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De tous bords

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« Le néo-féminisme a un caractère foncièrement collectif : il veut être le fait de “toutes les femmes” et non de quelques individualités marquantes — même si celles-ci y jouent souvent un rôle moteur. […] Regroupement “sauvage” qui ignore ou traverse les partis, les syndicats, les mouvements d’orthodoxies diverses, les églises, les chapelles, et qui élabore non seulement ses objectifs, mais aussi sa forme d’existence de manière propre. Ce phénomène est capital. Il est même l’aspect le plus marquant du mouvement. Comme la “révolution” de Mai 68 à laquelle il s’apparente sans s’identifier, il crée une nouvelle politique et une nouvelle culture. […] Une aspiration et une certitude réunissent les féministes : elles ont à définir ensemble leurs revendications et à les faire reconnaître par des voies nouvelles puisque les voies traditionnelles sont des impasses18. »

Les étudiantes, qui ont vingt ans en 1970, ont grandi avec le droit de vote. Elles n’ont pas connu la polémique de l’avant-guerre sur le droit des femmes mariées à exercer un emploi. Leur sentiment est que les choses ne changent pas assez vite, et que les stratégies choisies par les associations traditionnelles sont un échec.

Dans les groupes, se retrouvent aussi des femmes qui ont fait le détour par le militantisme politique. Leur présence est précieuse : elles savent rédiger un tract, conduire une réunion, organiser une manifestation. Elles connaissent les pièges à éviter et les obligations légales à respecter. Même issues de la gauche, elles sont bien décidées à donner la priorité au féminisme.

Tout autre est l’optique de certaines militantes d’extrême gauche. Leur projet : assurer la présence de leur groupement, être actives sur ce front qui apparaît comme important, populaire et dynamique… Veiller à faire passer « des idées justes », à faire le lien avec la lutte des classes, à éviter les pièges du féminisme bourgeois… Minoritaires, elles n’en suscitent pas moins de nombreux débats idéologiques.

« On a perdu énormément de temps à se demander à chaque fois si ce qu’on proposait était réformiste ou révolutionnaire… Cela me faisait mal au ventre19. »

Bien d’autres catégories de femmes se joignent au mouvement. Femmes plus âgées qui ont éprouvé dans leur vie la difficulté de mener de pair leur carrière et leur vie familiale, femmes au foyer qui ont perçu les limites de leur rôle, jeunes mères de famille courant du bureau à la crèche et de la crèche à la maison sans pouvoir vraiment compter sur l’aide de leur compagnon, femmes cadres ou responsables politiques dont la promotion est barrée en raison de leur sexe, femmes seules confrontées aux discriminations, mais aussi à l’isolement, etc.

Sur le plan familial, la diversité est complète. Sur le plan social — exception faite des Marie Mineur —, la participation reste limitée aux intellectuelles et aux classes moyennes. Mais n’est-ce pas le sort de tous les mouvements d’avant-garde ? Au moins le nouveau féminisme belge a-t-il tout de suite émergé en diverses régions du pays. Au milieu des années 70, il y avait des groupes, des maisons ou des cafés de femmes dans plusieurs villes wallonnes.

Notes
18.
Françoise Collin, « Le féminisme des années 65-80 », dans le catalogue de l’exposition Vies de femmes 1830-1980, BBL 1980.
19.
Interview d’Adèle Hauwel, octobre 1991.
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