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Une petite famille comme il y en a tant. Dans L’éponge, de Marie-Louise Haumont, François est enfant unique, ses souvenirs commencent avec la guerre de quarante, à Liège, les V1, les caves, les Américains et leurs biscuits militaires. L’enfant est solitaire, sensible. Pour supporter les difficultés de la vie qu’il pressent à travers ses parents, son entourage, il se passionne de cinéma, de théâtre. Il se fera acteur. Il jouera les rôles, il vivra les situations de théâtre, il donnera parfaitement la réplique. La scène, toujours recommencée, est le seul espace où François se sent à l’aise. Dans la vraie vie, les situations, qu’il ressent profondément, l’accablent, le laissent sans voix. L’in connu, l’aléatoire l’épouvantent. Il ne s’épanouit que sous l’habit du comédien. Pourtant il aime les gens, il les comprend. Il les comprend tellement qu’il ne peut leur résister, il se noie en eux.
Mais aujourd’hui, le théâtre lui-même devient aléatoire, le rôle s’invente, se crée durant la représentation, au gré de l’atmosphère amenée par la relation du public avec la scène. Le théâtre tend à se confondre avec la vie. François en est extrêmement troublé. Lorsqu’il devra jouer l’Homme Nu devant le taureau de l’arène, il ne saura quel geste faire…
Marie-Louise Haumont nous avait déjà conquis par sa façon de montrer à travers les gestes les plus simples de la vie quotidienne le désarroi de l’être humain. Dans ce troisième roman. elle affine encore et approfondit l’humble interrogation de ses personnages. Plantés dans la ville comme des brebis sur un tableau naïf, ils ont le même regard, patient et un peu effrayé. Que nous veut-on, semblent-ils dire, nous sommes pleins de bonne volonté, nous faisons sans bruit les gestes de la vie, alors pourquoi des malheurs se préparent-ils dans l’ombre ? Pourquoi le père poursuit-il des jeunes filles à tel point qu’il ne reconnaît plus sa femme ? Pourquoi les caissières de cinéma, ces bustes blonds qui tiennent la clé du paradis, deviennent-elles vieilles et tristes, et retraitées ? Pourquoi les scènes, dans les films, sont-elles comme elles doivent être et, dans la vie, toujours un peu ratées ? Pourquoi la vie suit-elle son cours inexorable ?
M.D.