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En Flandre, les Dolle Mina

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À partir de 1970, le nouveau féminisme belge naît, grandit, s’exprime à travers une multitude de petits groupes, d’initiatives éparses sans stratégie préétablie.

Les femmes flamandes ont été les premières à se manifester, suivant l’exemple de la Hollande où les Dolle Mina sont actives depuis 1969. Nées du mouvement Provo, les Dolle Mina ont choisi comme patronyme le nom d’une ouvrière du XIXe siècle, Wilhelmina Drukker. Ayant rejoint le mouvement socialiste vers la quarantaine, celle-ci commença à s’intéresser aux inégalités entre les sexes et créa la Vrije Vrouwen Vereeniging (VVV, association des femmes libres). À la fin de sa vie, Wilhelmina Drukker estimait que le mouvement des femmes s’était fourvoyé en se concentrant sur l’obtention du droit de vote et que l’essentiel restait à faire pour changer la situation des femmes. Quarante-cinq ans plus tard, l’apparition des Dolle Mina vient prouver la justesse de cette opinion.

Dès le départ, les Dolle Mina hollandaises se distinguent par leur humour. Pour convaincre, pour montrer ce que vivent et ressentent les femmes, elles ont résolu d’inverser les rôles : draguer ouvertement les hommes, leur pincer les fesses dans la rue… La presse, toujours à l’affût du spectaculaire et de l’inhabituel, fait écho à ces happenings et disperse ainsi un peu partout les graines du féminisme.

À Gand, Rose Proesmans et Chantal De Smet se sont connues dans le mouvement étudiant. Après un contact avec les Dolle Mina hollandaises, elles décident d’organiser une réunion à Anvers et font passer une petite annonce dans les journaux. Au jour prévu, plus de soixante femmes se retrouvent entassées dans le petit appartement de Rose.

« Nous avons été surprises de ce succès. Avant, c’était le marasme. Rien ne bougeait du côté des femmes alors que le mouvement étudiant avait été fort actif. Je pense que beaucoup de femmes attendaient que quelque chose se passe4. »

Le 4 mars 1970 a lieu à Anvers la première manifestation des Dolle Mina : les voilà cigare au bec dans le hall d’une compagnie d’assurances qui interdit à ses employé-e-s, mais pas à ses employés de fumer dans les bureaux. Sur leurs calicots, les féministes revendiquent « le droit au cancer du poumon… » Avec cette action humoristique, bien relayée par la presse, les Dolle Mina gagnent d’emblée la sympathie du public, hommes et femmes mélangés.

Suivent diverses interventions en faveur des crèches, bien trop peu nombreuses. À Gand, le groupe enterre symboliquement la seule crèche communale qui vient d’être fermée pour insalubrité… Sur l’autoroute Bruxelles-Ostende, un panneau indique que la prochaine bonne crèche se trouve en Suède, à 4 500 km de là… Lors du défilé traditionnel du 1er Mai à Gand, les Dolle Mina sont là, avec une couronne mortuaire symbolisant les droits des travailleuses… (1971). À Anvers, elles distribuent des pilules dans la rue, au mépris de la loi.

Une particularité distingue les Dolle Mina des autres féministes de cette époque : la mixité.

« Le problème féminin n’est pas un problème de femmes, disent-elles, c’est un problème de société. Une société qui n’accorde pas les mêmes droits à l’homme qu’à la femme n’est pas une société démocratique5. »

Leur cœur est à gauche, leurs références aussi : elles reprennent volontiers le slogan, utilisé pour la première fois en 1909 par les ouvrières des filatures américaines en grève : « Du pain, et des roses ».

Les partis et mouvements progressistes se retrouvent au banc des accusés. « Nous en avions marre de ces organisations de femmes qui étaient liées aux prises de positions de leurs partis décidées par des bureaux unisexes. »

Les Dolle Mina publient leur première brochure à l’automne 1971 6. À partir de mars 1973, elles éditent un périodique, De grote kuis (le grand nettoyage).

Notes
4.
Interview de Chantal De Smet, juillet 1991. Chantal De Smet est directrice de l’Académie des Beaux-Arts de Gand.
5.
« La condition féminine », dans Les cahiers du Libre Examen, mai 1972.
6.
Vrouwen zijn geen voorwerpen (les femmes ne sont pas des objets). Deux autres brochures paraissent l’année suivante : Kinderkribben, waarom (des crèches, pourquoi) et Vrouwen spreken : De vrouw in de produktiemaatschappij (des femmes parlent : la femme dans la société de production).
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