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Le 11 novembre 1972, arrivées tôt le matin pour la première Journée des femmes, à Bruxelles, militantes et journalistes n’en croient pas leurs yeux : la foule est déjà là. On espérait 500 personnes, il y en aura huit mille, femmes de tous âges et de tous genres, francophones et Flamandes mêlées. Leur adhésion spontanée à cette initiative fait de cette journée un événement, le symbole du renouveau féministe en Belgique, un moment unique dans ce grand mouvement des années septante.
Vingt ans ont passé depuis ce fameux premier 11 novembre des femmes.
Faut-il qualifier l’événement d’histoire ancienne ou d’un pas inscrit dans l’histoire récente ? Moment historique en Belgique, il est le révélateur de changements sociaux que les femmes vont exiger mondialement. Le temps est venu de faire le récit de ce cheminement joyeux et sérieux à la fois, qui s’est nommé lui-même mouvement des femmes.
Situer ce mouvement des femmes à l’intérieur et en même temps à l’extrême d’une vague plus lente et moins visible déjà amorcée dans les années cinquante, le situer dans la révolution culturelle des années soixante qui, par l’instauration de la médecine contraceptive, bouleversait les valeurs de la société établie. Créer un document qui témoigne de l’intervention spectaculaire des femmes dans les années septante, prodigieuse aventure à laquelle nous, qui écrivons ce livre, avons participé l’une et l’autre…
Retrouver les premiers signes, les premières manifestations de ce réveil qui va se communiquer de proche en proche. Dire les premiers groupes, les actions, les radicalismes, les convergences. Décrire le déferlement, jour après jour, de cette lame de fond qui marque de façon irréversible le statut des relations hommes-femmes.
Cinq années durant lesquelles tout s’invente. Cinq années d’effervescence, de confrontation des points de vue et de sororité dans la démarche profonde. Années de parole libre et dont les traces demeurent éparses.
Plus le projet se précise et s’étoffe, plus il faut interroger les protagonistes, réveiller leur mémoire, fouiller les greniers. Rassembler les éléments d’une révolution largement orale, même si des notes, des tracts, des brochures consignent les premiers cris, les premières réflexions.
Ce faisant, nous découvrons l’extrême diversité des questions soulevées et des projets réalisés. Impossible de les approfondir tous ici comme ils le mériteraient… Comment rendre compte dans un livre d’un mouvement aussi informel et foisonnant, où chacune se voulait anonyme, une parmi toutes celles qui s’activaient ? Écrire, citer, n’est-ce pas trahir un peu ? Comment rendre justice à celles qui s’y sont jetées à corps perdu, sans oublier toutes les autres qui y ont apporté une part d’elles-mêmes ?
Le volume ici présenté s’inscrit comme le témoignage d’un moment historique particulier. Témoignage qui appelle un prolongement, un approfondissement. Qui invite d’autres à prendre la relève et à raconter la suite de l’histoire.
Ainsi peut-on espérer que dans la vague suivante, les femmes qui viendront nécessairement contester ce que nous avons acquis et pousser l’avantage un peu plus loin auront la chance de connaître ces combats menés, aussi, en leur nom.
Marie Denis
Suzanne Van Rokeghem