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le dire
TEE pour tous

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— Monsieur, s’il vous plaît ! Si je voulais prendre le TEE pour retourner, vous pourriez me donner un billet supplémentaire ?

— Cela va vous coûter bien cher ! Un supplément de première, plus la taxe de luxe, ça vous fera très cher !

Ce n’est pas la première fois qu’on essaie de me détourner d’une dépense somptuaire. Je suis touchée qu’on me porte cette attention, mais ai-je l’air si misérable ?

Je marche vers le lieu de la réunion. La chaleur est atroce. Pourvu que je ne rate pas le train du retour, il ne me plairait vraiment pas de loger, j’ai roulé ma brosse à dents dans la chemise de nuit à toute fin, mais vraiment non.

On me ramène bien à temps à la gare.

— C’est gentil d’être venue de si loin ! Ce n’est pas si souvent que les Bruxellois font le voyage jusqu’à ce fin fond de province…

— Mais ce n’est pas si loin, dis-je. Et quel beau voyage ! Je reviendrai.

Au guichet, je pose encore une fois la question.

— Je suis « famille nombreuse » alors ça ne fera peut-être pas tellement cher ?

— C’est 100 F. Mais pour la taxe que vous payerez dans le train, il n’y a aucune réduction ! Mais vous avez intérêt car le train normal annonce plus d’une demi-heure de retard !

— Plus d’une demi-heure ! Et avec le temps qu’il lui faut pour traîner et s’arrêter partout… je n’aurais pas été à minuit au lit !

Est-ce qu’on dit des choses pareilles, a-t-il l’air de penser.

Le TEE, c’est bien, clair et large, il n’y fait pas trop chaud. Pas trop de monde. On n’hésite pas à étendre les jambes. À ce prix-là, on n’hésiterait à rien.

On roule sur du velours, presque sans bruit. On glisse voluptueusement. Mais sapristi ! Mais c’est ignoble. C’est dégoûtant. Nous roulons bien sur les rails que vient d’emprunter le train de l’aller ? Il y a donc moyen de faire ce même trajet, soit traité comme moins que du bétail, soit considéré comme une humanité civilisée. Je trouve ça anormal.

Le train normal, celui que j’ai normalement emprunté tout à l’heure, n’a aucune possibilité d’aération : 25cm (?) d’ouverture tout en haut de la vitre cela ne fait nullement circuler l’air. Le train est bondé, tout le monde suffoque, vieilles dames, enfants, étudiants, navetteurs, tous marqués d’une journée orageuse dans la ville et maintenant secoués, de gauche à droite, d’avant en arrière, jusqu’à la délivrance sur leur quai d’attache, avec l’idée du week-end comme une récompense.

Par moments, en pleine forêt, on ralentissait comme si le train entrait en agonie puis on repartait en sursaut. Tout claquait, dans les tournants, il y avait de tels à-coups qu’on croyait que le wagon allait se briser.

On n’en meurt pas, direz-vous. Heureusement. On peut quand-même s’étonner en 1980.

Du temps où les trains étaient amusants à regarder pour les vaches, les fenêtres s’ouvraient au moyen d’une sangle de cuir qu’on fixait à la hauteur souhaitée. Si les trains vont aujourd’hui trop vite pour qu’on puisse se pencher à la fenêtre — c’était d’ailleurs toujours défendu — ils pourraient prévoir une aération efficace. Et une réduction des secousses et du vacarme.

Il faudrait que tous les trains soient des TEE !

Construire des trains convenables, voilà de l’emploi qui serait bien employé ! Faire des trains humains pour les usagers normaux aussi bien que pour les rastaquouères. Moi, je trouverais cela plus digne. Quand on pense que la Belgique a vu les tout premiers trains. A construit le Transsibérien. A connu la gloire ferroviaire.

Marie Denis

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