. Les groupes À travail égal, salaire égal et La Porte Ouverte sont nationaux ; plusieurs femmes connaissent les deux langues et il n’y aura guère de difficultés de ce côté. Au contraire, les femmes se font un point d’honneur de ne pas s’embarrasser des questions linguistiques. Toutefois — et ceci apparaîtra peu à peu —, les unes et les autres n’ont pas la même sensibilité politique, pas les mêmes stratégies, elles n’attachent pas la même importance à certains aspects qui font la coloration d’une telle journée.
Or, il s’agit de s’accorder pour mettre sur pied en un temps record une organisation dont personne n’a l’expérience. Première décision : retenir un local. On avait tout naturellement pensé à la Madeleine. La salle était-elle déjà prise, ou pas assez spacieuse ? Toujours est-il que Lily Boeykens obtient du Crédit Communal la disposition de l’auditorium du Passage 44. Pour certaines, adeptes de la contre-culture, la chose paraît inacceptable : des locaux ultra-bourgeois, dans une galerie marchande, et dont on serait redevables à une banque ! (Que celle-ci soit publique n’est pas une excuse.)
On cherche fébrilement du côté des écoles de la ville, sans résultat. On songe à une usine désaffectée à Schaerbeek, où Armand Gatti présente sa pièce La colonne Durutti. « Pauvres ouvrières : les replonger pendant le week-end dans une usine plus sordide que celle où elles passent la semaine ! », soupire Nina Ariel, lassée par ces susceptibilités de la gauche intellectuelle. Faute de trouver une alternative, on accepte de mauvais gré l’auditorium du Passage 44.
Toute aide privée, toute sponsorisation commerciale est écartée d’emblée aussi bien du côté flamand que français. Lily Boeykens, gestionnaire de l’aventure et décidée à la réussir coûte que coûte, la cautionne en avançant les fonds nécessaires pour annoncer l’événement. D’autres femmes et groupes apportent une participation financière. Pour le reste, et du côté francophone surtout, on table sur l’enthousiasme militant, l’imagination, le bon droit. C’est l’aspect concret de l’utopie de l’époque : ce qu’on veut et qu’on croit juste, on le réussit.
Heureusement, le mécénat accordé par le Crédit Communal réduit notoirement les frais. Par ailleurs, chaque groupe diffuse l’information et assume sa part dans la décoration des salles. La vente d’autocollants, les entrées payantes, des collectes faites dans la salle (des chapeaux étaient prévus à cet égard) constituent la recette.
Les cartes d’entrée se sont très vite avérées impraticables, car les gens s’avançaient en un flot continu, contournant la table d’inscription. Quant aux vignettes autocollantes, elles n’ont pas rapporté la somme escomptée pour diverses raisons, dont — il faut bien l’avouer — le refus d’une partie des groupes francophones de répandre à travers celles-ci une image dont le féminisme se montrait plus que discret. Les Marie Mineur fabriquèrent en hâte une étiquette reproduisant le symbole international du mouvement qu’il leur semblait primordial de diffuser. Tandis que d’autres, mais surtout des néerlandophones, croyaient plus efficace d’aborder les femmes sans les effaroucher, afin de les amener progressivement à la prise de conscience nécessaire.
Les vignettes firent les frais de ces divergences culturelles. Le manque à gagner dû à ce désaccord fut partiellement compensé par la vente du Petit Livre rouge des Femmes. La sororité fit le reste en passant l’éponge…4.