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J’aime beaucoup la finesse de Renée Massip, sa façon de rendre perceptibles les sentiments les plus mêlés, les plus enfouis. La mort, cet événement mystérieux, l’amour, ce sentiment plein de pudeur souvent, sont les thèmes enchevêtrés du beau récit : Belle à jamais.
Un couple vieillissant, volontairement isolé à la campagne, pour y mener la vie austère qu’ils aiment, pour y passer tendrement ensemble les années de la retraite. Et voici que dans ce calme trop calme survient le cancer. Mettant leur honneur à supporter plutôt qu’à combattre, ils laissent le mal faire des ravages rapides. Quand commence le récit, madame Lauzerte n’a plus que quelques semaines à vivre. Sa nièce appelée à son chevet, raconte ce dernier combat, mené presque sans paroles mais avec quelle intensité. La malade veut garder la face, mais en même temps s’étonne que son mari, qui l’aime intensément, « écoute la radio, et moi je vais mourir ». Elle ne semble pas tellement y croire, à cette mort prochaine, elle dit qu’elle a une jaunisse et chacun de parler dans ce sens, On va jusqu’à mettre les ampoules de morphine dans une boîte d’hépatrol. Mais qui est dupe ?
Chacun joue son rôle, non par crainte excessive de la mort, mais par respect pour le silence de l’autre. La tante n’est pas croyante, la nièce l’est peut-être un peu trop, mais discrètement. Le mari a tant de mal à admettre le départ sans retour de sa femme que, chaque jour, malgré son immense dévouement à ses souffrances, il lui administre la piqûre bienfaisante un peu trop tard… On dirait qu’il craint de l’endormir avant l’heure. Leurs enfants sont loin, séparés par la distance mais davantage encore par les voies qu’ils ont empruntées et que leurs parents n’ont pu admettre autrement que par l’éloignement. Chacun suit son chemin et le vieux couple dérive vers la souffrance et la mort, avec une longue tendresse réciproque mais très secrète. Que va devenir le vieil homme qui allait disant de son épouse : « elle était l’âme de la maison », et peut-être s’y était-il excessivement soumis, à cette âme courageuse mais très entière ?
Une famille comme il en existe certainement autour de nous : amour et devoir, solitude à deux, abnégation. La mort n’en reste pas moins ce qu’elle est : déchirante !
M.D.